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Notice sur l'abb� Gr�goire - 1882

(voir aussi les autres documents sur l'abb� Gr�goire)


Le Finist�re
4 mars 1882

Vari�t�
L'Abb� GR�GOIRE

Une souscription est ouverte pour �lever une statue � l'abb� Gr�goire, sur l'une des places publiques de Lun�ville, la ville la plus rapproch�e de ton lieu de naissance,
A cette occasion, M. DEBIDOUR, professeur � la Facult� des lettres de Nancy, a publi� sur Gr�goire la notice suivante :
L'abb� Gr�goire est un des plus grands caract�res qu'ait produits la R�volution. Ce pr�tre incorruptible, ce citoyen sans peur et sans reproche, qui n'eut jamais d'autre fanatisme que celui de la tol�rance, a contribu� plus qua personne � la r�g�n�ration de la France. Il n'a jamais reni� ni sa foi religieuse sous la Terreur, ni sa foi d�mocratique sous la Restauration.
Si l'Eglise, qu'il a sauv�e, lui a refus� ses pri�res et ne veut se souvenir de lui que pour le calomnier, la R�publique, qu'il a fond�e et servie, les sectes pers�cut�es qu'il a affranchies, les races opprim�es dont il a h�t� la d�livrance, rendent � sa m�moire l'hommage qu'elles lui doivent. Cette justice qu'il n'a pas toujours obtenue de son vivant, l'histoire la lui fait aujourd'hui sans r�serve. Elle n'a, pour le glorifier, qu'� retracer rapidement et sans commentaire l'existence si bien remplie de ce vieux patriote. Il n'est pas de souvenir plus honorable pour la France, ni d'exemple plus fortifiant pour un Fran�ais.

I

Henri Gr�goire �tait n�, le 4 d�cembre 1730, � V�ho, pr�s de Lun�ville, au milieu de ces populations rurales de Lorraine, dont il conserva toute sa vie l'�pre franchise, la vaillance et la probit�. L'�ducation raffin�e qu'il re�ut chez les j�suites de Nancy ne put fausser son inflexible droiture. Elle ne lui fit pas non plus oublier qu'il �tait du peuple. Ordonn� pr�tre de bonne heure, il eut, malgr� le succ�s acad�mique de son Eloge de la po�sie, le courage de s'arracher aux s�ductions de la vie litt�raire pour se consacrer tout entier aux devoirs de s on minist�re. Sa jeunesse et une partie de son �ge m�r s'�coul�rent dans la modeste cure d'Emberm�nil, d'o� il ne f�t sans doute jamais sorti sans la R�volution. Aust�re et rigide pour lui-m�me. Gr�goire s'effor�ait sans rel�che d'augmenter le bien-�tre mat�riel et moral de ses paroissiens. Il les aidait de son argent et de ses conseils dans leurs travaux agricoles, les initiait aux perfectionnements et aux inventions qu'il remarquait dans ses voyages en Suisse et en Allemagne, et, sur toutes choses, les poussait � s'instruire, par des dons ou des pr�ts de livres, pour les rendre dignes de la libert�. Aussi �tait-il ador� de ses ouailles, mais, en revanche, assez mal vu de ses sup�rieurs, qui pressentaient en lui un tribun populaire. Son �loquence chaude et vibrante n'�tait pas pour leur plaire. Laissant de c�t� les subtilit�s th�ologiques et les all�gories forc�es, le cur� d'Emberm�nil parlait d'abondance, avec son �me, et ses discours, pour �tre parfois peu ch�ti�s, n'en allaient pas moins aux c�urs des faibles et des malheureux. Mais ce qui lui valut l'inimiti� d�clar�e du haut clerg�, ce fut son Essai sur la r�g�n�ration physique et morale des Juifs, couronn� par l'acad�mie de Metz en 1788. Oser d�fendre en public cette race maudite, revendiquer pour ces parias des soci�t�s modernes, au nom de la fraternit� chr�tienne, le droit de vivre libres et honor�s, n'�tait-ce pas, surtout de la part d'un pr�tre catholique, la plus scandaleuse t�m�rit� ? Ainsi en jug�rent les �v�ques et les conservateurs du temps. Mais les cur�s de Lorraine, qui �taient du peuple comme Gr�goire, ne partag�rent pas � son �gard les sentiments haineux de la haute Eglise. Ils le lui prouv�rent en le choisissant bient�t apr�s comme repr�sentant du clerg� aux Etats g�n�raux de 1789. Nul dans celle grande assembl�e ne devait r�pondre plus noblement que le cur� d'Emberm�nil aux d�sirs et � l'attente de la nation.
(A suivre.)

