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Antoine-Alexandre Jandel (1783-1862), architecte de l'h�tel de ville



Dans son Histoire du Bl�montois dans les temps modernes, l'abb� Dedenon livre cette tr�s courte information : �� A Bl�mont, les locaux de l'hospice devenaient insuffisants : ils furent agrandis, en 1827. Ceux de l'h�tel de ville surtout criaient mis�re : ils furent remplac�s par l'�difice actuel, dont le dessin est d� � l'architecte Jeandel.�

Jean Nicolas Antoine Alexandre Jandel na�t � Pompey le 6 octobre 1783. Il est le fils de Jean Nicolas Jandel, avocat au parlement, seigneur de Braux, de Nayves-en-Blois et de M�ligny (et ancien Directeur et caissier de la verrerie de baccarat), qui habite Nancy mais dispose d'une maison de campagne � Pompey.
L'acte de mariage d'Antoine Alexandre Jandel et Marie Elisabeth Josephine Chabert � Gerbeviller le 13 ao�t 1809, porte la mention �� �l�ve ing�nieur des Ponts-et-Chauss�e, domicili� � Champey �. Le terme �� �l�ve � n'est pourtant plus de mise, car si Jandel est parfois cit� comme �� architecte �, il apparait le plus souvent sous sa v�ritable d�signation �� ing�nieur des ponts et chauss�es �, ayant int�gr� l'�cole polytechnique � compter du 1er frimaire an XII (23 novembre 1803) et �t� admis le 30 octobre 1806 dans le service public des Ponts-et-Chauss�es.

De nombreux �l�ments biographiques sur Jean Nicolas, Antoine Alexandre et son �pouse, figurent dans la �� Vie du r�v�rendissime p�re Alexandre-Vincent Jandel soixante-treizi�me maitre g�n�ral des fr�res-pr�cheurs � (par Hyacinthe-Marie Cormier, Ed. Paris 1896), biographie consacr�e au fils a�n� du couple.

Un premier projet de construction d'un h�tel de ville � Bl�mont, avec halle, �cole et tribunal est pr�sent� par Jandel en 1828 pour un montant de 85.000 francs sans honoraires et 5.000 francs de vieux mat�riaux. Ce projet, avec halle au rez-de-chauss�e, h�tel de ville et salle de justice de paix au premier niveau et �coles au second niveau, est rejet� par un rapport du 22 f�vrier 1828 qui soul�ve divers probl�mes :
  • il manque le plans des caves ;
  • les escaliers donnant sur halles pourraient avoir deux r�volutions au lieu d'une ;
  • la distribution des pi�ces de l'h�tel de ville est fortement critiqu�e : il faut cr�er pi�ce de d�gagement donnant acc�s au secr�tariat, aux archives, au cabinet du maire ;
  • pour la justice de paix, il n'y a pas de cabinet pr�vu pour le juge et une pi�ce de d�gagement est � cr�er ;
  • la pr�sence des �coles au-dessus de la salle du Conseil municipal est jug�e incorrecte � cause du bruit ;
  • les plans ne pr�sentent pas de latrines, et il convient d'en faire � chaque �tage ;
  • les piles des �l�vations aux angles du rez-de-chauss�e sont trop faibles ;
  • il convient de faire une arcade d'entr�e aux vestibules devant les escaliers, et au premier niveau, de faire reposer les crois�es sur un bandeau et de pr�voir un encadrement aux crois�es c�t� place ;
  • la hauteur de 4,15 m�tres sous poutres est jug�e insuffisante ;
  • dans le salle du conseil une chemin�e est jug�e pr�f�rable au po�le ;
  • deux grands escaliers sont consid�r�s comme inutiles, tout comme les greniers.
Jandel refera son projet en tenant compte de ces observations, et le projet sera d�finitivement adopt� le 23 juin 1829, pour un total de 93.000 francs (hors honoraires) : le b�timent comprend la halle au bl� avec corps de garde et pompe � incendie au rez-de-chauss�e, et h�tel de ville et justice de paix au premier �tage. Les mat�riaux sont la pierre de taille, la ma�onnerie de moellons pour le surplus des murs, et la charpente est en ch�ne et sapin.

