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Florent Schmitt et l'Allemagne nazie
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et compl�ments
Florent Schmitt et l'Allemagne nazie (2)


Personne ne peut nier que Florent Schmitt (1870-1958), natif de Bl�mont fut l'un des compositeurs fran�ais les plus actifs et renomm� au d�but du XXe siecle, suscitant � la fois l'admiration (Georges Jean-Aubry �crivait en 1926,qu'il � traverse la musique fran�aise d'aujourd'hui comme un sanglier des Vosges [...], d�daignant toutes les coteries, les dogmes et les enthousiasmes organises ou les religions toutes faites. �, Igor Stravinski que La Trag�die de Salom� � m'a donn� une plus grande joie qu'aucune autre oeuvre que j'aie entendue depuis longtemps �) et la d�testation de ses contemporains (Erik Satie disait aux jeunes compositeurs qu'il valait mieux se tuer qu'orchestrer aussi mal que Florent Schmitt).

Nous donnons, en exemple ci-dessous, un extrait de L'Art Libre (1921) et de sa  pr�sentation �logieuse d'une soir�e de concert d�di�e � Florent Schmitt.

Et pourtant, Florent Schmitt n'occupe qu'une place restreinte dans la plupart des histoires de la musique, alors qu'il fut l'ami estim� de Paul Dukas, Arnold Schoenberg, Darius Milhaud, Albert Roussel, etc, et nombre de volumes restent �vasifs sur sa biographie � compter de ann�es 1930. Par exemple, le Dictionnaire de la musique de Marc Honegger (Bordas 1979) �crit � sa biographie se ram�ne d�sormais � la composition de ses oeuvres � et mentionne pour cette p�riode qu'il � signa la tribune musicale dans le journal Le Temps de 1929 � 1939. Membre de l'institut (1936), o� il succ�da � Dukas, Fl. Schmitt faisait partie depuis 1919 du comit� de la Soc. Mus. Ind�pendante (SMI) et il �tait pr�sident de la Soc. Nat. de Musique depuis 1938. Commandant de la L�gion d'Honneur, il avait re�u en 1957, le Grand Prix Musical de la Ville de Paris.  �
Et m�me dans la bible que constituent les vingt volumes du New Grove Dictionary of Music and Musicians (Macmillan 1980), on ne rel�ve aucune information suppl�mentaire.

Cependant... le site du Lyc�e Alexandre Dumas de Saint Cloud pr�sente � tous l'information suivante:
Pourquoi notre lyc�e a-t-il chang� de nom ?
De 1968 � 2004, le lyc�e a port� le nom de Florent Schmitt (1870-1958), compositeur de musique classique ayant v�cu � Saint-Cloud.
En 1995, un professeur a lu un article qui a troubl� la communaut� scolaire : il signalait que Florent Schmitt avait provoqu� un scandale en criant � Vive Hitler ! � lors d'un r�cital de Kurt Weill, le 26 novembre 1933. Rappelons que l'auteur de L'Op�ra de quat'sous �tait musicien d'avant-garde, sympathisant communiste, juif ; il s'�tait r�fugi� en France d�s l'arriv�e au pouvoir de Hitler.
Des recherches ont �tabli que cet incident n'�tait pas isol�.
En 1935, Florent Schmitt a fait partie du Comit� France-Allemagne, qui, sous pr�texte de rapprocher les deux ennemis h�r�ditaires, avait pour but r�el d'endormir la vigilance de la France face au r�armement allemand. En 1938, le compositeur c�l�bre l'amiti� franco-allemande dans le V�lkischer Beobachter, le journal du parti nazi.
Sous l'Occupation, il a particip� � un voyage de propagande dans l'Allemagne hitl�rienne, puis pr�sid� la section musicale du groupe Collaboration, un mouvement dont le nom r�sume le programme.
Ces faits, faciles � v�rifier, ont amen� la communaut� scolaire � vouloir d�baptiser l'�tablissement : Florent Schmitt pouvait-il encore �tre pr�sent� comme un mod�le aux lyc�ens ? Apr�s consultation des �l�ves et du personnel, le Conseil d'administration s'est prononc�, le 27 mai 1997, pour le nom d'Henri Matisse, mais la proc�dure, qui exige l'accord du Conseil r�gional d'Ile-de-France et de la municipalit� de Saint-Cloud, a �t� longue et complexe. En mai 2002, une p�tition en faveur du changement de nom a �t� sign�e par les deux tiers des �l�ves.
Apr�s une nouvelle consultation, le Conseil d'administration a choisi, le 16 d�cembre 2002, le nom d'Alexandre Dumas - le corps de l'�crivain venait d'�tre transf�r� au Panth�on dans un climat d'unanimit� nationale. La proc�dure a finalement abouti, et la nouvelle d�nomination est effective depuis le 1er janvier 2005. �


On lit m�me sur d'autres pages internet concernant le compositeur allemand Kurt Weill :
D�j�, le 26 novembre 1933, un festival de ses oeuvres, Salle Pleyel, est perturb� par des spectateurs qui se l�vent en criant "Heil Hitler !" Le compositeur Florent Schmitt �crit dans l'Action Fran�aise, le 2 d�cembre 1933, qu'il faut en finir avec "le monopole d'Isra�l sur notre vie musicale"  �
ou encore
Mais lors de la repr�sentation du Lac d'argent le 26 novembre 1933 � la salle Pleyel, le compositeur Florent Schmitt s'�crie "Vive Hitler !", avec l'approbation d'une partie du public. La presse antis�mite prend parti contre Weill ; dans l'Action fran�aise, Lucien Rebatet se d�cha�ne contre le "virus jud�o-allemand"; dans ce m�me journal Florent Schmitt r�cidive le 2 d�cembre 1933, en jugeant qu'il faut en finir avec "le monopole d'Isra�l sur notre vie musicale". �

Ces informations sont malheureusement presque exactes : car 

  • il appara�t bien que Florent Schmitt a interrompu, ce dimanche 26 novembre 1933 � la Salle Pleyel, Madeleine Grey, interpr�te de trois chansons de Bertolt Brecht et Kurt Weill aux cris de � Vive Hitler. �,
  • mais c'est Lucien Rebatet, et non Florent Schmitt, qui en fait �tat dans l'Action Fran�aise du 2 d�cembre 1933, et se livre � une analyse de ce qu'il pense �tre les motivations de Florent Schmitt. Le nationaliste Rebatet trouve tout de m�me � atroce � le cri de Florent Schmitt, en ce qu'il glorifie Hitler et donc l'Allemagne, mais l'excuse sur la base de leur antis�mitisme commun.
    C'est d'ailleurs le journaliste Paul Achard qui a rapport� le premier le fait dans la revue Comoedia du 27 novembre 1933, ajoutant m�me qu'il aurait per�u distinctement de Florent Schmitt
    � Nous avons assez de mauvais musicien en France sans qu'on nous envoie tous les Juifs d'Allemagne � ; ainsi, Lucien Rebatet n'en �crit qu'un commentaire personnel dans l'Action fran�aise.

Mais les onze ann�es qui ont suivi n'on pas �t� exemptes d'autres rapprochements de Florent Schmitt avec l'Allemagne nazie :

  • Il a �t� membre du Comit� France-Allemagne, d�s sa cr�ation en 1935 ;
  • Puis il a �t� le co-pr�sident d'honneur de la section musicale du Groupe Collaboration � partir de d�cembre 1941. Cette structure fran�aise s'�tait donn� pour tache de favoriser le rapprochement entre la France et l'Allemagne, et se situe dans le prolongement du Comit� France-Allemagne, avec des finalit�s identiques. Le groupe comprenait cinq sections : �conomique et sociale, scientifique, litt�raire, juridique, artistique (subdivis�e en trois : art dramatique, arts plastiques et musique). Collaboration avait pour principale activit� d'organiser des conf�rences, des manifestations culturelles et des r�ceptions, au cours desquelles Fran�ais et Allemands se c�toyaient. En mai 1944, le groupe comptait 42 283 adh�rents.
  • Florent Schmitt a particip� � un voyage de musiciens fran�ais organis� par les services de Joseph Goebbels, � Vienne, du 28 novembre au 5 d�cembre 1941, pour le 150e anniversaire de la mort de Mozart. Arthur Honegger et trois membres de la section musicale du groupe Collaboration (Alfred Bachelet, Marcel Delannoy et Florent Schmitt) sont de ce � p�lerinage encore plus nazi que mozartien �, selon la formule de Lucien Rebatet.
  • A la Lib�ration, Florent Schmitt est arr�t� : on lit ainsi dans le Time Magazine du 18 septembre 1944, dans l'article intitul� � La Musique et la Politique � (titre en fran�ais dans le texte) : � Still in jail was Lorraine-born Composer Florent Schmitt, whose symphonic and chamber music scores were among the most massive if not the most remarkable produced in prewar France. Schmitt had an enthusiastic collaborationist record.  �
  • A la Lib�ration, les poursuites judiciaires engag�es contre Florent Schmitt pour indignit� nationale ont �t� class�es sans suite. Mais il a �t� condamn� dans le cadre de l'�puration professionnelle : le 7 janvier 1946, le Comit� national d'�puration des gens de lettres, auteurs et compositeurs, a prononc� contre lui une peine d'interdiction d'�diter ou de faire jouer ses oeuvres pour une dur�e d'un an, � compter du 1er octobre 1944.

Voir compl�ments Florent Schmitt et l'Allemagne nazie (2)


