
Dans Les Mondes de Colette, à la BNF, riche exposition sur sa vie et son œuvre, on découvre l'autrice sous toutes ses coutures. Elle a exercé plusieurs métiers, desquels elle s'est aussi nourrie pour écrire.
Tel un chat, Colette semble avoir eu plusieurs vies. Née le 28 janvier 1873 à Saint-Sauveur-en-Puisaye (village de Bourgogne), et morte le 3 août 1954, elle a été enterrée lors de funérailles nationales dans la cour d'honneur du Palais-Royal. L'écrivaine a concilié une vie d'encre et de chair, durant laquelle elle est parvenue à imposer son talent et son mode de vie, où l'indépendance primait.
En 2024, on célébrait les 50 ans de sa mort, avec nombre de contenus passionnants sur les antennes de Radio France. En 2025, son œuvre entre dans le domaine public, et la BNF organise une grande exposition "Les Mondes de Colette" (du 23 septembre 2025 au 18 janvier 2026) réunissant des éléments visuels et écrits, notamment des manuscrits et des tirages de l'époque, ainsi que des œuvres picturales ayant trait à sa vie ou à ses livres. On plonge plus encore dans ses écrits, ce qui donne envie de lire tous ses textes, en dehors des classiques que l'on connaît. On découvre une vie riche en activités, diverses et variées, qui ont enrichi son œuvre, et lui ont aussi permis de manger et de payer ses factures.
La nécessité de diversifier ses activités
Colette se lance dans l'écriture à la toute fin du 19e siècle, sous l'impulsion de son compagnon Willy qui lui conseille de coucher sur le papier ses souvenirs d'enfance. Mais il signe de son nom ses premiers livres à succès, les quatre Claudine. Comme le disait Frédéric Maget, directeur de la maison Colette, dans "Autant en emporte l'histoire" : "Tout cela aurait rapporté à peu près 15 millions d'euros actuels à Willy. C'est énorme. Mais cet argent va vite filer. D'abord parce que Willy est très dépensier. Aussi parce qu'il joue beaucoup et donc va perdre énormément d'argent." De plus, Willy vend les droits des Claudine sans prévenir Colette. Dans un ensemble d'entretiens inédits datant de 1950, Colette racontait sa relation avec Willy et l'écriture des Claudine.
À écouter
Après sa séparation d'avec lui en 1905, Colette doit se lancer dans d'autres activités pour gagner sa vie, à une époque où les femmes travaillaient encore peu de façon rémunérée. Elle fut à la fois mime, danseuse de music-hall, comédienne et esthéticienne. Dans ses livres, on retrouve une pluralité de genres, du théâtre au roman épistolaire, en passant par l'autofiction, dans sa vie professionnelle, on retrouve une pluralité de talents.
Le music-hall, gagner sa vie au cœur de la Belle Époque
Séparée de son premier mari, Colette doit travailler pour acquérir son indépendance financière, et se tourne vers ce qui la fait rêver depuis petite, le théâtre. Elle se lance alors dans une carrière de mime, de danseuse et de gymnaste, à Paris et en province. Comme l'explique Frédéric Maget, dans "Autant en emporte l'histoire", le mimodrame, qu'elle pratique beaucoup, est "un art dansé, où on va exprimer une histoire, des sentiments, par le visage, mais aussi par le mouvement. C'est entre le mime et la danse. Pour Colette, c'est un choix qui s'impose, d'une part parce qu'elle avait un accent bourguignon assez fort. [...] Et aussi parce qu'elle bénéficie d'une plastique. Elle a préparé son corps, qui est un corps beau, désirable, et que Colette ne craint pas, dans la perspective de son émancipation, d'exposer sur scène." En février 1906, elle apparait donc pour la première fois sur les planches, dans un costume de faune, dans "Le Désir, la Chimère et l'Amour". Pour l'exposition, a été recréé le costume du faune dans lequel elle se produisait.

Fidèle à elle-même, elle ose braver les interdits et ses performances entraîneront deux scandales. Colette joue dans "La Chair", entre 1907 et 1911. Dans ce pantomime, elle dévoile un sein à la fin de sa performance, refusant le maillot de corps habituel. C'est son premier scandale et aussi le plus grand succès de Colette sur scène. La deuxième pièce où elle choque est "Rêve d’Égypte" au Moulin-Rouge (1907). Missy – Mathilde de Morny, la compagne de Colette – y jouait une égyptologue qui réveille une momie (Colette) en l’embrassant. Missy, liée par sa famille à Napoléon III et à Joséphine de Beauharnais, fut ensuite interdite de scène.