8 mars 1882
L'Abb� GR�GOIRE
II

Gr�goire �tait alors dans toute la force de l'Age et du talent. Thibaudeau le jeune, qui le vit � cette �poque � Versailles pour la premi�re fois, nous le d�peint en ces termes : �� Quoique pr�tre jusqu'au bout des ongles et au fond de l'�me, il �tait un des d�put�s pour lesquels j'avais le plus de sympathie et de respect. Il �tait avec tant de bonne foi, de candeur, de courage et de d�vouement, patriote et r�volutionnaire ! Sa figure �tait ouverte ; il avait le sourire de la bont� et de la bienveillance ; son regard, quoique l�g�rement louche, �tait fin et spirituel ; ses habits et sa frisure d'abb� �taient soign�s. Sans se dire hautement r�publicain, il en avait toute l'allure et la r�putation. Sans �tre pr�cis�ment orateur, il parlait avec hardiesse, chaleur et facilit�. Le bas clerg� en �tait fier... �
Aussi ne faut-il pas �tre �tonn� de l'ascendant extraordinaire que, d�s les premiers jours, il exer�a sur son ordre aux Etats g�n�raux. C'est une brochure de lui qui, au mois de juin 1789, d�termina le bas clerg� � venir se joindre aux communes, pour former, au nom de la souverainet� nationale, l'Assembl�e constituante. Ce n'est pas sans raison que le peintre David l'a mis au premier plan dans son esquisse du Serment du jeu de paume. Quelques semaines apr�s, le 13 juillet, Necker �tait renvoy� ; la cour, massant autour de Versailles ses r�giments et ses canons, mena�ait Paris et la repr�sentation du pays d'une ex�cution militaire. Ce jour-l�, Gr�goire, appel� au fauteuil de la pr�sidence, releva par ces fi�res paroles le courage �branl� des patriotes. �� Apprenons, s'�cria-t-il, � ce peuple qui nous entoure que la terreur n'est point faite pour nous... Oui, messieurs, nous sauverons la libert� naissante qu'on voudrait �touffer dans son berceau, fallut-il pour cela nous ensevelir sous les d�bris fumants de celle salle ! � Le lendemain, Paris prenait la bastille et la libert� �tait sauv�e.
Dans la nuit du 4 ao�t, le cur� d'Emberm�nil contribua plus que pas un de ses coll�gues � l'abolition des droits f�odaux. Nul ne travailla plus ardemment que lui, par ses discours et par ses �crits, � fonderie r�gime de l'�galit� devant la loi. D�mocrate par principes et par temp�rament, il s'indigna de voir l'Assembl�e, par une incons�quence regrettable, priver les citoyens pauvres du droit de vote ; et il ne tint pas � lui que le suffrage universel ne f�t �tabli en France d�s 1789. L'autorit� monarchique, encore admise � celle �poque, n'�tait � ses yeux qu'une magistrature populaire, subordonn�e plus qu'aucune nuire � la loi nationale. Il ne lui reconnaissait pas le droit absolu de veto et ne voulait pas, en lui accordant une grosse liste civile, lui fournir les moyens de fomenter la guerre int�rieure ou de soudoyer la trahison. Quand Louis XVI, en prenant la fuite, eut d�chir� le contrat qui l'unissait � la France, Gr�goire eut le bon sens et la hardiesse de proposer sa d�ch�ance et de demander qu'il f�t jug� par une Convention. Comme on lui objectait que le roi, ramen� de Varennes, allait jurer la constitution : �� Il jurera tout et ne tiendra rien, r�pliqua-t-il. Mais on ne l'�couta pas, et la majorit� affol�e pr�f�ra restaurer une royaut� impuissante et haineuse, qui allait, l'ann�e suivante, provoquer l'envahissement de notre territoire.
Sans parler des nombreuses lois de d�tail que Gr�goire fit voler par l'Assembl�e constituante en faveur de l'agriculture, nous devons signaler comme lui appartenant en propre et lui faisant le plus grand honneur celle qui, malgr� bien des pr�jug�s, �leva enfin les juifs � la dignit� de citoyens. Les protestants, veng�s � leur tour des ordonnances iniques de Louis XIV et de Louis XV, durent aussi, en grande partie, leur �mancipation � ce pr�tre catholique, qui se faisait un point d'honneur de procurer la libert� � ses adversaires religieux. Dans le m�me temps, le d�put� lorrain commen�ait, avec l'aide de la Soci�t� des amis des noirs, une v�ritable croisade en faveur des hommes de couleur, encore priv�s des droits civiques, et des n�gres encore esclaves dans nos colonies.
Sa sollicitude pour les victimes de l'intol�rance catholique ne lui faisait point oublier ses devoirs de pr�tre. La dignit� et les droits l�gitimes du clerg� n'eurent pas dans l'Assembl�e constituante de d�fenseur plus courageux que lui. Mais s'il voulait l'Eglise respect�e, il la voulait en m�me temps respectable. Aussi adh�ra t-il, sans entra�nement, mais sans regret, � cette constitution civile par laquelle les repr�sentants du pays, sans porter nulle atteinte au dogme ni � la discipline eccl�siastique, voulurent instituer un clerg� � la fois national et chr�tien, respectueux de la libert�, issu du peuple et uniquement pr�occup� de le rendre meilleur. Gr�goire fut le premier pr�tre qui pr�ta serment A la loi nouvelle. Quand cet homme de bien, aussi recommandable par ses vertus sacerdotales que par son patriotisme, vint prononcer � la tribune la formule sacramentelle : �� Je jure de veiller avec soin aux fid�les dont la direction m'est confi�e ; je jure d'�tre fid�le � la nation, � la loi et au roi ; je jure de maintenir de tout mon pouvoir la constitution fran�aise, d�cr�t�e par l'Assembl�e nationale et accept�e par le roi, et notamment les d�crets relatifs � la constitution civile du clerg� �, - de longs applaudissements retentirent. L'effet produit fut immense. Les cur�s se. ralli�rent, en grande majorit�, � l'Eglise constitutionnelle. Mais la plupart des �v�ques, par haine de la R�volution, refus�rent le serment ; et alors commen�a, par les men�es des r�fractaires, un schisme d'o� devait bient�t r�sulter la guerre civile.