L'Action Fran�aise - 2 d�cembre 1933

LES SPECTACLES
Une apostrophe de M. Florent Schmitt

Dimanche dernier au concert de l'Orchestre Symphonique de Paris, sous la direction du chef d'orchestre juif Abravanel, Mme Madeleine Grey, cantatrice juive, interpr�tait trois m�lodies de M. Kurt Weill, juif exil� d'Allemagne, qui a presque atteint la notori�t� avec l'Op�ra de quat'sous. Deux des morceaux avaient pass� la rampe sans encombre, quand, au troisi�me, intitul� Ballade de C�sar, un interrupteur, aussit�t soutenu, a bruyamment cri� � plusieurs reprises : � Vive Hitler ! � en ajoutant � cette interjection assez voyante � que l'on avait assez de mauvais musiciens en France sans h�berger tous les Juifs d'Allemagne �. L'on n'a pas tard� � s'apercevoir que le manifestant, qui r�cidiva, n'�tait autre que M. Florent Schmitt.
L'incident m�rite quelques commentaires.
Il va de soi, bien entendu, que le � Vive Hitler ! � de M. Florent Schmitt est atroce. Nous esp�rons d'ailleurs bien que M. Florent Schmitt ne songe pas � envoyer en hommage au chancelier le fanion des S.A. de la musique franco-naziste, brod� tant de clef de sol que de � svastikas �. Mais lorsqu'on a rencontr�, sur maints carrefours de la rive gauche, certaines physionomies crochues et louches fra�chement �vad�es des ghettos intellectuels de Francfort ou de Berlin, on incline � penser que s'adressant � un jud�o-allemand, M. Florent Schmitt lui parle le m�me langage qu'il saisira le plus rapidement dans sa symbolique brutalit�.
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Ceci dit, la personnalit� de l'interrupteur donne � son r�flexe un poids et une autorit� extraordinaire, pr�cieux en l'occurrence. Nous tenons depuis toujours en tr�s haute estime plusieurs compositions de M. Schmitt, son psaume, entre autres. Cependant, nous pensons, et nous ne sommes certes pas seul, que M. Schmitt, critique, est assez instable dans ses jugements. Parmi toutes les raisons qu'il avait de protester, il en est plusieurs qui nous plaisent fort, sans autre examen. Mais il est une qu'il a soulign� : c'est que la musique de M. Kurt Weill ne lui plait pas. L'on est oblig� d'y regarder d'un peu plus pr�s.
Nous n'�tions pas dimanche dernier salle Pleyel, nous ne connaissons pas les m�lodies incrimin�es. Les meilleurs t�moins affirment qu'elles n'ajoutent rien au langage de M. Kurt Weill, dont nous avions entendu l'essentiel : la musique du film de Pabst, l'Op�ra de quat'sous, � les deux op�ras de concert �, Mahagonny, Der Ja-Sager (quelle ironie ! ce pourrait �tre le symbole du dernier pl�biscite hitl�rien : � ja, ja, ja �, celui qui dit toujours oui). L'esth�tique de M. Kurt Weill est surtout caract�ris�e par l'extr�me minceur, la perp�tuelle r�p�tition du proc�d� employ� : M. Kurt Weill, � la fa�on de certains peintres de sa race, raffine sur quelques th�mes volontairement vulgaires, � blues �, valses, il y joint en sourdine une orchestration qui est celle d'un jazz corrompu. Deux ou trois de ces complaintes ont un accent tra�nard et doux qui semble percer les brumes de quelque faubourg grouillant et d�sol� de la Ruhr ou de la Sil�sie. C'est le chant sur un limonaire subtilement reconstitu� avec les fl�tes, les saxophones et les clarinettes, des paysages de phalanst�res et d'usines, briques et crassiers. Nous ne voyons rien qui interdise que ce chant soit �mouvant. Dans le cas de M. Kurt Weill, ce populisme syncop�, si on en a vite les ritournelles dans la t�te, ne tarde pas non plus � devenir irritant. Car tant qu'il y reste expressif, � chaque mesure on y flaire le go�t du chambardement, de la catastrophe, cultiv�s non pour une cause, mais pour eux-m�mes. C'est la part de sinc�rit� la plus manifeste chez M. Kurt Weill. le reste est facile, d�rivant toujours d'une seule recette, qui est certainement � la port�e de nombreux musiciens, que seul peut-�tre un jud�o-allemand pouvait ramasser et s'approprier. Cela est insinuant parfois, assez quintessenci�, toujours infiniment d�moralisateur. Et tous ces traits sont juifs au plus haut chef.
Il faut l'extraordinaire pauvret� cr�atrice de notre temps pour que l'on ait pu faire tout un bruit, soit enthousiaste, soit d�nigrateur, autour d'un Kurt Weill. Il faut le plus effarant oubli de tout sens critique ou �thique pour que l'on ait pu entrevoir quelque avenir dans une formule n�gative, qui aboutirait, pouss�e plus vivement, � la d�composition de l'art musical. Tout en redoutant le retour du pire acad�misme, plus mena�ant que jamais apr�s les exc�s de l'apr�s-guerre, l'on abandonne donc sans regret Kurt Weill, en gros et en d�tails. Remarquons toutefois que M. Florent Schmitt, vers 1924, prenait publiquement fait et cause pour M. Scho�nberg, le musicien du Pierrot lunaire, autre Juif mieux �lev�, beaucoup plus savant et casuiste que M. Kurt Weill, mais aboutissant par les voies de l'atonalit� aux m�mes fins anarchiques, et plus dangereux parce que plus s�rieux. Mais encore qu'il ne fut pas inutile de prendre, de sang-froid, une position suffisamment nette contre les partisans connus et probables de M. Kurt Weill, c'est pousser une discussion d'esth�tique beaucoup plus loin que ne l'a voulu M. Florent Schmitt.
Bien que l'on puisse, malheureusement, s'y tromper, M. Schmitt demande avant tout aux Parisiens combien de temps ils supporteront sans murmure le monopole d'Isra�l sur notre vie musicale. Il ne s'agit nullement de contester leur place � un Horowitz, une Wanda Landowska. Mais, pour un grand virtuose juif, nous comptons chaque ann�e des centaines de m�diocres ou d'ind�sirables, b�n�ficiant le plus ais�ment du monde d'une formidable organisation internationale de r�clame et d'habile solidarit�, de coteries politiques ou diplomatiques enfin, auxquels nous n'exposons trop souvent que notre badauderie. Neuf fois sur dix, le virtuose d'exportation, plaie de nos concerts, par son astucieuse vulgarit�, est un Juif. L'on a trop souvent invoqu�, en sa faveur, les � droits imprescriptibles � de l'esprit. L'exode des Juifs d'Allemagne tournant � l'invasion, Paris est en train de devenir la capitale intellectuelle du � peuple �lu �, semant autour de nous tous les germes de d�cadence qu'il porte depuis les Pharaons. Par bonheur, Isra�l s'�tale avec son �ternelle indiscr�tion, comme disent les Tharaud : indiscr�tion qui tourne si souvent � l'impudence. Et l'on s'en aper�oit enfin. M. Florent Schmitt demande s'il va devenir impossible de faire de la musique entre chr�tiens, comme aux grandes �poques, celles de Rameau, de Bach, de Mozart, de Rossini, de Chopin. Mais son indignation d�passe notre petit monde musical, et m�me celui, plus vaste, de tous les arts. Ind�pendamment du cri malheureux, le son de cette voix traduit l'irritation d'un nombre imposant de Fran�ais.

Lucien Rebatet


L'art Libre - Mai 1921
Un grand musicien fran�ais
Florent SCHMITT par Georges Chenn�vi�re

Nous avons la joie de publier ci-apr�s le texte int�gral de la belle, �tude que Georges Chennevi�re lut, le 5 avril, � la Galerie Giroux, avant l'audition des principales oeuvres de musique de chambres �crites par Florent Schmitt: durant ces derni�res ann�es.
Apr�s cette, magistrale introduction, l'auteur, Mlle Evelyne Br�lia, cantatrice, MM. Onnou, violoniste et Pr�vost, altiste, ex�cut�rent des m�lodies, la L�gende, pour alto et orchestre (au piano) et la Sonate, pour violon et piano: Une nous appartient pas de dire ici comment ces courts fragments d'une oeuvre aussi consid�rable que celle de Florent Schmitt suffirent � soulever une �motion unanime. Le g�nie du compositeur et le talent de ses interpr�tes y r�ussirent, cependant.