H�tel de Ville - 1829
H�tel de Ville - 1829
Rez-de-chauss�e
H�tel de Ville - 1829
H�tel de Ville - 1829
Entresol
H�tel de Ville - 1829
H�tel de Ville - 1829
Premier �tage
H�tel de Ville - 1829
H�tel de Ville - 1829
Coupe
H�tel de Ville - 1829
H�tel de Ville - 1829
Fa�ade sur la place
 

Parmi les projets et r�alisations de Antoine Alexandre Jandel on peut citer :
  • en 1815, des travaux pour les gendarmeries de Nancy, Lun�ville, Toul, Bayon, Baccarat, V�zelise, et Bl�mont (co�t de 3.945 francs pour cette derni�re) ;
  • en 1820, un projet de r�paration de la couverture de l'�glise de Saint-Nicolas de Port ;
  • en 1820, la construction, � la demande du Pr�fet, du presbyt�re de Laloeuf, et de l'�cole de Vroncourt ;
  • en 1820, des travaux � la gendarmerie de V�zelise ;
  • en 1822, des travaux destin�s � changer le cours de la Meurthe au haras de Rosi�res-aux-Salines ;
  • en 1822, la construction d'un hangar pour le haras de Rosi�res-aux-Salines ;
  • en 1823, un projet ajourn�e de restauration de l'asile d'ali�n� de Laxou ;
  • en 1823, des travaux des reconstruction du man�ge du haras de Rosi�res-aux-Salines ;
  • en 1827, un projet de r�paration au s�minaire de Nancy, pour reconstruire la couverture, le pl�tre et les enduits des murs et plafonds, �tablir un ma�tre-autel et deux autels secondaires, le menuiserie, etc. Le projet sera refus� avec ce commentaire peu flatteur : �� Jandel est sorti de ses attributions naturelles et il serait sage de ne point envahir les fonctions d'architecte pour lesquelles il ne para�t pas poss�der l'acquis n�cessaire � ;
  • en 1828, des travaux au s�minaire de Nancy pour la r�paration de la chapelle ;
  • ...
Antoine Alexandre Jandel d�c�de � Nancy le 18 d�cembre 1862 (son �pouse y est d�c�d�e le 29 septembre 1854).


Vie du r�v�rendissime p�re Alexandre-Vincent Jandel soixante-treizi�me maitre g�n�ral des fr�res-pr�cheurs
Hyacinthe-Marie Cormier (Ed. Paris 1896).

[Page 1]
Le P�re Alexandre-Vincent Jandel naquit � Gerb�viller, en Lorraine, l'an 1810. Rien de remarquable, sous le rapport de la noblesse ou de la fortune, ne signale ses anc�tres. Son a�eul paternel �tait fils d'un simple paysan charg� du transport des mat�riaux dans une usine de verrerie, � Saint-Quirin. L'enfant aimait sans doute � monter sur la voiture de son p�re pour y prendre ses �bats ; l'abb� de Saint-Ignon, propri�taire de l'usine, le remarqua, s'int�ressa � lui et lui fit faire ses �tudes. Il �tait, en effet, sup�rieurement dou�, devint avocat brillant au parlement de Nancy, et se fit une fortune. Malheureusement, il �tait joueur; tout son avoir dut �tre vendu peu � peu, pour payer ses dettes.
Mari� en 1769, il eut en 1783 un fils qu'il appela Antoine-Alexandre. Celui-ci, n�glig� par son p�re, passa une partie de son enfance � Champel, pr�s de Lun�ville, maison de campagne qui avait �chapp� aux dilapidations du jeu.