III

Gr�goire �tait � cette �poque devenu si populaire que deux d�partements, la Sarthe et le Loir-et-Cher, se disput�rent l'honneur de l'avoir pour �v�que. Il donna la pr�f�rence � ce dernier et presque aussit�t (mars 1791) se mit � exercer, avec son ardeur ordinaire, des fonctions que les circonstances rendaient particuli�rement p�nibles. L'�v�que inserment� de Blois, M. de Tr�mines, refusa quelque temps de lui c�der la place. Quelques pr�tres r�fractaires et des religieuses l'accueillirent par des impertinences ou des menaces. Mais la masse de la population, � Blois, � Vend�me et ailleurs, le re�ut avec enthousiasme. Il �lectrisait ses dioc�sains par sa parole autant qu'il les �difiait par son exemple. Dans sa premi�re tourn�e pastorale, qui dura quarante jours, il pr�cha jusqu'� cinquante fois. C'est que, s'il n'avait pas recherch� l'�piscopal, il le prenait fort au s�rieux. L'autorit� de l'Eglise, �branl�e par la R�volution, ne pouvait se raffermir que par l'activit�, le patriotisme et l'esprit de tol�rance de ses premiers pasteurs. Il le sentait. Aussi quand l'Assembl�e constituante, en se dissolvant, lui eut rendu sa libert� (octobre 1791), se consacra-t-il tout entier � son cher dioc�se. Pendant pr�s d'une ann�e, il le parcourut en tout sens, r�formant et surveillant son clerg�, recommandant � tous la fraternit� et le respect des lois et ne s�parant pas dans son esprit l'id�e de chr�tien de celle de bon Fran�ais. Les habitants de ses paroisses accouraient en foule pour l'entendre. Cinquante mille enfants re�urent de lui la confirmation en 1792. Mais la politique allait de nouveau l'�loigner de l'�glise. Louis XVI venait d'�tre renvers� de fait (ao�t 1792). La France, envahie, sans gouvernement, faisait appel � tous les d�vouements. Gr�goire, �lu d�put� par le d�partement de Loir-et-Cher, ne voulut pas se soustraire au devoir p�rilleux qui lui incombait. Il alla si�ger � la Convention.
(A suivre.)

