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Antoine-Alexandre Jandel
(1783-1862), architecte de l'h�tel de ville
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Dans son Histoire du Bl�montois dans
les temps modernes, l'abb� Dedenon livre cette tr�s
courte information : �� A Bl�mont, les locaux de l'hospice
devenaient insuffisants : ils furent agrandis, en 1827. Ceux de
l'h�tel de ville surtout criaient mis�re : ils furent remplac�s
par l'�difice actuel, dont le dessin est d� � l'architecte
Jeandel.�
| Jean Nicolas Antoine Alexandre
Jandel na�t � Pompey le 6 octobre 1783. Il est le fils
de Jean Nicolas Jandel, avocat au parlement, seigneur de
Braux, de Nayves-en-Blois et de M�ligny (et ancien
Directeur et caissier de la verrerie de baccarat), qui
habite Nancy mais dispose d'une maison de campagne �
Pompey. |
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L'acte de mariage d'Antoine Alexandre Jandel
et Marie Elisabeth Josephine Chabert � Gerbeviller le 13 ao�t 1809, porte la
mention �� �l�ve ing�nieur des Ponts-et-Chauss�e, domicili� �
Champey �. Le terme �� �l�ve � n'est pourtant plus de mise, car
si Jandel est parfois cit� comme �� architecte �, il apparait le plus
souvent sous sa v�ritable d�signation �� ing�nieur des ponts et
chauss�es �, ayant int�gr� l'�cole polytechnique � compter du
1er frimaire an XII (23 novembre 1803) et �t� admis le 30
octobre 1806 dans le service public des Ponts-et-Chauss�es.
De nombreux �l�ments biographiques sur Jean Nicolas, Antoine
Alexandre et son �pouse, figurent dans la
�� Vie du
r�v�rendissime p�re Alexandre-Vincent Jandel soixante-treizi�me
maitre g�n�ral des fr�res-pr�cheurs � (par Hyacinthe-Marie
Cormier, Ed. Paris 1896), biographie consacr�e au fils a�n� du
couple.
Un premier projet de construction d'un h�tel de ville � Bl�mont,
avec halle, �cole et tribunal est pr�sent� par Jandel en 1828 pour un
montant de 85.000 francs sans honoraires et 5.000 francs de
vieux mat�riaux. Ce projet, avec halle au rez-de-chauss�e, h�tel
de ville et salle de justice de paix au premier niveau et �coles
au second niveau, est rejet� par un rapport du 22 f�vrier 1828
qui soul�ve divers probl�mes :
-
il manque le plans des caves ;
-
les escaliers donnant sur halles pourraient avoir deux
r�volutions au lieu d'une ;
-
la distribution des pi�ces
de l'h�tel de ville est fortement critiqu�e : il faut
cr�er pi�ce de d�gagement donnant acc�s au secr�tariat, aux
archives, au cabinet du maire ;
-
pour la justice de paix, il n'y a pas de cabinet
pr�vu pour le juge et une pi�ce de d�gagement est � cr�er ;
-
la pr�sence des �coles au-dessus de la salle du Conseil
municipal est jug�e incorrecte � cause du bruit ;
-
les plans ne pr�sentent pas de latrines, et il convient d'en
faire � chaque �tage ;
-
les piles des �l�vations aux angles du rez-de-chauss�e sont
trop faibles ;
-
il convient de faire une arcade d'entr�e aux vestibules devant
les escaliers, et au premier niveau, de faire reposer les
crois�es sur un bandeau et de pr�voir un encadrement aux
crois�es c�t� place ;
-
la hauteur de 4,15 m�tres sous poutres est jug�e insuffisante
;
-
dans le salle du conseil une chemin�e est jug�e pr�f�rable au
po�le ;
-
deux grands escaliers sont
consid�r�s comme inutiles, tout comme les greniers.
Jandel refera son projet en tenant compte de ces observations,
et le projet sera d�finitivement adopt� le 23 juin 1829, pour un
total de 93.000 francs (hors honoraires) : le b�timent comprend
la halle au bl� avec corps de garde et pompe � incendie au
rez-de-chauss�e, et h�tel de ville et justice de paix au premier
�tage. Les mat�riaux sont la pierre de taille, la ma�onnerie de
moellons pour le surplus des murs, et la charpente est en ch�ne
et sapin.