P. C.

Je suis trop respectueux de votre plaisir pour le retarder par de longs discours. Invit� par des amis � venir vous parler de musique, j'ai accept� pour deux raisons : la premi�re, c'est que l'occasion m'�tait ainsi offerte de prendre contact avec une grande ville et un grand peuple que je ne connaissais pas encore; la seconde, c'est que j'�prouvais d'avance quelque fiert� � vous entretenir de l'un des musiciens qui illustrent le plus l'�cole fran�aise, et pour qui j'ai toujours profess� la plus haute estime. Souffrez maintenant que je coupe court aux pr�liminaires d'usage, et qu'apr�s vous avoir remerci�s tr�s cordialement de l'honneur qu'on m'a fait et de l'accueil dont je suis t�moin, je passe, sans plus de pr�cautions oratoires, au sujet qui nous r�unit.
Le nom de Florent Schmitt vous est depuis longtemps familier. Je n'ignore pas que plusieurs de ses oeuvres, et non les moindres, ont d�j� �t� ex�cut�es � Bruxelles. Aussi, n'ai-je point l'inconvenante pr�tention de vous r�v�ler ce que vous savez tous, non plus que celle d'accabler un grand et modeste artiste sous le poids d'�pith�tes qu'il r�cuserait tout le premier, mais, simplement, le dessein de vous retracer les principaux traits de son oeuvre et de sa personnalit�, et de d�terminer en m�me temps la place qu'il occupe dans l'art contemporain. Cette place, il ne la doit qu'� lui-m�me. Florent Schmitt est un artiste dans la plus forte acception du mot, je veux dire un homme qui a vou� sa vie � l'exercice de son art, un travailleur obstin�, ind�pendant, �tranger aux coteries et aux chapelles, d�daigneux du succ�s, des intrigues et de la mode, et uniquement soucieux de r�aliser en musique l'id�e qu'il a du beau. Retenez ce hautain esprit d'ind�pendance; il est trop rare, � l'�poque o� nous, vivons, pour qu'on ne le salue, pas quand on le rencontre.
Il ne s'agit jusqu'ici que de qualit�s morales, et je conviens qu'� elles seules, elles ne suffiraient pas � nous garantir la valeur d'une oeuvre d'art. J'ai dit que Florent Schmitt ne sacrifiait pas � la mode. J'insiste, car la question d�passe de beaucoup l'individu et int�resse l'art tout entier. L'une des plus communes et des plus dangereuses erreurs d'aujourd'hui consiste � prendre les caprices les plus excentriques, lEs fantaisies les plus bizarres pour des manifestations du g�nie, et � ne voir dans Ce � modernisme � que lE mat�riel et le m�canisme de la vie contemporaine. Il en r�sulte que nombre d'artistes, m�me sinc�res, s'imaginent atteindre � l'originalit�, alors qu'ils ne font en somme que marcher � quatre pattes, ex�cuter des tours de passe-passe, et combiner � des onomatop�es rudimentaires; ou � des num�ros de t�l�phone les vocables extr�mement �vocateurs de� dancing �, de � coktail � ou de � cin�ma �. Les plus ambitieux: de ces artistes - je parle d'un point de vue g�n�ral, sans me permettre des allusions particuli�res - ne manquent pas, en outre, de justifier leur manie par des th�ories qui ont plus d'�clat que de profondeur. C'est ainsi que j'entendais r�cemment, dans une r�union ou je me trouvais avec quelques amis, un jeune musicien, fort agit�, d�velopper, pour le plus grand plaisir des esth�tes pr�sents, une th�orie toute nouvelle de la musique : � Il n'y a pas encore eu de musique, disait-il en substance, parce que tes musiciens n'y ont rien compris, pas plus Debussy que Wagner, Beethoven ou Rameau. Moi, je me moque de la m�lodie; l'harmonie je l'envoie promener : c'est une invention de professeur ; quant au rythme, �a ne compte pas. La musique, c'est ayant tout la plastique du silence... � Et, pour �clairer sa d�finition d'un exemple, il tira du. piano une cinquantaine, de bruits qu'il intitulait : Le carburateur exalt�. Voil� qui est fort beau, et ce qui me surprend en l'occurrence, ce n'est pas qu'un homme se. laisse aller, � d'aussi aimables folies, mais c'est que d'autres hommes soient assez aimables pour l'y suivre. Cette petite digression m'am�ne � dire que Florent Schmitt n'est pas de ceux qui croient que l'histoire commence avec eux et qui, plus bruyants qu'actifs, et emport�s par le besoin d'innover co�te que co�te, finissent par transformer l'art en une suite de parades et en un d�ballage de pacotille. Moins audacieux que mon th�oricien, il n'a, jusqu'� pr�sent, rejet� de la musique aucun des �l�ments normaux qui la constituent. Il n'a pas plus recherch� les succ�s officiels que les succ�s d'excentricit�. Il doit sa r�putation, qui est solide et durable, � des oeuvres m�ries, o� toutes ses facult�s de connaissance, de cr�ation et de composition s'�quilibrent pour organiser un fonds de richesses s�rieuses.
Vous avez peut-�tre lu, comme moi, des articles o� on le rattachait � l'�cole dite impressionniste, en le rapprochant de Debussy et de Ravel. A dire vrai, je ne vois rien de commun entre la musique de Schmitt et celle de Ravel ou de Debussy, en dehors des caract�res tr�s g�n�raux qui donnent un air de parent� aux oeuvres d'une m�me �poque. Il est bien certain que pour un auditeur superficiel, Schmitt est plus voisin de Ravel que de M. Paladilhe ou de M. L. Ganne, mais pour peu qu'on prenne la peine de comparer le Quintette de Schmitt au Quatuor de Debussy, et sa Trag�die de Salom� aux Nocturnes ou � la Rhapsodie espagnole, on s'apercevra tr�s vite qu'on, a affaire � des temp�raments oppos�s, voire � des conceptions diff�rentes de la musique. Florent Schmitt m'appara�t comme l'un de ceux qui, parall�lement ou cons�cutivement � ce qu'on est convenu d'appeler le Debussysme, ont redress� la barre