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Le crime d'Augustin Hachair �
Barbas en 1883 aurait pu rester un fait divers de la presse
locale, voire un entrefilet des titres nationaux. Mais lorsque
le pr�sident Jules Gr�vy commue la peine de mort en d�tention �
perp�tuit�, la presse d'opposition utilise l'affaire Hachair
comme arme politique (ce qui n'emp�chera pas Gr�vy d'�tre r��lu
pour un second mandat en 1885).
N� le 10 mai 1847 � Barbas, Augustin Hachair est le fils de
Nicolas Hachair (fils de Nicolas Hachair et Anne Bernard),
cultivateur et de Victoire Hachair (fille de Augustin Hachair et
Marguerite Hachon). Il �pouse Marie Hirmas Dieudonn�, le 4
f�vrier 1874 � R�clonville.
Il est condamn� � mort le 15 mai 1883 pour avoir tu� sa m�re,
renti�re, 66 ans, � Barbas dans la nuit du 6 au 7 janvier 1883.
La peine est commu� le 18 juillet 1883.
�� Transport� � au bagne
en Nouvelle-Cal�donie, Augustin Hachair y d�c�de le 12 janvier
1886.
Voici quelques extraits de presse (en �vitant les doublons, de
nombreux titres ayant repris les m�mes informations sur la
condamnation et la commutation)
Journal des
d�bats politiques et litt�raires
13 janvier 1883 On
lit dans le Moniteur de Meurthe-et-Moselle :
�� La dame veuve Victoire Hachair, �g�e de soixante-six ans,
renti�re demeurant � Barbas, o� elle vivait seule, ayant �t�
trouv�e morte dans son lit, le 7 janvier vers 9 heures du matin,
et une certaine rumeur s'�tant r�pandue sur les causes de cette
mort, le maire de la localit� fit appeler M. le docteur Mayeur,
de Blamont, pour visiter le cadavre.
�� Le m�decin constata une plaie profonde � l'int�rieur de la
m�choire inf�rieure, de nombreuses et larges excoriations autour
de la bouche, des ecchymoses an front et au poignet, blessures
qui indiquaient clairement que la mort �tait le r�sultat d'un
crime.
�� L'enqu�te commenc�e imm�diatement fit peser les plus graves
soup�ons sur le fils unique de la victime, Auguste Hachair, �g�
de trente-cinq ans, mari�, sans enfant, qui vivait en
m�sintelligence avec sa m�re. Il a �t� gard� � vue jusqu'�
l'arriv�e de M. le juge d'instruction et de M. le procureur de
la r�publique de Lun�ville qui se sont transport�s sur les lieux
pour continuer l'enqu�te. �
Le Temps
17 mai 1883
TRIBUNAUX
Condamnation � mort. La cour d'assises de Meurthe-et-Moselle a
condamn� hier � la peine de mort le nomm� Hachair, cultivateur,
�ge de trente-six ans, reconnu par le jury coupable d'avoir
assassin� sa m�re, parce qu'elle s'�tait refus�e � lui
abandonner ses biens, qu'il voulait louer pour en toucher
lui-m�me les fermages. L'arr�t porte que l'ex�cution aura lieu �
Nancy.
Le Finist�re
19 mai 1883 UNE
CONDAMNATION A MORT. - La Cour d'assises de Meurthe-et-Moselle
vient de condamner � mort Augustin Hachair, �g� de trente six
ans, cultivateur � Barbas, pr�s de Blamont, qui, le 7 janvier
dernier, a �trangl� sa vieille m�re il laquelle il avait presque
arrach� la langue avec ses mains.
Hachair poss�dait plus de 50,000 fr., et c'est parce que sa m�re
refusait de lui abandonner son bien, estim� � 28,000 fr., qu'il
l'a assassin�e. Le condamn� ne manifeste ni �motion, ni repentir
; il a �cout� sans tressaillir la lecture de l'arr�t.