H�tel de Ville - 1829
Rez-de-chauss�e |

H�tel de Ville - 1829
Entresol |
H�tel de Ville - 1829
Premier �tage |

H�tel de Ville - 1829
Coupe |

H�tel de Ville - 1829
Fa�ade sur la place |
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Parmi les projets et r�alisations de Antoine
Alexandre Jandel on peut citer :
-
en 1815, des travaux pour les gendarmeries de Nancy,
Lun�ville, Toul, Bayon, Baccarat, V�zelise, et Bl�mont (co�t de
3.945 francs pour cette derni�re) ;
-
en 1820, un projet de r�paration de la couverture de l'�glise
de Saint-Nicolas de Port ;
-
en 1820, la construction, � la demande du Pr�fet, du
presbyt�re de Laloeuf, et de l'�cole de Vroncourt ;
-
en 1820, des travaux � la gendarmerie de V�zelise ;
-
en 1822, des travaux destin�s � changer le cours de la Meurthe
au haras de Rosi�res-aux-Salines ;
-
en 1822, la construction d'un hangar pour le haras de
Rosi�res-aux-Salines ;
-
en 1823, un projet ajourn�e de restauration de l'asile
d'ali�n� de Laxou ;
-
en 1823, des travaux des reconstruction du man�ge du haras de
Rosi�res-aux-Salines ;
-
en 1827, un projet de r�paration au s�minaire de Nancy, pour
reconstruire la couverture, le pl�tre et les enduits des murs et
plafonds, �tablir un ma�tre-autel et deux autels secondaires, le
menuiserie, etc. Le projet sera refus� avec ce commentaire peu
flatteur : �� Jandel est sorti de ses attributions naturelles et
il serait sage de ne point envahir les fonctions d'architecte
pour lesquelles il ne para�t pas poss�der l'acquis n�cessaire �
;
-
en 1828, des travaux au s�minaire de Nancy pour la r�paration
de la chapelle ;
-
...
Antoine Alexandre Jandel d�c�de � Nancy le 18
d�cembre 1862 (son �pouse y est d�c�d�e le 29 septembre 1854).
Vie du r�v�rendissime p�re Alexandre-Vincent
Jandel
soixante-treizi�me maitre g�n�ral des fr�res-pr�cheurs Hyacinthe-Marie Cormier (Ed. Paris 1896).
[Page 1] Le P�re Alexandre-Vincent Jandel naquit � Gerb�viller, en
Lorraine, l'an 1810. Rien de remarquable, sous le rapport de la
noblesse ou de la fortune, ne signale ses anc�tres. Son a�eul
paternel �tait fils d'un simple paysan charg� du transport des
mat�riaux dans une usine de verrerie, � Saint-Quirin. L'enfant
aimait sans doute � monter sur la voiture de son p�re pour y
prendre ses �bats ; l'abb� de Saint-Ignon, propri�taire de
l'usine, le remarqua, s'int�ressa � lui et lui fit faire ses
�tudes. Il �tait, en effet, sup�rieurement dou�, devint avocat
brillant au parlement de Nancy, et se fit une fortune.