Il ne lui resta plus tard, comme souvenir de ses premi�res ann�es, que la douce et triste image de sa m�re enlev�e � son affection, quand il n'avait que sept ans, apr�s avoir beaucoup souffert. En dehors de l�, il ne se rappelait que le passage de nombreux r�giments pendant la r�volution, et les longues chevauch�es faites � travers les bois, avec un brave Hongrois, prisonnier des campagnes d'Italie, devenu son fid�le serviteur, presque son ami. Il tenait d'ailleurs de sa race une haute stature, un temp�rament robuste, une force de corps peu commune, que cette vie au grand air avait contribu� � d�velopper.
Malgr� les lacunes de son instruction primaire, il fut admis, en 1804, � l'Ecole polytechnique o� il eut pour r�p�titeur Arago, le futur membre de l'Institut et du Gouvernement provisoire de 1848. Il sortit un des premiers de cette �cole, et y remplit lui-m�me les fonctions de r�p�titeur pendant un an, apr�s ses cours d'application des ponts et chauss�es.
De retour � Champel et jugeant le moment venu de s'�tablir dans le monde, il jeta les yeux sur une jeune personne de Gerb�viller, appel�e Mlle Jos�phine Chabert-Marquis, soeur d'un de ses camarades de l'Ecole polytechnique (*).
Mlle Chabert n'�tait pas moins remarquable par sa foi vive que par son jugement droit, son �nergie, son esprit d'initiative et l'am�nit� de ses mani�res. Au plus fort del� terreur, le cur� de Gerb�viller, M. Bessat, avait d� s'exiler, et le vicaire, M. Hunal, se tenait cach� pr�s du pays, errant dans les bois ou de maison en maison ; Jos�phine, �g�e � peine de 14 ans, secondait vaillamment le minist�re de ce jeune pr�tre. Ses parents, il faut le dire, �taient de connivence; moins actifs qu'elle, ils donnaient leur fortune ; et l'argenterie, � son tour, y passa. L'abb� Hunal, qu'elle tenait au courant de tout, venait fr�quemment la nuit, � l'aide de d�guisements successifs qu'elle inventait et lui enseignait � bien porter, pour administrer les secours de la religion aux fid�les. Que de fois ne vit-on pas Mlle Chabert, � la faveur des t�n�bres, sans craindre ni la police ni les autres dangers, porter de petits enfants entre ses bras pour leur procurer le bienfait du bapt�me ? Et combien de ces pauvres cr�atures n�es de parents forcen�s r�volutionnaires entre tous, ne lui durent-elles pas leur admission dans le sein de l'Eglise ?
Un enfant, en particulier, fruit de l'inconduite, excita sa compassion; elle s'en constitua la marraine, et le secourut constamment dans sa pauvret�. Joseph, elle l'avait ainsi appel�, en souvenir de son propre nom de Jos�phine, r�pondit mal � ce d�vouement ; par un coup de t�te il s'engagea dans l'infanterie de marine et passa au S�n�gal. Quand il en revint malade et sans ressources, elle le soigna, lui acheta les outils de sa profession et le maria, sans le ramener pour cela � des habitudes r�guli�res. Us� par la boisson, il mourut � l'h�pital de Nancy; mais chr�tiennement; c'�tait la r�compense de plus de trente ans de charit� et de pri�res.
Gerb�viller ne fut pas, du reste, l'unique th��tre du courage de Jos�phine, elle alla m�me jusqu'� p�n�trer dans la prison de Nancy pour y consoler sa parente Mme de Foucault, qui fut inopin�ment sauv�e de la mort, par la chute de Robespierre, le 9 thermidor.
Avec toutes ces qualit�s, la jeune fille montrait des aptitudes litt�raires tr�s avanc�es pour son �ge. Elle ne se lassait pas, ont racont� ses intimes, de lire les auteurs du dix-septi�me si�cle ; elle avait surtout la fibre corn�lienne. Enthousiaste et �nergique comme Charlotte Corday, pieuse et raisonnable comme Mme de Lescure, elle se tenait, par ses aspirations, � mi-chemin de ces deux femmes c�l�bres, mais �tait de leur taille par l'intelligence et le coeur. En vain, son confesseur lui reprochait-il sa passion pour Racine et autres tragiques ; il la trouvait imp�nitente. Elle excellait aussi � interpr�ter les romances sentimentales de l'�poque, et un jour elle ne put ma�triser � l'�glise un acc�s de fou rire, en entendant chanter un cantique sur l'air d'une romance peu faite pour le saint lieu.