Colette, à cette époque, s’intéresse également aux coulisses du music-hall. Dans La Vagabonde (1910), elle esquisse un vaste panorama de la condition des artistes ; dans L’Envers du music-hall, elle livre des scènes vues de près, et des portraits, dépeignant ainsi le travail des corps et la précarité des artistes. Comme souvent chez elle, la vie et l’œuvre se répondent. L’exposition en témoigne à travers des photographies de Colette sur scène, vêtue de costumes assemblés de bric et de broc. On y perçoit aussi les premiers élans du transformisme — hommes en femmes, femmes en hommes — ainsi que l’évocation d’amours lesbiens. Des clichés la montrent encore s’exerçant aux agrès, chez elle, image d’une discipline quotidienne. L’ensemble plonge le visiteur dans l’effervescence des marges artistiques de l’époque, au plus près de la scène et de ses envers.
À écouter
Le salon de beauté de Colette
Après avoir été artiste de music-hall, et continué à être journaliste et écrivaine, elle n'hésite pas à se lancer dans une nouvelle activité, celle d'esthéticienne, poussée par la nécessité à gagner sa vie.
Forte de son expérience de maquillage dans le music-hall, Colette ouvre un salon de Beauté à Paris, rue de Miromesnil. En femme d'affaires, elle édite aussi une boîte de maquillage et un ensemble de pots de crème. Son salon de beauté fait long feu, mais par cette expérience, elle interroge aussi le statut financier des auteurs, et surtout des autrices.

Aux débuts des années 1930, elle fait ainsi la réclame de son salon "Êtes-vous pour ou contre le second métier de l'écrivain ?" En effet, comment gagner sa vie en tant qu’artiste ? Dans le texte "Avatars" (dans Vingt-six chroniques retrouvées, 1922-1951), elle explique en 1932 qu'elle est écrivaine, mais qu'elle doit travailler, répondant aux critiques : "Le public a bien voulu s’étonner – à mon sens, avec trop d’éclat – que de romancière, je tournasse en fabricante de produits qui rehaussent, créent, préservent la beauté. Non sans sourire, je regarde dans mon passé, et je me souviens d’un temps où l’on s’étonna que, d’oisive et docile petite, je devinsse officiellement écrivain." Dans ce texte, elle déploie l'ensemble de ses "avatars", ces métiers qu'elle endossa pour la vie ou pour une période, qui lui ont permis d'être autonome et de pouvoir éprouver une liberté à laquelle elle était très attachée.
À écouter
Quand le journalisme flirtait avec la littérature
Le journalisme fut l’une des activités principales de Colette et elle y consacra plus de 1 200 articles. Dès 1910, elle signe ses premières chroniques sur le music-hall dans Le Matin, où elle devient directrice littéraire en 1917. Elle collabore ensuite avec Le Figaro ou Le Quotidien. Reportages, critiques, récits de voyage à New York ou au Maroc, son travail journalistique se mêle souvent à son œuvre littéraire. Ses chroniques sur la guerre de 1914-18, vue de l'arrière, donneront par exemple Les Heures longues. On la dit écrivaine apolitique, mais elle était à la fois conformiste et révolutionnaire. Pour elle, les femmes n'avaient pas leur place en politique, mais elle excellait quand elle dépeignait les mœurs. En 1930, en plein "réarmement démographique", elle décrit la démystification de l’amour maternel.
Ses collègues la saluent comme une reporter hors pair. Elle couvre dès 1912 le procès du criminel Landru, puis dresse d’autres portraits saisissants, de Violette Nozière notamment, jeune parricide de 18 ans. Précurseure, elle aussi est une des premières à s'intéresser au cinéma. Dès les années 1910, elle publie une trentaine d’articles sur ce nouvel art, avant de devenir critique, dialoguiste et même sous-titreuse, comme cela est détaillé dans "Un été avec... Colette".
À écouter
Si elle s'est attelé à écrire son temps avec ferveur pour différents journaux, cela n'a pas non plus été sans peine, comme elle l'écrivait dans L'étoile Vesper, en 1946 : "Le journalisme est une carrière à perdre le souffle. Même jeune, je n'ai jamais pu accommoder mon rythme lent à son allure 'grand quotidien'. L'obsession du 'papier' en retard, des lignes à pondre entre minuit et deux heures du matin, a longtemps dans mes songes tenu la place du 'rêve de l'examen'."
Tout au long de sa vie, Colette a entretenu un rapport complexe avec le travail. Après une enfance bercée par le jardin de Saint-Sauveur, ses débuts d’écrivaine, encouragée par Willy, ne coulèrent pas de source. On a souvent dit qu’elle était peu encline au labeur – sous toutes ses formes –, et pourtant, elle n’a jamais cessé d’écrire, ni d’explorer de nouvelles voies. Jamais tout à fait à sa place, mais toujours portée par un talent singulier, elle a su s’imposer dans chaque univers traversé. Dans le monde littéraire notamment, elle a été particulièrement admirée par ses pairs, de Proust à Aragon. Colette aura finalement appartenu à bien des mondes sans jamais s’y fondre totalement, à l’exception peut-être du jardin de son enfance, ce paradis perdu qu’elle n’a cessé de célébrer et sur lequel elle régnait en souveraine.
À écouter
Références