Malheureusement, il �tait joueur; tout son avoir dut �tre vendu
peu � peu, pour payer ses dettes. Mari� en 1769, il eut en 1783 un fils qu'il appela
Antoine-Alexandre. Celui-ci, n�glig� par son p�re, passa une
partie de son enfance � Champel, pr�s de Lun�ville, maison de
campagne qui avait �chapp� aux dilapidations du jeu. Il ne lui resta plus tard, comme souvenir de ses premi�res
ann�es, que la douce et triste image de sa m�re enlev�e � son
affection, quand il n'avait que sept ans, apr�s avoir beaucoup
souffert. En dehors de l�, il ne se rappelait que le passage de
nombreux r�giments pendant la r�volution, et les longues
chevauch�es faites � travers les bois, avec un brave Hongrois,
prisonnier des campagnes d'Italie, devenu son fid�le serviteur,
presque son ami. Il tenait d'ailleurs de sa race une haute
stature, un temp�rament robuste, une force de corps peu commune,
que cette vie au grand air avait contribu� � d�velopper. Malgr� les lacunes de son instruction primaire, il fut admis, en
1804, � l'Ecole polytechnique o� il eut pour r�p�titeur Arago,
le futur membre de l'Institut et du Gouvernement provisoire de
1848. Il sortit un des premiers de cette �cole, et y remplit
lui-m�me les fonctions de r�p�titeur pendant un an, apr�s ses
cours d'application des ponts et chauss�es. De retour � Champel et jugeant le moment venu de s'�tablir dans
le monde, il jeta les yeux sur une jeune personne de
Gerb�viller, appel�e Mlle Jos�phine Chabert-Marquis, soeur d'un
de ses camarades de l'Ecole polytechnique (*). Mlle Chabert n'�tait pas moins remarquable par sa foi vive que
par son jugement droit, son �nergie, son esprit d'initiative et
l'am�nit� de ses mani�res. Au plus fort del� terreur, le cur� de
Gerb�viller, M. Bessat, avait d� s'exiler, et le vicaire, M.
Hunal, se tenait cach� pr�s du pays, errant dans les bois ou de
maison en maison ; Jos�phine, �g�e � peine de 14 ans, secondait
vaillamment le minist�re de ce jeune pr�tre. Ses parents, il
faut le dire, �taient de connivence; moins actifs qu'elle, ils
donnaient leur fortune ; et l'argenterie, � son tour, y passa.
L'abb� Hunal, qu'elle tenait au courant de tout, venait
fr�quemment la nuit, � l'aide de d�guisements successifs qu'elle
inventait et lui enseignait � bien porter, pour administrer les
secours de la religion aux fid�les. Que de fois ne vit-on pas
Mlle Chabert, � la faveur des t�n�bres, sans craindre ni la
police ni les autres dangers, porter de petits enfants entre ses
bras pour leur procurer le bienfait du bapt�me ? Et combien de
ces pauvres cr�atures n�es de parents forcen�s r�volutionnaires
entre tous, ne lui durent-elles pas leur admission dans le sein
de l'Eglise ? Un enfant, en particulier, fruit de l'inconduite, excita sa
compassion; elle s'en constitua la marraine, et le secourut
constamment dans sa pauvret�. Joseph, elle l'avait ainsi appel�,
en souvenir de son propre nom de Jos�phine, r�pondit mal � ce
d�vouement ; par un coup de t�te il s'engagea dans l'infanterie
de marine et passa au S�n�gal. Quand il en revint malade et sans
ressources, elle le soigna, lui acheta les outils de sa
profession et le maria, sans le ramener pour cela � des
habitudes r�guli�res. Us� par la boisson, il mourut � l'h�pital
de Nancy; mais chr�tiennement; c'�tait la r�compense de plus de
trente ans de charit� et de pri�res. Gerb�viller ne fut pas, du reste, l'unique th��tre du courage de
Jos�phine, elle alla m�me jusqu'� p�n�trer dans la prison de
Nancy pour y consoler sa parente Mme de Foucault, qui fut
inopin�ment sauv�e de la mort, par la chute de Robespierre, le 9
thermidor. Avec toutes ces qualit�s, la jeune fille montrait des aptitudes
litt�raires tr�s avanc�es pour son �ge. Elle ne se lassait pas,
ont racont� ses intimes, de lire les auteurs du dix-septi�me
si�cle ; elle avait surtout la fibre corn�lienne. Enthousiaste
et �nergique comme Charlotte Corday, pieuse et raisonnable comme
Mme de Lescure, elle se tenait, par ses aspirations, � mi-chemin
de ces deux femmes c�l�bres, mais �tait de leur taille par
l'intelligence et le coeur. En vain, son confesseur lui
reprochait-il sa passion pour Racine et autres tragiques ; il la
trouvait imp�nitente. Elle excellait aussi � interpr�ter les
romances sentimentales de l'�poque, et un jour elle ne put
ma�triser � l'�glise un acc�s de fou rire, en entendant chanter
un cantique sur l'air d'une romance peu faite pour le saint
lieu. Quoique ses pr�f�rences fussent pour les charmes de l'esprit,
elle ne d�daignait pas les ornements ext�rieurs et les portait
fort bien. Un jour qu'elle assistait au sermon de la
Congr�gation de la sainte Vierge, dont malgr� tout, ses qualit�s
s�rieuses et son' ascendant sur les jeunes filles l'avaient fait
nommer pr�sidente, le pr�dicateur tonna contre le luxe et les
ajustements des femmes, et il crut donner le coup d�cisif par
cette apostrophe : �� Du reste, en �tes-vous pour cela plus
belles ? � - �� Oui �, r�pondit tout bas la pr�sidente ; et elle
accentua son dire par un geste de la t�te. Le pr�dicateur, sans
entendre le mot, remarqua le geste et lui en demanda raison � la
sacristie, apr�s la s�ance ; mais elle maintint son sentiment.
