Les Champs de la Lune : Le livre de Catherine Dufour

Remise en selle personnelle au genre de la SF avec ce livre de la grande Catherine Dufour et il faut croire que j’ai eu le nez creux car c’est un coup de cœur ! D’une langue inventive et élégante, l’autrice nous plonge dans cet univers lunaire, fascinant mais pas sans dangers, où, après avoir décimé la Terre, la vie humaine s’est réfugiée au prix d’y être plus fragilisée que jamais. Avec poésie, elle nous dépeint le quotidien de son héroïne, une jardinière de l’espace qui va se retrouver embarquée dans une mission périlleuse. Ce genre d’ouvrage est fait pour moi : outre le plaisir d’être baigné dans un monde inventé dont la romancière trace les contours avec une maîtrise exemplaire, on puise du bonheur à découvrir un texte écrit avec grand sérieux sans se prendre au sérieux (les passages avec le chat caractériel qui parle sont mes préférés). Je parie que ce livre va devenir un must du genre.

Je ne pouvais pas passer à côté du dernier roman de Catherine Dufour. J’avais adoré Le goût de l’immortalité, qui a été l’un de mes coups de coeur. Pour l’avoir entendue parler lors de conférences à propos de Les champs de la lune, j’avais hâte de voir sa recherche transcrite dans un roman et de retrouver son style noir et mélancolique. Catherine Dufour prend le parti de raconter son histoire à la première personne. Une androïde tient un journal de ses activités. Elle s’occuper d’un jardin à la surface de la lune. Un bout d’humanité a quitté la Terre, pour s’établir sur le satellite solitaire, autrefois déserté. Les humains vivent sous la surface, car la lumière du soleil et les radiations ne permettent pas aux individus de survivre. Ainsi, tout doit s’adapter à cette nouvelle façon de vivre. Les fruits et légumes sont changés par leur nouvel environnement, pareil pour les fleurs. La narratrice est dans une lutte quotidienne pour faire pousser ces expérimentations. On suit ces rapports, qui content les rencontres qu’elle fait au quotidien, son attachement à Trym, ses inquiétudes quant au dôme qui se fissure… Ce qui est intéressant, c’est que le roman commence quand elle confie qu’on lui a demandé de rendre ses rapports plus digestes pour ses lecteurs. Elle commence donc à contextualiser, parfois trop, ce qui l’entoure. La narratrice déploie petit à petit plus de sensibilité et de poésie dans ses analyses. La plume de Catherine Dufour décrit merveilleusement cette évolution, certains passages sont d’une grande beauté et témoignent d’un soin particulier pour transmettre toute la sensorialité de la Lune. L’autre aspect de ce côté journal : les lecteurs découvrent la vie difficile des citoyens souslunaires, les populations qui vivent sous la surface, qui subissent une maladie mortelle d’origine inconnue. Cependant, malgré la beauté de l’écriture, j’ai tendance à avoir plus de mal à accrocher aux récits tranche de vie dans l’imaginaire. Il faut aimer les récit qui se veulent contemplatifs. J’en ai parlé, mais l’écriture de la protagoniste évolue petit à petit. El Jihane change beaucoup à travers le temps. Le début du roman traite beaucoup des plantes et de la botanique. Mais lors d’une rencontre marquante avec une petite fille, la narratrice développe pour elle un attachement profond. C’est cet attachement qui la dote d’une plus forte volonté, d’un désir de justice et de pouvoir changer les choses. La lune est en effet un territoire difficile : les habitants tombent facilement malades, même mentalement c’est un lieu difficile à supporter. La protagoniste nous fait une description sommaire du fonctionnent de la politique, mais c’est suffisant pour comprendre que la prise de décision est lente et laborieuse. Durant la seconde partie du récit, les événements s’accélèrent. Avec El Jihane, nous quittons le cocon protecteur de la ferme de Lalande pour les grands espaces lunaires. Voilà qui donne l’occasion à la botaniste de nous décrire d’autres communautés, mais aussi de nous en dire sur l’histoire de la colonisation. C’est également une partie de l’histoire qui donne un coup d’accélérateur qui permet de prendre un peu de rythme. J’ai apprécié les éléments politiques, qui mettent en lumière les complots et les fonctionnements obscurs des gouvernements lunaires. Sans doute le roman aurait-il gagner à avoir quelques centaines de pages en plus pour nous offrir une visite plus complète. Mais je comprends cette démarche de garder cet aspect presque intimiste. Les champs de la lune se présente à la fois comme un texte et d’une grande sensibilité. L’affection du personnage principal pour les plantes et les êtres vivants s’affirment à travers une connaissance savante, l’observation fine de leurs habitudes et une sensorialité bien présente. Comme vous le savez, j’accroche pas assez peu aux récits tranche de vie. J’ai trouvé parfois le récit trop long et contemplatif. Cependant, la deuxième partie apporte un peu plus d’action et de mystère. La conclusion n’est pas surprenante mais est pleine d’émotion.

Bon roman, qui se place dans la lignée de la trilogie martienne de Robinson à mon avis, l’ampleur en moins. La naissance des émotions d’El Janine et les descriptions de la faune et de la flore, vivantes sur cette terre morte, sont vraiment bien tournées.

Le livre commence par un rapport de 2 lignes rédigé par El-Jarline sur les conditions météorologiques de la ferme De Lalande. Les destinataires du rapport estiment que la contextualisation est insuffisante et demande à la fermière de plus rédiger, pour cela elle reçoit une bibliothèque numérique. A la force des faits viennent s'agréger les rencontres, les amitiés, les émotions et les découvertes. Au cours du roman les rapports quotidiens (1 jour lunaire équivaut à 1 mois terrestre) sont de plus en plus étoffés. Ils illustrent l'activité de la ferme principalement l'état de son écosystème ; les alertes sur les fissures du dôme et du développement rapide de la Minicolas (méduse parasite) qui menace la roche lunaire ; l'apprentissage de Soleqi, une enfant confiée par la commanderie ; le rôle de vigie, sur la chute de météorites au abord de la cité lunaire MUT. Soléqi, trop vite perdue, laisse, pourtant, des images persistantes dans l'esprit d'El-Jarline. Comme par exemple, regarder la terre lui rappelle la face ronde de son élève. Elle éprouve le besoin, pourtant jusqu'alors incompris, de donner une forme symbolique à cette présence. Une errance métaphysique lui permet de constituer une palette d'émotions suffisantes pour dessiner et peindre le portrait de Soleqi. Cette absence douloureuse la conduira émotionnellement vers la communauté de MUT mais aussi vers elle-même. Un divin goût de balle de golf lunaire c'est çà dire lestée de plomb ! Une digestion lente pour un grand appétit de connaître la bibliographie de Catherine Dufour.