Quoique ses pr�f�rences fussent pour les charmes de l'esprit, elle ne d�daignait pas les ornements ext�rieurs et les portait fort bien. Un jour qu'elle assistait au sermon de la Congr�gation de la sainte Vierge, dont malgr� tout, ses qualit�s s�rieuses et son' ascendant sur les jeunes filles l'avaient fait nommer pr�sidente, le pr�dicateur tonna contre le luxe et les ajustements des femmes, et il crut donner le coup d�cisif par cette apostrophe : �� Du reste, en �tes-vous pour cela plus belles ? � - �� Oui �, r�pondit tout bas la pr�sidente ; et elle accentua son dire par un geste de la t�te. Le pr�dicateur, sans entendre le mot, remarqua le geste et lui en demanda raison � la sacristie, apr�s la s�ance ; mais elle maintint son sentiment. Elle n'entendait pas contester les dangers d'une parure abusive, au point de vue de la pi�t�; mais pr�tendre qu'au point de vue de la gr�ce ext�rieure, il n'en ressort aucun embellissement, lui semblait une fausset�. Elle mettait du reste, dans cette application � la toilette, la plus grande innocence; et tout en elle, soin de la parure, gracieuset� dans les mani�res, passion litt�raire, faisait place � une dignit� fi�re devant l'ombre du mal.
Ce fut � cette �poque qu'elle connut M. Jandel, jeune ing�nieur; elle gagna promptement ses sympathies et n'h�sita pas � les lui rendre. Son ext�rieur distingu�, la convenance de ses mani�res, ses talents pr�coces, la bont� r�pandue sur son visage, tout lui plaisait. Le projet d'alliance fut donc bient�t arr�t�. La malheureuse question de fortune faillit tout faire �chouer ; Jos�phine n'avait pour toute dot que ses qualit�s personnelles ; et le p�re du jeune homme, ruin� par le jeu, voulait une belle-fille qui apport�t de la fortune. Avec sa volont� de fer, il s'opposa plusieurs ann�es au mariage, mais se heurta contre une �nergie pers�v�rante, d'autant plus forte qu'elle �tait rev�tue de formes plus respectueuses. Enfin, en 1809, � demi vaincu par la fermet� de son fils, � demi subjugu� par les qualit�s de la jeune fille, il donna son consentement, sans toutefois fournir aucun secours p�cuniaire. C'�tait assez pour les deux fianc�s. Ils s'unirent devant l'Eglise, et Dieu ne tarda pas � leur donner de meilleures richesses que l'or et les pierreries.
Trois enfants furent le fruit de leur mariage, un fils et deux filles. L'ain�, celui-l� m�me dont nous retra�ons la vie, naquit le 18 juillet 1810, la veille de la f�te de saint Vincent de Paul, � Gerb�viller, pendant un s�jour qu'y faisait accidentellement sa m�re, car le jeune m�nage, � cause de la profession du mari, habitait Nancy. On le baptisa sous le nom de Jean-Joseph-Alexandre, dans la chapelle du ch�teau, ancienne �glise des Carmes. Depuis cette �poque, sa m�re se sentit une plus sp�ciale d�votion pour cette chapelle, lieu de son propre bapt�me; elle y entrait souvent pour prier, tandis qu'elle laissait son enfant jouer sur l'herbe, pr�s de la porte, afin de ne pas le perdre de vue. Lui aussi se rappelait avec d�lices, surtout � la fin de sa vie, ce sanctuaire, et ses jeux enfantins sur la pelouse, et la pi�t� de sa m�re. Aussi, quand on restaura la chapelle, il tint � honneur, en reconnaissance de ces gr�ces premi�res, de lui offrir une partie du corps de saint Tharcise, protomartyr de l'Eucharistie, qu'il avait pu obtenir � Naples.