Elle n'entendait pas contester les dangers d'une parure abusive,
au point de vue de la pi�t�; mais pr�tendre qu'au point de vue
de la gr�ce ext�rieure, il n'en ressort aucun embellissement,
lui semblait une fausset�. Elle mettait du reste, dans cette
application � la toilette, la plus grande innocence; et tout en
elle, soin de la parure, gracieuset� dans les mani�res, passion
litt�raire, faisait place � une dignit� fi�re devant l'ombre du
mal. Ce fut � cette �poque qu'elle connut M. Jandel, jeune ing�nieur;
elle gagna promptement ses sympathies et n'h�sita pas � les lui
rendre. Son ext�rieur distingu�, la convenance de ses mani�res,
ses talents pr�coces, la bont� r�pandue sur son visage, tout lui
plaisait. Le projet d'alliance fut donc bient�t arr�t�. La
malheureuse question de fortune faillit tout faire �chouer ;
Jos�phine n'avait pour toute dot que ses qualit�s personnelles ;
et le p�re du jeune homme, ruin� par le jeu, voulait une
belle-fille qui apport�t de la fortune. Avec sa volont� de fer,
il s'opposa plusieurs ann�es au mariage, mais se heurta contre
une �nergie pers�v�rante, d'autant plus forte qu'elle �tait
rev�tue de formes plus respectueuses. Enfin, en 1809, � demi
vaincu par la fermet� de son fils, � demi subjugu� par les
qualit�s de la jeune fille, il donna son consentement, sans
toutefois fournir aucun secours p�cuniaire. C'�tait assez pour
les deux fianc�s. Ils s'unirent devant l'Eglise, et Dieu ne
tarda pas � leur donner de meilleures richesses que l'or et les
pierreries. Trois enfants furent le fruit de leur mariage, un fils et deux
filles. L'ain�, celui-l� m�me dont nous retra�ons la vie, naquit
le 18 juillet 1810, la veille de la f�te de saint Vincent de
Paul, � Gerb�viller, pendant un s�jour qu'y faisait
accidentellement sa m�re, car le jeune m�nage, � cause de la
profession du mari, habitait Nancy. On le baptisa sous le nom de
Jean-Joseph-Alexandre, dans la chapelle du ch�teau, ancienne
�glise des Carmes. Depuis cette �poque, sa m�re se sentit une
plus sp�ciale d�votion pour cette chapelle, lieu de son propre
bapt�me; elle y entrait souvent pour prier, tandis qu'elle
laissait son enfant jouer sur l'herbe, pr�s de la porte, afin de
ne pas le perdre de vue. Lui aussi se rappelait avec d�lices,
surtout � la fin de sa vie, ce sanctuaire, et ses jeux enfantins
sur la pelouse, et la pi�t� de sa m�re. Aussi, quand on restaura
la chapelle, il tint � honneur, en reconnaissance de ces gr�ces
premi�res, de lui offrir une partie du corps de saint Tharcise,
protomartyr de l'Eucharistie, qu'il avait pu obtenir � Naples. Dans sa premi�re enfance la sant� du petit Alex (c'est ainsi
qu'on l'avait surnomm�), donna de vives et continuelles
inqui�tudes � ses parents, tant il �tait ch�tif et malingre; sa
m�re, d'autre part, ne put continuer � le nourrir, malgr� le
d�sir ardent qu'elle en avait. Mais, craignant qu'une nourrice
ne transm�t � l'enfant quelque chose de ses infirmit�s physiques
ou morales, elle se r�solut de l'�lever au biberon. Ce qu'il lui
