Les Skyblog, c’est fini : un pan de la vie des ados des années 2000 disparaît

Symbole des années 2000, la plateforme Skyblog a fermé définitivement ses portes ce lundi, figeant des millions de blogs d’adolescents oubliés depuis vingt ans.

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Temps de lecture : 6 min

« Lâche tEs c0mzZZZ, Ici T libre ! » Cela pincera sans doute un peu le cœur des (anciens) adolescents des années 2000. La plateforme Skyblog ferme ses portes ce lundi 21 août, cristallisant ses millions de blogs, restés pour la plupart figés dans le temps coloré des débuts du XXIe siècle. Adieu, police Comic Sans MS, émojis artisanaux formés de lettres en parenthèses, photos basse définition et orthographe 2.0…

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Pionnière française du Web lancée en 2002, la plateforme était pensée comme un « réseau de journaux intimes d'adolescents », qu'il n'était plus possible de maintenir, explique son créateur, Pierre Bellanger, fondateur et président de la radio de musique urbaine Skyrock. Le RGPD, notamment, l'exigeait : un grand nombre des 12 millions de blogs encore accessibles n'étant plus mis à jour, il était impossible de les conserver en ligne. L'évolution du réseau et de ses techniques aurait aussi demandé aux Skyblog de changer, au risque, selon leur créateur, de « dénaturer leur créativité numérique mythique ».

Post de l'équipe de Skyblog annonçant la fermeture de la plateforme, le 21 août 2023. 
 ©  Capture d'écran Le Point.
Post de l'équipe de Skyblog annonçant la fermeture de la plateforme, le 21 août 2023.  © Capture d'écran Le Point.

Révolution numérique

Mais si leur disparition laisse une partie de la génération Y orpheline, la suppression des blogs n'est pas sans procurer un certain soulagement aux anciens utilisateurs, délivrés à jamais du risque de voir resurgir les articles où ils relataient leurs vies d'adolescents.

« J'ai un peu honte de repenser aux fanfictions [histoires mettant en scène des personnalités ou des personnages de fiction, écrites par des amateurs et disponibles en ligne, NDLR], que j'écrivais sur mes Skyblog quand j'avais entre 10 et 15 ans, sourit ainsi Florine Roche, blogueuse repentie. La plupart de mes blogs ont déjà disparu à cause de l'inactivité, là c'est une partie de mon adolescence qui s'envole… Mais ce ne sont pas des souvenirs très glorieux, et je préfère que plus personne ne lise jamais ce que j'écrivais, ni même ne sache que je le faisais ! »

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Symboles d'une génération et d'une époque, les Skyblog sonnent le glas des années 2000, où ils ont représenté une révolution numérique. « Nous voulions une plateforme de publication simple pour que tous s'y retrouvent, explique Pierre Bellanger. J'avais découvert l'interactivité des weblogs américains alors très spécialisés. J'ai voulu les adapter à un public adolescent. »

Pour la première fois, il devient facile de créer sa propre page Web et d'y publier des contenus, texte, audio et vidéo, mais aussi d'échanger avec ses pairs à coups de commentaires, de converser directement, et de renvoyer vers ses Skyblog préférés. Les utilisateurs ne s'y trompent pas, et forment rapidement un réseau à la taille exponentielle – plus de 23 millions de Skyblog ont été créés.

17e site mondial en 2007

Le proto réseau social dépasse ainsi largement les frontières de la France et culmine en 2007, cinq ans après sa création, au rang de 17ᵉ site le plus fréquenté au monde, avant d'être dépassé par Facebook, le premier des Gafam. Le paradigme a changé : finie la création de contenus, place à l'échange et à la conversation.

« Skyblog était précurseur de ce qu'on a ensuite appelé le Web social, ou Web 2.0, situe ainsi le spécialiste des médias sociaux et du Web social Fabrice Epelboin. C'est la toute première plateforme de blog à connaître un succès de masse, générationnel, où les utilisateurs pouvaient développer une identité numérique, en produisant des articles que des gens lisaient et auxquels ils réagissaient. Depuis, le centre d'intérêt s'est déplacé des contenus aux conversations, et les contenus diffusés sont devenus minimaux, ce qui a changé l'usage des réseaux. Sur Skyblog, c'étaient les contenus qui créaient les relations sociales, pas l'inverse. »

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Éloïse en a fait l'expérience : sa passion pour la culture japonaise l'a conduite, à 16 ans, à rencontrer son mari : elle lisait son blog, où il parlait de son chanteur préféré. « Nous avons commencé à échanger par commentaires interposés pendant quelques semaines, puis nous avons fini par échanger nos MSN, se souvient la trentenaire. Il mettait des photos de moi sur son blog, et moi de lui sur le mien, comme pour crier au monde, et à notre microcosme fan du Japon, que nous étions proches. »