Dans sa premi�re enfance la sant� du petit Alex (c'est ainsi qu'on l'avait surnomm�), donna de vives et continuelles inqui�tudes � ses parents, tant il �tait ch�tif et malingre; sa m�re, d'autre part, ne put continuer � le nourrir, malgr� le d�sir ardent qu'elle en avait. Mais, craignant qu'une nourrice ne transm�t � l'enfant quelque chose de ses infirmit�s physiques ou morales, elle se r�solut de l'�lever au biberon. Ce qu'il lui fallut de sollicitudes, d'industrie et de patience ne peut s'exprimer; n�anmoins elle r�ussit. Pendant ses quatorze premiers mois, le petit enfant avait �t� souffreteux, ses plaintes �taient si continuelles qu'une nuit, ne l'entendant pas, ses parents accoururent � son berceau, tremblant de le trouver mort ; mais il dormait paisiblement, et ce sommeil favorable continua depuis lors.
La naissance d'une autre enfant, Gabrielle, vint compl�ter la joie des parents (**). Le foyer se peuplait, s'emplissant d'une pieuse all�gresse. Avant tout, Dieu y r�gnait et y versait ses gr�ces. M. Jandel, indiff�rent pendant sa jeunesse en mati�re religieuse, comme presque toute sa g�n�ration, avait cherch� la v�rit� d'un coeur droit; les conf�rences de M. de Frayssinous assid�ment suivies � Paris pendant ses loisirs d'�tudiant, l'avaient �clair�. L'ascendant de sa ch�re Jos�phine acheva en lui l'oeuvre de la persuasion. Une fois convaincu, il alla jusqu'au bout et ne d�via plus ; c'�tait avec une noble et g�n�reuse simplicit� qu'il accomplissait tous ses devoirs religieux, sans ostentation, comme sans respect humain.
M. Jandel avait pour qualit� principale un coeur aimant et d�vou� ; en lui le sentiment pr�venait la r�flexion et lui nuisait souvent. Sa femme, tout aussi g�n�reuse, mais dou�e d'une raison plus p�n�trante et plus ma�tresse d'elle-m�me, temp�rait par son influence l'exc�s des qualit�s de son mari; aussi ne parlait-il d'elle qu'avec une sorte d'admiration. Parfois pourtant il passait outre � ses avis ou n�gligeait de la consulter, ce dont il avait presque toujours � se repentir.. Mme Jandel ne se pr�valut jamais de ces d�convenues pour faire montre de la solidit� de son jugement. Si elle avait de l'esprit, il �tait sans ostentation et surtout sans malignit�.
Gr�ce � ce tact d�licat, la paix r�gnait dans la maison ; et M. Jandel s'y plaisait. Jouir de cette vie d'int�rieur sous le regard de Dieu, dans son pays natal, avec des devoirs professionnels qui l'int�ressaient, quelques amiti�s qu'il savait choisir, et des travaux agricoles bien plus propres, il faut l'avouer, � le distraire qu'� l'enrichir, c'�tait assez pour son ambition, car c'�tait assez pour son coeur. On ne tarda pas cependant � lui offrir un poste d'ing�nieur en chef, mais le d�placement �tait une condition, il remercia modestement. Une seule fois il fut d�tach� de Nancy pour faire � Luxembourg le service de capitaine du g�nie. La place n'�tait pas assi�g�e, mais simplement observ�e ; il prit part cependant, aux avant-postes, � quelques engagements o� il fit bravement son devoir et eut son cheval tu� sous lui ; Dieu prot�gea ses jours, pour lui, sans doute, mais aussi pour sa jeune famille, sur qui reposaient tant d'esp�rances.