fallut de sollicitudes, d'industrie et de patience ne peut
s'exprimer; n�anmoins elle r�ussit. Pendant ses quatorze
premiers mois, le petit enfant avait �t� souffreteux, ses
plaintes �taient si continuelles qu'une nuit, ne l'entendant
pas, ses parents accoururent � son berceau, tremblant de le
trouver mort ; mais il dormait paisiblement, et ce sommeil
favorable continua depuis lors. La naissance d'une autre enfant, Gabrielle, vint compl�ter la
joie des parents (**). Le foyer se peuplait, s'emplissant d'une
pieuse all�gresse. Avant tout, Dieu y r�gnait et y versait ses
gr�ces. M. Jandel, indiff�rent pendant sa jeunesse en mati�re
religieuse, comme presque toute sa g�n�ration, avait cherch� la
v�rit� d'un coeur droit; les conf�rences de M. de Frayssinous
assid�ment suivies � Paris pendant ses loisirs d'�tudiant,
l'avaient �clair�. L'ascendant de sa ch�re Jos�phine acheva en
lui l'oeuvre de la persuasion. Une fois convaincu, il alla
jusqu'au bout et ne d�via plus ; c'�tait avec une noble et
g�n�reuse simplicit� qu'il accomplissait tous ses devoirs
religieux, sans ostentation, comme sans respect humain. M. Jandel avait pour qualit� principale un coeur aimant et
d�vou� ; en lui le sentiment pr�venait la r�flexion et lui
nuisait souvent. Sa femme, tout aussi g�n�reuse, mais dou�e
d'une raison plus p�n�trante et plus ma�tresse d'elle-m�me,
temp�rait par son influence l'exc�s des qualit�s de son mari;
aussi ne parlait-il d'elle qu'avec une sorte d'admiration.
Parfois pourtant il passait outre � ses avis ou n�gligeait de la
consulter, ce dont il avait presque toujours � se repentir.. Mme
Jandel ne se pr�valut jamais de ces d�convenues pour faire
montre de la solidit� de son jugement. Si elle avait de
l'esprit, il �tait sans ostentation et surtout sans malignit�. Gr�ce � ce tact d�licat, la paix r�gnait dans la maison ; et M.
Jandel s'y plaisait. Jouir de cette vie d'int�rieur sous le
regard de Dieu, dans son pays natal, avec des devoirs
professionnels qui l'int�ressaient, quelques amiti�s qu'il
savait choisir, et des travaux agricoles bien plus propres, il
faut l'avouer, � le distraire qu'� l'enrichir, c'�tait assez
pour son ambition, car c'�tait assez pour son coeur. On ne tarda
pas cependant � lui offrir un poste d'ing�nieur en chef, mais le
d�placement �tait une condition, il remercia modestement. Une
seule fois il fut d�tach� de Nancy pour faire � Luxembourg le
service de capitaine du g�nie. La place n'�tait pas assi�g�e,
mais simplement observ�e ; il prit part cependant, aux
avant-postes, � quelques engagements o� il fit bravement son
devoir et eut son cheval tu� sous lui ; Dieu prot�gea ses jours,
pour lui, sans doute, mais aussi pour sa jeune famille, sur qui
reposaient tant d'esp�rances. Elev�s par d'aussi dignes parents, les deux enfants ne pouvaient
manquer de grandir dans la vertu. En Gabrielle, se manifestaient
plut�t les qualit�s du p�re; Alexandre �tait le portrait de sa
m�re. Elle s'occupa sp�cialement de son �ducation et y suivit,
sans la conna�tre, la maxime qu'un cardinal dominicain, le B.