Dans cette histoire d'amour du nouveau millénaire, le couple naissant met longtemps avant de se rencontrer « en vrai ». Mais lorsqu'ils se voient enfin, leur relation continue aussi en ligne. « C'était la mode des photos avec des petits cœurs partout et des stickers de toute nature », poursuit Éloïse, qui a fini, comme son mari, par supprimer ces blogs lors de la naissance de leur premier enfant. « Je n'étais pas à l'aise à l'idée que des photos de moi mineure et très maquillée circulent sur Internet… Mon mari avait lui les cheveux décolorés et un style vestimentaire très décalé… Mais je regrette un peu de n'avoir rien sauvegardé. Skyblog, c'était toute une époque. »

« Je me sens un peu trahi »

Les plus nostalgiques avaient jusqu'à dimanche pour archiver leur propre blog. Pierre Bellanger et son équipe ne savent pas combien l'ont effectivement fait. Mais pour les plus investis, comme Robert Dessauvages, l'animateur d'un blog devenu incontournable sur la ville de Tourcoing, la pilule est difficile à avaler. L'homme de 72 ans enterre ce lundi l'équivalent de douze années de travail, qui l'ont rendu célèbre dans sa ville. Son blog était l'un des derniers en ligne à recevoir encore près de 2 000 visites par jour, et rassemblait plus de 11 000 photos du Tourcoing actuel et ancien.

« C'est une désolation pour moi, soupire-t-il auprès du Point. Je me doutais bien que cela s'arrêterait un jour, mais je me retrouve désarmé, sans trop de solutions. Les photos hébergées sont de mauvaise qualité, je n'ai pas moyen de les remettre en taille normale ou de corriger leurs défauts pour les exploiter à nouveau. Je ne peux pas repartir de zéro ailleurs… Skyblog m'a énormément apporté, mais, là, je me sens un peu trahi, ils me font une belle saloperie. »

Article du blog de Robert Dessauvages, « Notretourcoing ». 
 ©  Capture d'écran Le Point.
Article du blog de Robert Dessauvages, « Notretourcoing ».  © Capture d'écran Le Point.

Son blog fera au moins partie de ceux qui passeront à la postérité. À la demande de l'équipe de Pierre Bellanger, le dépôt légal numérique de la BNF, en complémentarité avec l'INA, va collecter et archiver les quelque 12 600 000 blogs qui restaient en ligne.

« Un robot moissonneur va aller enregistrer toutes les pages Web, leur code source ainsi que les contenus audiovisuels qu'elles contiennent, explique Vladimir Tybin, le chef du service du dépôt légal numérique de la BNF. Nous les stockons ensuite dans notre magasin numérique et dans notre data center, ainsi que sur des serveurs permettant de rejouer les contenus, à l'identique de la forme qu'ils avaient au moment où ils ont été collectés. »

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À Découvrir Le Kangourou du jour Répondre Les Skyblog vont ainsi venir nourrir les archives de l'Internet, accessibles depuis les salles de recherche de la BNF, et permettre aux chercheurs d'avoir un accès privilégié aux préoccupations de la jeunesse des années 2000 – et à son rapport au numérique.

Car derrière leur savoureux aspect kitsch et leurs fautes d'orthographe, « les blogs représentent un témoignage très important sur la manière dont toute une génération s'est emparée du Web pour communiquer, constituer un proto réseau social et produire des journaux intimes, souligne le spécialiste. Ils appartiennent à l'histoire du Web, et constituent des sources historiques. » Ça y est, les blogs sont passés à la postérité.

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Commentaires (4)

  • Biglotron

    Je dois être un dinosaure, n'ayant même pas compris le titre de l'article. Quant à son contenu... À lire cette prose, je ne sais pascomment j'ai fait pour survivre jusqu'à présent en ignorant ce que veut dire "Skyblog" mais, bizarrement, j'y suis tout de même parvenu.

  • Martinoune

    #Bashing 1er... Donc les vieux lecteurs du Point ne pleureront pas sur cette disparition !
    Lol...
    Par contre que vont devenir les vidéos enregistrées qui manqueront immanquablement à notre culture ?
    That's thé question ?

  • Bashing Premier

    @lecteuraterré : le Point est un journal de vieux (il dépasse même le FigMag pour l'âge moyen du lectorat). A l'époque de SkyBlog, la plupart de ces lecteurs ne connaissaient même pas l'existence des navigateurs web, alors créer du contenu en manipulant mise en page, polices de caractères, insertion multimédia, vous n'y pensez pas.

    P. S : faire une faute d'orthographe dans son pseudo, ce n'est pas banal