Elev�s par d'aussi dignes parents, les deux enfants ne pouvaient manquer de grandir dans la vertu. En Gabrielle, se manifestaient plut�t les qualit�s du p�re; Alexandre �tait le portrait de sa m�re. Elle s'occupa sp�cialement de son �ducation et y suivit, sans la conna�tre, la maxime qu'un cardinal dominicain, le B. Jean-Dominique, donnait pour r�gle � une m�re de famille : �� Elevez votre fils pour Dieu, puis pour ses parents, en particulier pour vous qui �tes sa m�re, mais aussi pour le bien public, et formez-le � supporter l'adversit�. � L'enfant conserva toute la vie pour sa m�re un amour de pr�dilection. M�me apr�s avoir grandi, il qu�tait volontiers ses caresses, qu'il lui restituait avec usure, de la mani�re la plus na�ve et la plus gracieuse. En m�me temps, il montrait pour son autorit� un respect profond; car on l'avait habitu� � agir pour Dieu dont les parents sont les repr�sentants visibles. Mme Jandel avait su lui inspirer de tels sentiments de pi�t�, que la p�nitence la plus sensible dont elle p�t le menacer �tait de ne pas le mener � la messe ; cette crainte le ramenait de suite au devoir. Une seule fois la punition lui fut impos�e, et elle lui fit verser tant de larmes, que la m�re n'eut plus le courage d'y revenir.
Le trait suivant t�moigne quelle �tait, dans l'enfant, � l'�ge de cinq ou six ans, la droiture de coeur. Un jour on le cherche partout, mais en vain. Qu'est-il devenu ? Se serait-il permis, contre sa coutume, d'aller jouer dans le voisinage ? Aurait-il �t� victime de quelque accident ? L'anxi�t� est indescriptible dans toute la maison. Enfin on le trouve dans une grande chambre noire, � genoux : �� Que fais-tu l�, malheureux enfant ? - Je me punis tout seul ! - Eh! qu'as-tu donc fait ? - J'ai d�sob�i �; - et il rapporte le grief enfantin dont il s'est rendu coupable. - �� Mais, lui observe-t-on, ta m�re ne l'a pas vu. - C'est �gal, le bon Dieu l'a vu ; je me punis tout seul. �
Il parait qu'il en avait agi souvent de la sorte, sans que personne l'e�t soup�onn�, tant il s'appliquait � cacher ces p�nitences volontaires.
Sous l'influence de ces vues de foi si simples et si hautes, les autres sentiments auxquels on fait appel pour agir sur le coeur de l'enfance, comme la crainte de contrister les parents, le d�sir de leur plaire, l'ambition de m�riter leurs �loges, se d�veloppaient � l'aise dans le jeune Alexandre, sans p�ril de trahir les esp�rances ou de d�g�n�rer en d�fauts. Aussi faisait-il la consolation de toute la famille, et la confiance de sa m�re allait-elle jusqu'� le consulter sur les affaires embarrassantes de la maison.
Pour donner une base solide � son �ducation litt�raire � laquelle elle tenait tant, Mme Jandel pla�a son fils pendant quelque temps � l'�cole des Fr�res, qui venaient de s'�tablir � Nancy. L�, encore, il se fit remarquer par sa sagesse pr�coce ; la croix d'honneur brillait si habituellement sur sa poitrine qu'il y semblait abonn�, et il la portait avec autant d'aisance que de modestie. Dans les processions il tenait volontiers l'oriflamme ; � l'autel il se faisait un bonheur de servir comme enfant de choeur; et il se permettait parfois d'amicales remontrances aux autres petits clercs dissip�s, leur citant avec v�h�mence certains passages d'un sermon qu'il avait entendu sur les peines de l'autre vie.