L'ex�cution doit avoir lieu sur une des places publiques de
Nancy. L'opinion publique est tr�s surexcit�e contre Hachair et
il est certain qu'elle accueillerait avec la plus grande
s�v�rit� une commutation de peine, si celle-ci devait, contre
toute probabilit�, intervenir en faveur du condamn�.
Journal des
d�bats politiques et litt�raires
16 juin 1883 La
Cour de cassation a rejet� les pourvois
1� De Augustin Hachair, condamn� � la peine de mort par arr�t de
la Cour d'assises de Meurthe-et-Moselle, pour parricide.
La Lanterne
21 juillet 1883 A
Nancy
Nancy, 19 juillet.
Le pr�sident de la R�publique a commu� la peine de mort,
prononc�e contre le parricide Hachair, en celle des travaux
forc�s � perp�tuit�.
Le Gaulois
22 juillet 1893 Le
journal la Meurthe et les Vosges publie la lettre suivante,
qu'il adresse � M. Gr�vy, au sujet de la commutation de peine du
parricide Hachair
A Monsieur Gr�vy, pr�sident de la R�publique fran�aise.
Hachair a tu� froidement sa vieille m�re pour h�riter plus vite.
Le l�gislateur ath�nien n'a pas fait de loi contre le parricide
parce qu'il croyait ce crime impossible.
La langue fran�aise, probablement pour le m�me motif, n'a pas
donn� un nom sp�cial � celui qui tue sa m�re elle l'appelle
simplement parricide.
C'est cependant ce crime contre nature qui vient de trouver
gr�ce devant vous.
A Nancy, aucune voix humaine ne s'�l�vera et ne vous dira C'est
bien.
La g�n�rosit� et l'�nergie, dans un chef d'Etat, sont deux
belles choses. Il ne faudrait cependant par les exercer
exclusivement au profit des criminels.
Au nom de Fran�ois Ier, l'histoire a ajout� celui de �� P�re du
peuple �.
Prenez garde qu'au v�tre elle ne joigne celui de ��Protecteur des
assassins �.
S�v�re, mais juste.
Le Gaulois
23 juillet 1883 On
s'�tonnait devant d'Ennery de la derni�re commutation de peine
consentie par M. Gr�vy.
- Un parricide ! Et dans des conditions particuli�rement
odieuses !... Mais enfin, o� M. Gr�vy a-t-il pu voir une
circonstance att�nuante?
D'Ennery avec onction
- Il y en a une. Hachair a tu� son p�re, c'est vrai mais
remarquez bien qu'il ne l'a pas mang� ensuite.
[NDLR : il s'agit sans doute ici d'une allusion au romancier
et dramaturge Adolphe d'Ennery (1811-1899)]
Le Figaro
1er ao�t 1883 UN
ABUS
II y a des gens qui abusent du vin, d'autres de l'eau-de-vie
d'autres de l'absinthe, quelques-uns de l� femme et certains
enfin de tout cela r�uni. M. Gr�vy, lui, ind�pendamment du
billard, qu'on lui reproche tant et qui est une passion
inoffensive, abuse du droit de gr�ce.
Du droit ! Est-ce un droit ? L'a-t-il r�ellement ? Bien des
gens pr�tendent que non. Mais enfin, qu'il l'ait l�galement ou
non, il se l'est arrog�, il en use et en abuse, d'une telle
fa�on que tout le monde en est stup�fi�, scandalis�.
Grand chasseur devant l'Eternel, M. Gr�vy est impitoyable pour
tout malheureux lapin qui passe � sa port�e. Les mauvaises
langues - et il y en a beaucoup - pr�tendent qu'il est �galement
tr�s dur pour ceux de ses locataires qui restent on retard pour
leur loyer. Mais, en revanche, l'assassin, quel qu'il soit, a
droit � ses sympathies, et il suffit qu'un homme ait tu� son
semblable pour que M. Gr�vy sente sa paupi�re s'humecter. Il
n'accorderait pas deux heures de d�lai au locataire embarrass�,
il signe des deux mains la gr�ce du souteneur qui, las d'amours
faciles et r�mun�ratrices, a martyris� une enfant pour la
violer.