et orient� leur art vers une autre voie. Si raffin� que soit celui de Debussy, et quelque admiration, que je porte � Pell�as ou � la Mer, je ne puis m'emp�cher de penser aux cons�quences n�fastes qu'aurait eues pour la musique et les musiciens une imitation aveugle de sa formule. Le Debussysme aboutissait � une diss�mination des forces musicales dans une atmosph�re harmonique, � une rupture de plus en plus fr�quente de la ligne et du plan tonal, � une sorte d'inactivit� rythmique qui n'�taient point, je me h�te de l'ajouter, l'effet d'une indigence, mais d'une �nervante fragmentation. Debussy lui-m�me, � partir-du Martyre de Saint S�bastien, s'est ressaisi. Quant � Florent Schmitt, il accuse, d�s ses premi�res oeuvres, des qualit�s qui le distinguent de son illustre devancier, et qu'il n'a cess� d'affirmer dans la suite.
On observe, en effet, chez lui, cet harmonieux accord des dons naturels qui assure � l'oeuvre la sant� et la dur�e, en d�pit des �poques, des tendances et des �coles. Je note, pour m�moire, qu'il est n� � Bl�mont, en Lorraine, tout pr�s de l'ancienne fronti�re, et, sans vouloir tirer de cette origine des inductions hasardeuses, je ne suis pas �loign� de croire qu'on en peut faire �tat pour expliquer chez lui une opini�tret� qui est vraiment de race. Il eut comme professeurs, au Conservatoire, Andr� G�dalge et Gabriel Faur�, autre circonstance qui n'est pas sans valeur. Andr� G�dalge, ma�tre incontest� du contrepoint et de la fugue, musicien �minent et m�connu (dont je vous recommande, si vous ne l'avez entendue d�j�, la 3eme symphonie, jou�e chez Colonne en 1910), a sans doute inspir� � Schmitt le go�t de la belle ordonnance classique et des justes proportions ; G. Faur�, dont l'�loge devant vous serait intempestif, l'a sans doute mis au courant des secrets subtils au moyen desquels la plus libre et la plus souriante fantaisie s'accommode des r�gles n�cessaires. Je ne pense pas �tre contredit par Florent Schmitt lui-m�me en avan�ant qu'il a tir� parti de ce double enseignement. Je passe sur le Grand Prix de Rome qui, en 1900, couronna ses �tudes. Sa personnalit� artistique a pu �tre, d'autre part, influenc�e par Wagner et par C�sar Franck, par les grands classiques allemands, et d'une fa�on g�n�rale par tous ceux que j'appellerai les � constructeurs �, pour les opposer aux � impressionnistes �. Il d�tient, comme un autre de ses contemporains que vous connaissez aussi, Paul Dukas, une volont� directrice qui, loin d'annihiler les dispositions naturelles, leur donne, au contraire, une impulsion m�thodique d'o� elles tirent leur efficacit�. Sa vertu pr�dominante, celle que nous retrouvons dans toutes ses oeuvres, de la premi�re � la derni�re, est la puissance, et une puissance qui se manifeste sous des formes multiples : dans la construction d'oeuvres amples, massives et d'assiette ferme, comme le Psaume XLVI et le Quintette en si mineur; dans la cr�ation d'id�es expressives qui s'imposent � l'auditeur et lui commandent l'attention, de rythmes qui ne se contentent pas d'�tre agr�ables � l'oreille et de flatter son go�t de la mesure, mais sont capables de soulever une foule et de lui dicter leur volont�, d'harmonies complexes qui v�tent les lignes d'un somptueux manteau; enfin dans une orchestration qui, visant plus haut qu'au frottements savoureux des timbres et � la voluptueuse d�sagr�gation des sonorit�s, groupe les unes et les autres en courants majestueux. Nous voici loin de l'impressionnisme : composition, sens des volumes, �quilibre des plans et des teintes, autant de caract�ristiques qui nous rapprochent bien plus de C�zanne que de Monet et de la po�sie contemporaine (j'entends celle d'un Jules Romains, d'un Luc Durtain, d'un Georges Duhamel, d'un Charles Vildrac,d'un Ren� Arcos ou d'un P.-J. Jouve) que de celle d'un Vi�l�-Griffin ou m�me d'un Verlaine. Il n'est pas inutile d'amorcer, sans les pousser davantage, de telles comparaisons, lorsqu'on veut d�gager l'orientation d'une �poque ou les tendances particuli�res d'un artiste.
Il y a dans la musique de Florent Schmitt autre chose que de la puissance,, mais un m�lange d'ardeur et de sensualit�, d'imagination et de nostalgie, de r�ve et de passion. Schmitt a beaucoup voyag�, en Espagne, en Autriche, en Allemagne, en Turquie. Il en a rapport� des impressions dont son art est marqu�, impressions qui sont moins pittoresques que psychologiques, moins ext�rieures qu'intimes. Cette d�tresse toute moderne de l'�me, qui se sent toujours en exil et s'efforce de substituer � la r�alit� quotidienne du lieu o� l'asservit le corps, le souvenir et l'�vocation des lieux o� elle aspire pour la seule raison qu'elle n'y est point, Schmitt l'a exprim�e en maintes oeuvres avec une �motion communicative. L'Orient joue un grand r�le dans le Psaume, dans la Trag�die de Salom�, dans la L�gende pour alto. Certes, il est difficile de fixer, pour un art aussi subjectif que la musique, le point pr�cis o� elle cesse d'�tre descriptive, et dans-quelle mesure elle transpose l'objet m�me ou l'impression � laquelle-il donne naissance. On peut toutefois affirmer, en ce qui concerne F. Schmit, qu'il ne consid�re jamais la description comme une fin, mais tout au plus comme un moyen de situer l'oeuvre et d'assortir � un d�cor fid�le des sentiments subjectifs.
