Excellence, Monsieur le Président de la République,
Distinguée Première Dame,
Distingués participants,
C’est avec une profonde émotion et un sentiment de responsabilité que je prends la parole aujourd’hui. Le 5 septembre, à l’issue de ses travaux entre mars et août 2025, la mission d’établissement des faits du Haut-Commissariat des Nations Unies sur la situation dans les provinces du Nord et Sud-Kivu, a rendu son rapport et a établi que les violences sexuelles ont atteint un niveau d’une ampleur sans précédent tant dans leur nombre que dans leur nature par les groupes armés et dans une totale impunité. Les violences sexuelles ont eu lieu principalement sous forme de viols collectifs. Les cas impliquant des enfants ont triplé en un mois. Même si l’accès à Goma lui a été refusé par le commandement du M23, ce qui l’a empêché de visiter les zones contrôlées par ce groupe, la mission a vérifié plusieurs cas de violences sexuelles perpétrées par le M23 :
- des victimes violées ou violées collectivement chez elles, avec leurs mères, filles ou sœurs ;
- des filles enlevées et détenues, parfois pendant des semaines, dans des résidences et des hôtels occupés par des membres du M23, où elles ont été soumises à des viols et autres abus de manière répétée ;
- des viols collectifs des femmes, des hommes, des garçons et des personnes LGBT dans des résidences privées et centres de détention improvisés du M23 ou encore des viols « correctifs ».
Ces actes ont été répétés sur de longues périodes, souvent accompagnés d’autres actes de torture et mauvais traitements physiques et psychologiques, avec l’intention manifeste de dégrader, de punir et de briser la dignité des victimes. La mission a aussi documenté des cas de violences sexuelles et de pillages commis par les membres des FARDC et des Wazalendo lors de leur retrait des lignes de front en janvier et février 2025. Le dernier rapport annuel du Secrétaire général, pour la période janvier à décembre 2024 et préparé par mon bureau, a aussi confirmé que les groupes armés ont utilisé la violence sexuelle comme tactique pour affirmer leur contrôle sur le territoire et les ressources naturelles. Lors d’une récente visite à Kinshasa pour appuyer les initiatives nationales en matière du droit à la réparation, les prestataires de services de santé m’ont rapporté avoir traité 26,000 cas de violences sexuelles au Nord et Sud Kivu de janvier à juin.
Excellences, Mesdames et Messieurs,
Cette réalité poignante exige une action urgente et déterminée. Avec tout ce cycle infernal de violences, il importe de poser quelques questions :
- Que pouvons-nous dire à ces multiples survivantes qui se voient refuser l’accès aux cliniques en raison d’un manque de soins de base et de rupture totale de Pep kits ? Alors que les besoins augmentent, le financement de l’aide vitale est réduit, ce qui met le secteur humanitaire à rude épreuve.
- Pouvons -nous rester insensible sachant que depuis le premier trimestre de cette année, un enfant est violé chaque demi-heure ? Pourquoi une telle indifférence ?
- Comment pouvons-nous accepter que des femmes et des filles, souvent déplacées plusieurs fois, aient à se prostituer pour survivre au vu de l’insécurité alimentaire aigue ?
- Peut-on oublier ou ignorer cette nuit d’horreur du 27 janvier 2024 où, lors de l’attaque de la ville de Goma par les M23, 160 femmes ont été violées par les prisonniers hommes, puis laissées en proie aux flammes, brulées vives dans leurs cellules de la prison de Munzenze, en toute impunité ?
On parle de « survivantes », mais on oublie que nombreuses sont celles qui ne survivent pas. Des cas de femmes tuées après un viol, avec une cruauté incompréhensible, ont aussi été recensés. Je voudrais saluer le gouvernement qui, face à tous ces défis, continue d’amplifier ses efforts et a récemment actualisé les plans d’actions nationales des FARDC et de la PNC sur la lutte contre les violences sexuelles. Ces efforts viennent s’ajouter au travail important de la justice militaire et les initiatives nationales des réparations aux survivants des violences sexuelles. Hélas, les cycles des violences à répétition fragilisent ces efforts, sinon les réduisent à néant.
Excellences,
La manière dont nous affrontons cette crise est le véritable test de notre détermination. Nous ne pouvons pas nous contenter de prononcer des paroles de condamnation, alors que les survivantes manquent de soutien pour continuer leur vie. Des milliers sont privés d’accès aux soins médicaux, au soutien psychosocial, au logement et aux recours juridiques. Elles paient le prix de l’impunité. Elles méritent plus que des promesses : elles méritent protection, assistance, justice et réparations et un avenir sans peur. Pour qu’elles puissent avoir la paix et la tranquillité d’esprit, des services rapides et adaptés doivent les atteindre rapidement et à grande échelle. Il est urgent d’accélérer le paiement des réparations aux survivants et de les associer à ce processus. Il est surtout urgent de poursuivre et de juger les membres de FARDC et des éléments Wazalendo alignés responsables des violences sexuelles. La justice transitionnelle en RDC doit aussi se développer en complémentarité avec la justice pénale, dont les mérites sont indéniables, et doit inclure des mécanismes de recherche de la vérité, de préservation de la mémoire, ainsi que de prévention de la répétition de tous les crimes, y compris les violences sexuelles liées aux conflits. Mon bureau, à travers l’Équipe d’Experts, demeure pleinement engagée à poursuivre son travail aux côtés des autorités judiciaires et des acteurs de la chaîne pénale.
Mesdames et Messieurs,
La route vers une paix durable en RDC passe inévitablement par l’éradication des violences sexuelles liées aux conflits. Nous devons agir ensemble avec détermination et compassion, pour réparer les tissus déchirés par la guerre et construire un avenir où chaque congolaise et chaque congolais peut vivre en paix et en dignité.
J’appelle au respect sans faille des efforts régionaux et internationaux de paix, y compris ceux entrepris à Washington et à Doha. L’appui de la communauté internationale, y compris l’appel urgent et répété de protéger les civiles, notamment contre les violences sexuelles, tel que rappelé dans les mandats successifs de la MONUSCO, doit être maintenu. Nous devons faire taire les armes et amplifier la voix des femmes. Nous le devons non seulement aux générations futures, mais aussi aux survivantes d’aujourd’hui. Les cicatrices et les traumatismes laissés par les violences sexuelles laissent une ombre profonde. Nous devons persévérer pour apporter à toutes les personnes touchées, la lumière de la guérison et de l’espoir.
L’urgence d’action est maintenant à notre portée à tous.
Que le corps des victimes cesse d’être un champ de bataille pour devenir un siège de paix, garantissant l’avenir à une génération qui aura retrouvée toute sa dignité.
Je vous remercie pour votre engagement dans cette noble cause.