Jean-Dominique, donnait pour r�gle � une m�re de famille : ��
Elevez votre fils pour Dieu, puis pour ses parents, en
particulier pour vous qui �tes sa m�re, mais aussi pour le bien
public, et formez-le � supporter l'adversit�. � L'enfant
conserva toute la vie pour sa m�re un amour de pr�dilection.
M�me apr�s avoir grandi, il qu�tait volontiers ses caresses,
qu'il lui restituait avec usure, de la mani�re la plus na�ve et
la plus gracieuse. En m�me temps, il montrait pour son autorit�
un respect profond; car on l'avait habitu� � agir pour Dieu dont
les parents sont les repr�sentants visibles. Mme Jandel avait su
lui inspirer de tels sentiments de pi�t�, que la p�nitence la
plus sensible dont elle p�t le menacer �tait de ne pas le mener
� la messe ; cette crainte le ramenait de suite au devoir. Une
seule fois la punition lui fut impos�e, et elle lui fit verser
tant de larmes, que la m�re n'eut plus le courage d'y revenir. Le trait suivant t�moigne quelle �tait, dans l'enfant, � l'�ge
de cinq ou six ans, la droiture de coeur. Un jour on le cherche
partout, mais en vain. Qu'est-il devenu ? Se serait-il permis,
contre sa coutume, d'aller jouer dans le voisinage ? Aurait-il
�t� victime de quelque accident ? L'anxi�t� est indescriptible
dans toute la maison. Enfin on le trouve dans une grande chambre
noire, � genoux : �� Que fais-tu l�, malheureux enfant ? - Je me
punis tout seul ! - Eh! qu'as-tu donc fait ? - J'ai d�sob�i �; -
et il rapporte le grief enfantin dont il s'est rendu coupable. -
�� Mais, lui observe-t-on, ta m�re ne l'a pas vu. - C'est �gal,
le bon Dieu l'a vu ; je me punis tout seul. � Il parait qu'il en avait agi souvent de la sorte, sans que
personne l'e�t soup�onn�, tant il s'appliquait � cacher ces
p�nitences volontaires. Sous l'influence de ces vues de foi si simples et si hautes, les
autres sentiments auxquels on fait appel pour agir sur le coeur
de l'enfance, comme la crainte de contrister les parents, le
d�sir de leur plaire, l'ambition de m�riter leurs �loges, se
d�veloppaient � l'aise dans le jeune Alexandre, sans p�ril de
trahir les esp�rances ou de d�g�n�rer en d�fauts. Aussi
faisait-il la consolation de toute la famille, et la confiance
de sa m�re allait-elle jusqu'� le consulter sur les affaires
embarrassantes de la maison. Pour donner une base solide � son �ducation litt�raire �
laquelle elle tenait tant, Mme Jandel pla�a son fils pendant
quelque temps � l'�cole des Fr�res, qui venaient de s'�tablir �
Nancy. L�, encore, il se fit remarquer par sa sagesse pr�coce ;
la croix d'honneur brillait si habituellement sur sa poitrine
qu'il y semblait abonn�, et il la portait avec autant d'aisance
que de modestie. Dans les processions il tenait volontiers
l'oriflamme ; � l'autel il se faisait un bonheur de servir comme
enfant de choeur; et il se permettait parfois d'amicales
remontrances aux autres petits clercs dissip�s, leur citant avec
v�h�mence certains passages d'un sermon qu'il avait entendu sur
les peines de l'autre vie. Il est certain cependant, que les premiers �l�ments du latin et
du grec lui furent donn�s � la maison paternelle, par un employ�
du bureau de son p�re nomm� Jacquinet, ancien chef d'�tude au
coll�ge, jeune homme instruit et consciencieux ; car il ne
m�nageait pas davantage le fils de son ing�nieur que s'il e�t
�t� l'enfant d'un subalterne. Heureusement que l'�l�ve �tait
capable de tenir � ce r�gime ; et m�me d'y gagner, pour la
trempe du caract�re. Telles �taient son application et ses
aptitudes, que, peu de temps apr�s, le ma�tre vint exposer son