Je passe de ces consid�rations g�n�rales, un peu longues peut-�tre � votre go�t, mais que j'estime n�cessaires, aux exemples susceptibles de les illustrer. Vous n'attendez pas de moi que j'�num�re toutes les oeuvres de Florent Schmitt qui se montent � soixante-dix environ. Je ne puis que mentionner, entre autres, l'Etude symphonique pour le Palais hant�, d'E. Po�, envoi de Rome, ex�cut�e pour la premi�re fois chez Lamoureux le 8 janvier 1905 ; les Musiques de plein air, ex�cut�es chez Lamoureux le 16 d�cembre 1906; la Rhapsodie viennoise, ex�cut�e chez Lamoureux le 29 octobre 1911 ; des oeuvres vocales comme la Danse des Devadasis (1900), ex�cut�e avec les choeurs et l'orchestre du Conservatoire, l'Hymne � l'Et�, le Chant de Guerre, les Chansons � quatre voix avec accompagnement d'orchestre, des oeuvres de musique de chambre comme le Chant El�giaque pour violoncelle et piano; un Andante et scherzo pour quatuor et harpe chromatique; un Lied et scherzo pour double quintette � vent. Je veux insister plus particuli�rement, avant d'arriver au programme d'aujourd'hui, sur ses compositions plus typiques : le Psaume, la Quintette, la Trag�die de Salom�, Antoine et Cl�op�tre.
Le Psaume XLVI pour orchestre, orgue, choeurs et soprano-solo, compos� en 1904 � Rome, ex�cut� en 1906 aux Concerts du Conservatoire, puis aux Concerts Colonne (1912), est une oeuvre monumentale que je range parmi les plus belles de notre �poque. Edifice sonore aussi imposant par son architecture que par son contenu, c'est � lui surtout que je pensais en vous parlant plus haut de la puissance de Florent Schmitt. Imaginez un temple s�v�re, plein de fid�les, et dans les demi-t�n�bres duquel scintille la lueur des lampes sacr�es. La foule y chante sa foi et la gloire du Seigneur dans tous les modes, le terrible, le langoureux, le voluptueux, le d�lirant, le dionysiaque. Malgr� sa densit� anormale, le Psaume est construit sur un plan tr�s clair, imm�diatement saisissable. Il comprend six parties, dont chacune commente un verset du texte biblique : l'Appel aux Nations, la puissance redoutable de J�hova, la Domination, l'Election divine, l'Ascension, le Triomphe. Un crescendo de trompettes am�ne le tutti fortement scand� : � Gloire au Seigneur ! � auquel succ�dent le choeur � Nations, frappez des mains, toutes ensemble ! �, puis une furieuse danse sacr�e � 5/4. La deuxi�me partie comporte un solide d�veloppement fugu� sur le choeur � 3/2 : � Parce que le Seigneur est tr�s �lev� et tr�s redoutable�. Le motif de danse repara�t dans la troisi�me partie, suivi d'un th�me plus rude, � mosa�que �, que le choeur et l'orchestre r�p�tent avec des inflexions tour � tour douces et violentes. Le peuple �lu chante, berce et exalte la force que Dieu lui a transmise. L'interlude orchestral qui pr�c�de la quatri�me partie est empreint de cette suavit� aussi sensuelle que mystique, que je vous ai d�j� signal�e. On songe � des femmes tr�s brunes, tr�s belles et tr�s fard�es, par�es d'�toffes et de joyaux rares et chantant avec leur corps autant qu'avec leur voix un hymne lascif et religieux, qui flotterait dans l'encens et la myrrhe. La phrase se balance, molle et nue, entre le violon et le basson, le cor et la fl�te, au-dessus des harmonies myst�rieuses du quatuor et pr�pare l�chant du soprano c�l�brant la beaut� de Jacob. La foule se joint � l'orchestre; le chant devient fr�n�tique, puis retombe pour mourir dans les jeux de fonds les plus att�nu�s de l'orgue. Les deux derni�res parties forment un crescendo unique et sans d�faillance. Des arp�ges graves pr�ludent au th�me de l'ascension divine, entonn� d'abord par les basses, puis, gravissant par degr�s d�cisifs le choeur et l'orchestre tout entiers pour rayonner enfin � la cime des sonorit�s les plus aigu�s. Le chant du d�but repara�t, puis la danse sacr�e, li�e au choral du 2me verset par un solide contrepoint qui affirme d�finitivement la Toute-Puissance et conclut en une superbe p�roraison. Ma parole est bien infirme, au regard de cette oeuvre qui n'est point indigne des oratorios classiques, et qui, dans son genre, me semble la plus forte qu'on ait produite depuis les B�atitudes de C. Franck. Je ne connais, dans la g�n�ration de Florent Schmitt, aucun autre musicien qui e�t �t� capable de l'�crire. Je me suis �tendu sur elle avec une complaisance que ne me reprocheront pas ceux qui, comme moi, croient � un renouvellement,, de l'art musical par la cr�ation d'oeuwes larges, humaines, capables de rendre � la musique le pouvoir de rassemblement qu'elle a perdu. Je regrette que les circonstances actuelles ne permettent pas aux directeurs de concerts de jouer davantage ce Psaume XLVI, qui, en quinze ans, n'a b�n�fici� que de cinq ex�cutions.
Le Quintette en si mineur soutient la comparaison avec celui de Franck, et demeure l'une des plus consid�rables oeuvres de musique de chambre qui aient vu le jour depuis cinquante ans. Commenc� � Rome en 1905, achev� en 1908 dans les Pyr�n�es, il a �t� remani� plusieurs fois, jusqu'� la version d�finitive dans laquelle on l'a ex�cut� ici. Je ne veux pas me donner l'air de vous en dire les m�rites, puisque vous le connaissez autant que moi. Il s'apparente au Psaume par la vigueur du d�veloppement et du rythme, par le souffle de l'inspiration, par un caract�re essentiellement dynamique. Je vous rappellerai, dans le premier mouvement, la belle introduction sur les deux th�mes expos�s l'un par les cordes et le deuxi�me par le piano, la lutte entre les deux sujets, de l'alto et du premier violon; l'interlude agreste qui conduit au deuxi�me mouvement, plus lent et plus calme; enfin la danse violente, sauvage qui, plusieurs fois interrompue, s'affirme plus tyrannique que jamais dans le finale.