Il est certain cependant, que les premiers �l�ments du latin et du grec lui furent donn�s � la maison paternelle, par un employ� du bureau de son p�re nomm� Jacquinet, ancien chef d'�tude au coll�ge, jeune homme instruit et consciencieux ; car il ne m�nageait pas davantage le fils de son ing�nieur que s'il e�t �t� l'enfant d'un subalterne. Heureusement que l'�l�ve �tait capable de tenir � ce r�gime ; et m�me d'y gagner, pour la trempe du caract�re. Telles �taient son application et ses aptitudes, que, peu de temps apr�s, le ma�tre vint exposer son embarras � M. Jandel ; �� Votre fils en sait maintenant autant que moi, si ce n'est plus; je ne puis rien lui apprendre, ni m�me r�pondre � ses questions. �
L'�l�ve et le ma�tre, s�par�s d�s lors, conserv�rent l'un de l'autre le plus affectueux souvenir. Bien des ann�es plus tard, ayant appris que le P. Jandel faisait � Mirecourt une mission, M. Jacquinet s'y rendit, et, apr�s une pr�dication dans laquelle le Missionnaire avait ravi son auditoire par l'onction de sa parole, l'ancien professeur le saisit au sortir m�me de l'�glise, dans une chaleureuse accolade, et s'�cria tout �mu : �� Voici mon �l�ve ! � Le P. Jandel, revenu de son �tonnement, r�pondait avec affection : �� Voil� mon bon ma�tre ! � Cette rencontre laissa de d�licieux souvenirs � M. Jacquinet qui se plaisait � la raconter � ses enfants.
L'�ducation de Gabrielle fut aussi l'objet de grands soins de la part de ses parents ; ils la lui firent commencer dans l'un des pensionnats les plus estim�s de Nancy. Son fr�re, charg� de la conduire r�guli�rement en classe chaque jour, s'acquittait de son mandat avec un s�rieux et une dignit� que l'on remarquait partout sur son passage. Les petites �l�ves, frapp�es de son air modeste et bon, ne le regardaient qu'avec v�n�ration : c'�tait, � leurs yeux, l'image d'un ange qui passait.

[...]
[Page 268]
Le P. Jandel venait � peine de terminer ses laborieuses visites, qu'un coup douloureux le frappait au coeur : la nouvelle de la mort de sa m�re, d�c�d�e � Nancy, le 29 septembre 1854, �g�e de soixante-onze ans. Les deux derni�res ann�es de sa vie avaient �t� attrist�es par une maladie terrible, un ramollissement du cerveau, qui �teignit progressivement sa brillante intelligence. Parfois elle sentait elle-m�me l'envahissement de quelque chose comme de la folie ; elle pleurait alors et disait : �� Ah, mes enfants! Dieu me frappe � l'endroit sensible; il m'humilie dans ce qui me rendait fi�re ! � Son affection pour les siens, surtout pour son Alex, surnagea dans ce naufrage; mais elle se d�mentait parfois vis-�-vis de son digne mari, qui, avec sa fille, l'entourait des soins les plus d�vou�s. Peu avant sa mort, elle recouvra en entier sa lucidit� d'esprit et re�ut les derniers sacrements avec une grande pi�t�.
Le P. Jandel suivait avec angoisse les phases de la maladie de sa m�re et s'associait aux �preuves de ceux qui la soignaient, particuli�rement de sa soeur � qui il �crivait : �� Ma m�re affaiblie de t�te est devenue �go�ste ! ce qui �tait le plus antipathique � son caract�re !! Il m'en co�te tant de ne plus avoir depuis bien des mois une seule ligne de sa main ! et pourtant je me garde bien de le dire, car je sens que ce serait pour elle une nouvelle source d'affliction. Je comprends, pauvre soeur, tout ce que ta vie a de p�nible, et je prends une part bien vive � tes souffrances ; mais quelle belle couronne tu peux te pr�parer pour le Ciel, si tu sais les supporter en chr�tienne ! Je ne cesse de le demander pour toi � Notre-Seigneur, afin qu'il ne permette pas que tu perdes le fruit de tant d'amertumes et de douleurs physiques et morales. Quant � venir la voir, je ne le puis � cause d'affaires qui r�clament ici ma pr�sence. Du reste, ma visite ne serait pas opportune, dans l'�tat d'affaiblissement et de tristesse o� elle se trouve. Mon apparition ne pourrait gu�re manquer de lui produire une secousse funeste qui ach�verait de l'an�antir moralement et qui, peut-�tre, compromettrait son existence. Elle est si faible, et les s�parations lui ont toujours fait tant de mal, qu'il y aurait plus que de l'imprudence � lui m�nager cette occasion. Elle n'en sentirait vivement que la souffrance, sans en avoir la joie ; aussi ai-je dit au Saint-P�re, les larmes aux yeux, en lui demandant sa b�n�diction pour elle, que je n'esp�rais plus la revoir, et il m'a r�pondu avec son onction plus que paternelle : Si Dieu l'appelle, elle ira vous attendre au Ciel. C'est bien en effet dans cette pens�e de foi que se trouve toute consolation !