embarras � M. Jandel ; �� Votre fils en sait maintenant autant
que moi, si ce n'est plus; je ne puis rien lui apprendre, ni
m�me r�pondre � ses questions. � L'�l�ve et le ma�tre, s�par�s d�s lors, conserv�rent l'un de
l'autre le plus affectueux souvenir. Bien des ann�es plus tard,
ayant appris que le P. Jandel faisait � Mirecourt une mission,
M. Jacquinet s'y rendit, et, apr�s une pr�dication dans laquelle
le Missionnaire avait ravi son auditoire par l'onction de sa
parole, l'ancien professeur le saisit au sortir m�me de
l'�glise, dans une chaleureuse accolade, et s'�cria tout �mu : ��
Voici mon �l�ve ! � Le P. Jandel, revenu de son �tonnement,
r�pondait avec affection : �� Voil� mon bon ma�tre ! � Cette
rencontre laissa de d�licieux souvenirs � M. Jacquinet qui se
plaisait � la raconter � ses enfants. L'�ducation de Gabrielle fut aussi l'objet de grands soins de la
part de ses parents ; ils la lui firent commencer dans l'un des
pensionnats les plus estim�s de Nancy. Son fr�re, charg� de la
conduire r�guli�rement en classe chaque jour, s'acquittait de
son mandat avec un s�rieux et une dignit� que l'on remarquait
partout sur son passage. Les petites �l�ves, frapp�es de son air
modeste et bon, ne le regardaient qu'avec v�n�ration : c'�tait,
� leurs yeux, l'image d'un ange qui passait.
[...] [Page 268] Le P. Jandel venait � peine de terminer ses laborieuses visites,
qu'un coup douloureux le frappait au coeur : la nouvelle de la
mort de sa m�re, d�c�d�e � Nancy, le 29 septembre 1854, �g�e de
soixante-onze ans. Les deux derni�res ann�es de sa vie avaient
�t� attrist�es par une maladie terrible, un ramollissement du
cerveau, qui �teignit progressivement sa brillante intelligence.
Parfois elle sentait elle-m�me l'envahissement de quelque chose
comme de la folie ; elle pleurait alors et disait : �� Ah, mes
enfants! Dieu me frappe � l'endroit sensible; il m'humilie dans
ce qui me rendait fi�re ! � Son affection pour les siens,
surtout pour son Alex, surnagea dans ce naufrage; mais elle se
d�mentait parfois vis-�-vis de son digne mari, qui, avec sa
fille, l'entourait des soins les plus d�vou�s. Peu avant sa
mort, elle recouvra en entier sa lucidit� d'esprit et re�ut les
derniers sacrements avec une grande pi�t�. Le P. Jandel suivait avec angoisse les phases de la maladie de
sa m�re et s'associait aux �preuves de ceux qui la soignaient,
particuli�rement de sa soeur � qui il �crivait : �� Ma m�re
affaiblie de t�te est devenue �go�ste ! ce qui �tait le plus
antipathique � son caract�re !! Il m'en co�te tant de ne plus
avoir depuis bien des mois une seule ligne de sa main ! et
pourtant je me garde bien de le dire, car je sens que ce serait
pour elle une nouvelle source d'affliction. Je comprends, pauvre
soeur, tout ce que ta vie a de p�nible, et je prends une part
bien vive � tes souffrances ; mais quelle belle couronne tu peux
te pr�parer pour le Ciel, si tu sais les supporter en chr�tienne
! Je ne cesse de le demander pour toi � Notre-Seigneur, afin
qu'il ne permette pas que tu perdes le fruit de tant d'amertumes
et de douleurs physiques et morales. Quant � venir la voir, je
ne le puis � cause d'affaires qui r�clament ici ma pr�sence. Du
reste, ma visite ne serait pas opportune, dans l'�tat
d'affaiblissement et de tristesse o� elle se trouve. Mon
apparition ne pourrait gu�re manquer de lui produire une
secousse funeste qui ach�verait de l'an�antir moralement et qui,
peut-�tre, compromettrait son existence. Elle est si faible, et
les s�parations lui ont toujours fait tant de mal, qu'il y
aurait plus que de l'imprudence � lui m�nager cette occasion.