Schmitt n'a pas �crit d'oeuvres th��trales � proprement parler, mais il a compos� deux partitions de musique de sc�ne o� il r�v�le d'�minentes qualit�s dramatiques. Le personnage de Salom� �tait de nature � l'inspirer tout particuli�rement. Il a inspir� deux autres musiciens, R. Strauss et Andr� Mariotte, et la critique a d�velopp� de longs parall�les entre les trois oeuvres. Si estimable que soit celle de Mariotte, on sent qu'il y est g�n� par le texte surcharg� d'Oscar Wilde, et bien que Strauss et F. Schmitt aient �crit leur musique sur deux po�mes diff�rents, le premier sur le m�me que Mariotte, le second sur un mimodrame de Robert d'Humi�res, la comparaison est plus facile entre les deux et on l'a pouss�e � tel point que certains musicographes ont surnomm� Schmitt le Strauss fran�ais. Le rapprochement me semble injustifi�. Certes, Strauss et Schmitt se ressemblent par leur virtuosit� orchestrale, par la prodigieuse aisance qu'ils d�ploient � soulever la masse des instruments et � en exprimer le maximum de suc, mais on peut reprocher � Strauss une sorte de grandiloquence souvent creuse, qu'on ne rencontre nulle part chez F. Schmitt. La derni�re sc�ne de la Salom� allemande est, en outre, impr�gn�e d'un �rotisme, j'allais dire d'un sadisme plus violent que fort et qui finit par devenir insupportable. Schmitt a exprim� la sensualit� orientale d'une fa�on plus subtile et avec un go�t plus s�r. Sa Trag�die de Salom�, cr��e sous sa forme chor�graphique par Lo�c Fuller, le 9 novembre 1907, au Th��tre des Arts, r�alis�e depuis avec des mises en sc�ne diff�rentes par Natacha Trouhanowa au Ch�telet, aux Ballets Russes par Thamar Karsavina, puis � l'Op�ra par Ida Rubinstein, est chaude, riche, �tincelante, parfum�e, comme les voiles de l'h�ro�ne. Elle dessine autour de la terrible l�gende un troublant commentaire, et l'enveloppe d'une atmosph�re orageuse qui renforce l'�motion et recule la perspective. Je pense plus sp�cialement au pr�lude o� s'alanguit voluptueusement le th�me de Salom� devant les terrasses l�ch�es par le cr�puscule, aux � enchantements de la mer �, d'o� surgit, comme une tentation, la voix luxurieuse du vieux p�ch�, et � la � Danse de l'effroi � qui pr�cipite les monts, les eaux et les hommes dans une sorte de d�lire infernal.
Les six morceaux de musique de sc�ne, �crits par F. Schmitt pour le drame shakespearien d'Antoine et Cl�op�tre, repr�sent� en septembre 1920 � l'Op�ra dans la traduction d'Andr� Gide, constituent comme une synth�se musicale de la pi�ce et traduisent avec une intensit� poignante aussi bien le d�cor et le milieu que l'�me et les passions des personnages. Le premier pr�lude qui sert d'exposition, avec son beau th�me qui fr�mit, s'exalte et s'affaisse; le Camp de Pomp�e, tumultueux et m�tallique; la Nuit dans le Palais de la Reine, la Bataille d'Actium, l'Orgie, la Mort, sont autant de pages o� l'on retrouve, � leur degr� d'excellence, les qualit�s que j'ai analys�es plus haut : une armature puissante, une grande richesse d'id�es et de coloris, une invention rythmique � laquelle je ne vois gu�re d'�quivalent dans les oeuvres actuelles, et surtout, j'insiste sur ce point avant de passer aux oeuvres qui seront ex�cut�es ce soir, un merveilleux �quilibre entre le fond et la forme, entre le cerveau qui choisit et les mat�riaux dont il dispose. N'y �-t-il pas l� tous les �l�ments d'un style v�ritable, et une virile r�action contre ces tendances anarchiques, dont se r�jouissent les amateurs de sensations nouvelles, mais, qui n'iraient � rien moins qu'� tuer l'art dans un temps o� il est plus, que jamais n�cessaire d'en rattacher les membres disjoints par un demi-si�cle d'individualisme sp�cieux et de d�sordre foncier ?
J'en arrive aux oeuvres du programme. Si je ne leur ai pas consacr� toute l'�tendue de ma conf�rence, c'est que j'aurais ainsi pens� faire tort � l'ensemble de l'oeuvre de FI. Schmitt, et que, pour les appr�cier convenablement, j'aurais �t� tout de m�me oblig� de recourir aux consid�rations et aux exemples que je viens de vous soumettre. Ces oeuvres, tout au moins la L�gende et la Sonate, ressortissent � la derni�re mani�re de F. Schmitt; elles marquent l'�panouissement et la maturit� de, ses dons, en m�me temps qu'un all�gement dans la forme, une tendance vers un style plus clair, plus d�pouill�, plus concis. Tout artiste, si grand qu'il soit, a des d�fauts qui sont la ran�on de ses qualit�s : les d�fauts de F. Schmitt consistaient peut-�tre en une complication exag�r�e, en un exc�s de p�te, en un go�t trop marqu� pour ce que j'appellerai l'�criture en hauteur. Ses derni�res oeuvres t�moignent d'une sensible �puration, d'une simplification progressive, qui, loin de signifier l'�puisement, annoncent, au contraire, la pl�nitude la plus f�conde.
Les six chants qu'interpr�tera tout � l'heure Mlle Evelyne Br�lia s'inspirent des po�tes les plus divers : A. Samain, J. Richepin, L. Tailhade, M. Maeterlinck, R. de Montesquiou et G. J. Aubry. Ce sont des oeuvres tr�s travaill�es, o� le musicien ajoute au po�te, et o� les vers ne sont qu'un pr�texte � de multiples combinaisons sonores. La ligne m�lodique en est flexueuse, l'accompagnement raffin�. Elles exigent de l'ex�cutant une technique �prouv�e, de l'auditeur une sensibilit� avertie. La plus r�cente, Star, me semble la plus incisive, sinon la plus simple. Car Florent Schmitt n'�crit pas une mesure sans la soigner.