�� La gr�ce que le bon Dieu lui a faite, en lui rendant pour quelques heures toute sa raison, afin de la pr�parer � recevoir les derniers sacrements, est et sera pour nous tous une grande consolation, et un immense adoucissement � l'�preuve qui nous est m�nag�e. Je suis heureux aussi de penser qu'elle m'a b�ni, et je te remercie avec effusion, d'avoir profit� d'un de ses instants plus lucides pour le lui demander. A pr�sent, quelle que soit l'heure o� il plaise au Seigneur de l'appeler � lui, nous aurons la consolante pens�e qu'elle n'a paru devant lui, que munie de tous les secours que prodigue la religion aux fid�les enfants de l'Eglise. Depuis plusieurs mois, je me pr�pare � cette perte, et je ne re�ois jamais une de vos lettres sans regarder, avant de l'ouvrir, si elle n'est point cachet�e de noir. � [...]
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A peine de retour de ce voyage, Dieu l'�prouva par la mort de son p�re : ce fut le 18 d�cembre 1862 que s'�teignit ce bon vieillard, �g� de quatre-vingts ans, min� peu � peu par une consomption lente et aussi par le d�sir de se trouver r�uni � sa ch�re Jos�phine. Jusqu'au dernier jour, il garda toute son intelligence et la tendresse de son coeur, ne songeant qu'� s'oublier pour les autres, et se montrant affable, doux, reconnaissant envers tous, plus particuli�rement envers sa fille, son gendre et la famille de ce dernier.
Il eut la consolation de revoir encore une fois son fils, � Nancy, au mois d'ao�t 1862. Celui-ci, en prenant alors cong� de son p�re qu'il n'esp�rait plus revoir en ce monde, lui dit : �� Mon P�re, avant que je vous quitte, b�nissez-moi �, et il re�ut � genoux la b�n�diction paternelle. M. Jandel reprit : �� Alexandre, tu m'as demand� de te b�nir et je l'ai fait de toute mon �me; mais c'est � mon tour � demander ta b�n�diction. � Et se soulevant avec effort, du canap� sur lequel il �tait assis, il s'agenouilla devant son fils, qui �tendit les mains sur sa t�te avec une pri�re muette. Tous deux se s�par�rent trop �mus pour prononcer une parole, laissant la m�me �motion � Gabrielle et � son mari, qui avaient �t� t�moins de cette grande sc�ne. Le P. Jandel avoua plus tard, que la s�paration lui causa en ce moment une douleur si sensible, qu'elle d�passa celle qu'il �prouva ensuite en apprenant la mort. D�s qu'il en re�ut la nouvelle, par sa soeur, il r�pondit :
�� Dieu vient donc de rappeler � lui notre P�re ! Adorons sa sainte volont� et remercions-le de nous l'avoir conserv� si longtemps et de l'avoir si bien pr�par� � la mort. Quand on a le bonheur de voir mourir si chr�tiennement ceux qu'on aime, on se reproche comme de l'�go�sme, de trop les regretter, et de s'affliger, alors qu'on les sait arriv�s les premiers au terme du voyage, pour nous attendre dans la patrie. [...]

(*) Elle �tait n�e en 1781, dans une famille aux id�es progressistes, mais ennemie des exc�s de la r�volution; elle avait pour parent le conventionnel Marquis, connu pour avoir vot� contre la mort de Louis XVI.
(**) Une fille nomm�e Victoire leur �tait n�e auparavant, mais avait peu v�cu.

 

R�daction : Thierry Meurant

 

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