Cette s�rie de gr�ces lui a valu dans les prisons un surnom qui
restera Le p�re Gratias, c'est ainsi que toute la p�gre appelle
le premier magistrat de la R�publique.
- Tu t'es laiss� pincer que t'es b�te ? Fallait estourbir le
pante, il n'aurait pas jas�, disent les vieux aux jeunes. Et
puis si; par malheur, les curieuse t'avaient d�pist� quand m�me,
est-ce que le p�re Gratias n'est pas l� pour un coup ?
D'o� vient cette; �tonnante sympathie pour les assassins ? Les
chercheurs - il y � des gens qui veulent tout savoir - ont
imagin� l'explication suivante. M. Gr�vy, qui signe Jules,
s'appelle en r�alit� Judith. Or Judith doit sa notori�t� au
meurtre d'Holopherne. Il est donc possible qu'en m�moire de sa
patronne, M. Gr�vy ait une profonde consid�ration pour les gens
qui tuent et, ne pouvant leur donner ni les Palmes acad�miques,
ni le M�rite agricole, il veut tout au moins leur prouver sa
sympathie, en leur �vitant un d�sagr�able entretien avec M.
Deibler, un homme qui tranche beaucoup trop brutalement la
discussion.
Quoi qu'il en soit, ce parti pris de sympathie pour les
assassins est devenu tellement scandaleux que les honn�tes gens
s'en r�voltent et que, derni�rement, quand on a annonc� la
commutation de peine du parricide Hachair, les habitants du
d�partement de la Meurthe n'ont pu admettre cela. La p�tition ou
plut�t la lettre suivante a �t� adress�e � M. Gr�vy :
A Monsieur Gr�vy, pr�sident de R�publique fran�aise,
Hachair a tu� froidement sa vieille m�re pour h�riter plus vite.
Le l�gislateur ath�nien n'a pas fait de loi contre le parricide
parce qu'il croyait ce crime impossible.
La langue fran�aise, probablement pour le m�me motif, n'a pas
donn� un nom sp�cial � celui qui tue sa m�re; elle l'appelle
simplement parricide.
C'est cependant ce crime contre nature qui vient de trouver
gr�ce devant vous.
A Nancy, aucune voix humaine ne s'�l�vera et ne vous dira C'est
bien.
La g�n�rosit� et l'�nergie, dans un chef d'Etat, sont deux
belles choses. Il ne faudrait cependant pas les exercer
exclusivement au profit des criminels.
Au nom de Fran�ois Ier l'histoire a ajout� celui de �� P�re du
Peuple �.
Prenez garde qu'au v�tre elle ne joigne celui de �� Protecteur
des assassins ! �
C'�tait dur, mais juste. Aussi l'effet ne s'est pas fait
attendre.
Aussit�t cette lettre re�ue et lue, le P�re Gratias s'est fait
apporter sa bonne plume de Tol�de et il a sign� la gr�ce du
frotteur Roulet, l'assassin de la rue Bourdaloue.
Et au moindre signe de d�sapprobation, il signera, la gr�ce de
Jeunet, le sergent de ville qui a viol� sa fille et tu� l'enfant
n� de ce viol, celle de Houy, l'assassin de Dourdan, et si on
n'est pas content, il graciera encore Person, dit Fifi-Cadavre,
le charmant et sympathique voyou qui a tu� le gardien de la
prison de Versailles.
Apr�s quoi, il ira tirer tranquillement des lapins innocents �
Mont-sous-Vaudrey.
Et voil� comment on arrive � faire trembler les bons et �
rassurer les m�chants.
Georges Grison.
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