Elle n'en sentirait vivement que la souffrance, sans en avoir la
joie ; aussi ai-je dit au Saint-P�re, les larmes aux yeux, en
lui demandant sa b�n�diction pour elle, que je n'esp�rais plus
la revoir, et il m'a r�pondu avec son onction plus que
paternelle : Si Dieu l'appelle, elle ira vous attendre au Ciel.
C'est bien en effet dans cette pens�e de foi que se trouve toute
consolation ! �� La gr�ce que le bon Dieu lui a faite, en lui rendant pour
quelques heures toute sa raison, afin de la pr�parer � recevoir
les derniers sacrements, est et sera pour nous tous une grande
consolation, et un immense adoucissement � l'�preuve qui nous
est m�nag�e. Je suis heureux aussi de penser qu'elle m'a b�ni,
et je te remercie avec effusion, d'avoir profit� d'un de ses
instants plus lucides pour le lui demander. A pr�sent, quelle
que soit l'heure o� il plaise au Seigneur de l'appeler � lui,
nous aurons la consolante pens�e qu'elle n'a paru devant lui,
que munie de tous les secours que prodigue la religion aux
fid�les enfants de l'Eglise. Depuis plusieurs mois, je me
pr�pare � cette perte, et je ne re�ois jamais une de vos lettres
sans regarder, avant de l'ouvrir, si elle n'est point cachet�e
de noir. � [...] [Page 392] A peine de retour de ce voyage, Dieu l'�prouva par la mort de
son p�re : ce fut le 18 d�cembre 1862 que s'�teignit ce bon
vieillard, �g� de quatre-vingts ans, min� peu � peu par une
consomption lente et aussi par le d�sir de se trouver r�uni � sa
ch�re Jos�phine. Jusqu'au dernier jour, il garda toute son
intelligence et la tendresse de son coeur, ne songeant qu'�
s'oublier pour les autres, et se montrant affable, doux,
reconnaissant envers tous, plus particuli�rement envers sa
fille, son gendre et la famille de ce dernier. Il eut la consolation de revoir encore une fois son fils, �
Nancy, au mois d'ao�t 1862. Celui-ci, en prenant alors cong� de
son p�re qu'il n'esp�rait plus revoir en ce monde, lui dit : ��
Mon P�re, avant que je vous quitte, b�nissez-moi �, et il re�ut
� genoux la b�n�diction paternelle. M. Jandel reprit : ��
Alexandre, tu m'as demand� de te b�nir et je l'ai fait de toute
mon �me; mais c'est � mon tour � demander ta b�n�diction. � Et
se soulevant avec effort, du canap� sur lequel il �tait assis,
il s'agenouilla devant son fils, qui �tendit les mains sur sa
t�te avec une pri�re muette. Tous deux se s�par�rent trop �mus
pour prononcer une parole, laissant la m�me �motion � Gabrielle
et � son mari, qui avaient �t� t�moins de cette grande sc�ne. Le
P. Jandel avoua plus tard, que la s�paration lui causa en ce
moment une douleur si sensible, qu'elle d�passa celle qu'il
�prouva ensuite en apprenant la mort. D�s qu'il en re�ut la
nouvelle, par sa soeur, il r�pondit : �� Dieu vient donc de rappeler � lui notre P�re ! Adorons sa
sainte volont� et remercions-le de nous l'avoir conserv� si
longtemps et de l'avoir si bien pr�par� � la mort. Quand on a le
bonheur de voir mourir si chr�tiennement ceux qu'on aime, on se
reproche comme de l'�go�sme, de trop les regretter, et de
s'affliger, alors qu'on les sait arriv�s les premiers au terme
du voyage, pour nous attendre dans la patrie. [...]
(*) Elle �tait n�e en 1781, dans une famille aux id�es
progressistes, mais ennemie des exc�s de la r�volution; elle
avait pour parent le conventionnel Marquis, connu pour avoir
vot� contre la mort de Louis XVI. (**) Une fille nomm�e Victoire leur �tait n�e auparavant, mais
avait peu v�cu. |
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