La L�gende pour alto et orchestre a �t� ex�cut�e pour la premi�re fois aux concerts Pasdeloup, il y a deux ans, et, sous la forme pianistique, � un concert de la S.M. I., en f�vrier 1919. F. Schmitt a toujours eu, comme H. Berlioz, une pr�dilection �vidente pour le timbre chaud et moelleux de l'alto, auquel il fait jouer un r�le pr�pond�rant dans son Quintette. Sa L�gende, qui est � la fois, comme l'a fort bien dit Albert Roussel, fantaisiste et tourment�e, �voque un d�cor oriental, sans que l'auteur y ait prodigu� de couleur locale � proprement parler. Elle d�bute par un th�me assez ind�cis et d'allure volontairement improvis�e, qui a pour but d'accorder les deux instruments. On pense � quelque chanteur arabe, rejetant la t�te en arri�re, et attirant le public par des vocalises. Sa m�lop�e est interrompue par quelques rappels des accords de l'introduction. Puis, le public �tant accouru, le th�me coule, d'abord nonchalant, mouvement� ensuite, balanc� comme en un r�ve du piano � l'alto, qui le reprend d�finitivement avec aisance et suavit�. Il est difficile d'analyser verbalement des pages aussi �vocatrices. Il serait oiseux de les r�duire � un sch�ma explicatif. Je ne vous donne pas mon interpr�tation pour la meilleure, et je m'en rapporte � vos impressions personnelles pour la rectifier au besoin, la musique �tant le seul de tous les arts qui pr�te � l'imagination une perspective ind�finie.
La Sonate pour piano et violon (Sonate libre en deux parties encha�n�es. - Ad modum Clementis aquae) qui termine le programme et que j'ai volontairement r�serv�e pour la fin de ma causerie, m'appara�t non pas comme un aboutissement, car Florent Schmitt a encore de longues ann�es devant lui, mais comme le point le plus haut de la courbe qui dessine son �volution. Toutes ses qualit�s s'y condensent en un tout harmonieux et s'y �panouissent en une sorte de floraison logique et ordonn�e. Le titre et le sous-titre ont de quoi vous surprendre. Cette sonate est libre en ce sens qu'elle n'est pas rigoureusement asservie au plan classique, et qu'elle comporte deux parties encha�n�es l'une � l'autre par un simple point d'orgue. antith�se de libre et d'encha�n� a entra�n�, dans l'esprit de l'auteur, une association d'id�es dont vous pouvez facilement deviner le m�canisme. Homme libre, homme encha�n�, ad modum d�mentis aquoe, il aurait presque fallu dire pour parfaire le jeu de mots ad modum Clementis stulti, � la mani�re de Cl�ment (s euphonique)eau, � la mani�re de Cl�ment-sot. Pardonnez cette boutade innocente � un homme qui n'a �crit, comme on dit, que de la musique savante.
La Sonate pour violon et piano comprend donc deux mouvements, le premier beaucoup moins d�velopp� que le second. Je pense au tronc d'un arbre, qui, � une certaine hauteur se ramifie et pousse � droite et � gauche des branches garnies de feuillage et de fleurs. Une introduction assez br�ve nous conduit � l'exposition du th�me principal, dont le d�veloppement est coup� par les rappels du d�but, puis par un refrain qui r�tablit le calme et pr�pare la rentr�e du th�me: au milieu d'harmonies savoureuses. Le second mouvement, plus rapide et plus agit�, proc�de du premier par germination, s'il m'est permis de recourir au langage botanique pour parler d'une oeuvre musicale. Des accords de violons barbares, exprimant une sorte de r�ve exotique, pr�ludent � l'exposition d'un th�me vigoureux, sur lequel bourgeonne un motif incidentel qui se pr�cise peu � peu, et nous conduit � un deuxi�me th�me, de nature plus m�lodique, lequel monte toujours en une ascension majestueuse, scand�e par des sonorit�s de cors ornementales. Une accalmie survient, qui dirige le th�me vers une r�exposition; plus agit�e, rythm�e � la fa�on d'une danse. Un passage polyphonique nous ram�ne � la phrase initiale de la sonate qui se boucle ainsi naturellement.
Cela est tr�s mal exprim�, mais comment rendre par des mots l'impression qu'on retire d'une oeuvre musicale? Tout au plus y pourrait-on parvenir par une transposition po�tique, et j'avoue qu'elle trahirait sans doute le musicien. Si je me suis montr� inf�rieur � mon sujet, n'imputez cette inf�riorit� qu'� une discr�tion bien l�gitime. En vous disant tout ce que je pense de F. Schmitt, en vous confiant tout ce que m'inspirent ses oeuvres, je risquerais fort d'exasp�rer votre impatience, et d'aller, ainsi au rebours du r�sultat que je souhaite. Mieux vaut que je laisse la place � l'auteur et � ses interpr�tes, Mlle Evelyne Brelia, M. Pr�vost et M. Onnou, qui vous donneront des oeuvres dont je vous ai parl� une id�e bien meilleure que n'ont pu faire mes commentaires. Mais avant de leur remettre le pouvoir, laissez-moi vous remercier une fois encore, j'esp�re que ce ne sera pas la derni�re, de la bienveillante attention que vous m'avez accord�e et de la sympathie avec laquelle vous avez suivi notre premier entretien.

GEORGES CHENNEVIERE


Note sur Lucien Rebatet (1903-1972) : Lucien Rebatet rejoint Vichy en 1940, o� il travaille � la radio, puis Paris, o� il publie en 1942, "Les D�combres". Ce pamphlet, qui explique que la seule issue pour la France est de s'engager � fond dans la Collaboration avec l'Allemagne nazie, sera d�sign� comme le � livre de l'ann�e � par Radio Paris.
Son dernier article, publi� le 28 juillet 1944, s'intitule � Fid�lit� au national-socialisme �, puis il fuit vers l'Allemagne. Arr�t� � Feldkirch le 8 mai 1945, il est jug� le 18 novembre 1946 et condamn� � mort. Le 10 avril 1947, la condamnation � mort est commu�e en peine de travaux forc�s � perp�tuit�, apr�s cent quarante et un jours de cha�nes. Il sera finalement graci�, et lib�r� le 16 juillet 1952.

R�daction : Thierry Meurant

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