11 mars 1882
L'Abb� GR�GOIRE
IV

D�s la premi�re s�ance de cette grande assembl�e (24 septembre 1792), Gr�goire proposa, aux applaudissements de tous ses coll�gues, l'abolition de la royaut� et la proclamation de la R�publique �� L'histoire des rois, s'�cria-t-il, est le martyrologe des nations. � Et sa motion fut adopt�e � l'unanimit�. Quand il s'agit (en novembre) de prononcer sur le sort de Louis XVI, Il d�clara sans h�sitation que ce roi sans foi devait �tre jug� par la Convention. Mais fid�le � son aversion pour la peine de mort, qu'il appelait �� un reste de la barbarie �, il opina pour que le coupable fui condamn� �� � l'existence � et aux remords.
Sa popularit� ne fut point amoindrie par son attitude dans le proc�s du roi. Tout le monde le savait inaccessible � la peur, comme � la corruption. C'est � cette �poque m�me qu'il devint pr�sident de la Convention et qu'il exprima le voeu d'une alliance universelle des nations, dans un discours entra�nant, qui fut imprim� et traduit en diverses langues comme �� le manifeste de tous les peuples contre tous les rois. �
Envoy� peu apr�s dans la Savoie et le comt� de Nice, pays qui venaient de se donner � la France, pour y r�organiser les services publics, il remplit sa l�che en r�publicain et en honn�te homme, fit partout aimer le nom fran�ais et, pondant les six mois que dura son voyage, ne prit pas un jour de repos. Non moins frugal que laborieux, il d�nait chaque soir de deux oranges, et, quand il eut termin� sa mission, il rapporta au Tr�sor public, dans un coin de son mouchoir, une partie de l'Indemnit� qui lui avait �t� accord�e au d�part.
A son retour, la France �tait en pleine guerre civile. Les prescriptions commen�aient. Gr�goire s'associa r�solument � la Montagne, dont la victoire allait sauver la R�publique. Mais il ne participa point aux violences des vainqueurs. Il n'admettait pas que dans aucun cas on put voiler la statue de la loi, Les clameurs et les menaces de la d�magogie n'effrayaient pas ce d�mocrate aust�re, qui pla�ait au-dessus de tout la justice et la libert�. Quand, au mois de novembre 1793, Chaumette inventa le culte de la Raison, quand des pr�tres sans honneur vinrent faire �talage devant la Convention de leur apostasie, l'�v�que de Blois, press�, lui aussi, d'abjurer, resta in�branlable, �� Ma croyance, r�pondit il, est hors de votre domaine : catholique par conviction, pr�tre par choix, j'ai �t� d�sign� par le peuple pour �tre �v�que ; mais ce n'est ni de lui ni de vous que je tiens ma mission. Agissant d'apr�s les principes sacr�s qui me sont chers et que je vous d�fie de me ravir, j'ai t�ch� de faire du bien dans mon dioc�se ; je reste �v�que pour en faire encore. �
Ce jour-l�, par le seul ascendant du courage, Gr�goire tint en respect tout une assembl�e manifestement hostile � sa foi. On murmura, mais on admira, m�me quand on le vit, peu apr�s, pr�sider la Convention en habit violet. Pour lui, imperturbable dans sa mission politique comme dans ses fonctions religieuses, il continuait, en pleine Terreur, � revendiquer les droits de l'humanit�. En juillet 1793, il obtenait la suppression de la prime accord�e pour la traite des n�gres, et, le 4 f�vrier 1794, il avait enfin la joie du faire d�cr�ter l'abolition de l'esclavage dans les colonies. Les noirs de Saint-Domingue ne l'ont jamais oubli�.
Ce dont la France doit se souvenir, c'est que, dans le m�me temps, Gr�goire, pr�sident du comit� des rapports et membre du comit� d'instruction publique, travaillait nuit et jour, par une correspondance incessante, � mettre � l'abri du vandalisme, dans toute la France, les monuments de l'art et les biblioth�ques ; c'est qu'il sauvait et r�unissait six millions de volumes, qu'il voulait distribuer aux d�partements ; c'est qu'il prenait les mesures les plus efficaces pour assurer dans toutes les parties de la R�publique l'usage exclusif de la langue fran�aise ; c'est qu'il faisait voter huit cent mille francs de pensions aux �crivains et aux savants qui honoraient le plus notre pays; c'est qu'il tentait de r�aliser au moins par des congr�s et une association litt�raire et scientifique son r�ve le plus cher, l'alliance universelle des peuples; c'est qu'il r�organisait l'enseignement avec Lakanal et Daunou ; c'est qu'il cr�ait l'Institut, le Mus�um d'histoire naturelle, le Bureau des longitudes, le Conservatoire des arts-et-m�tiers ; c'est qu'il voulait r�g�n�rer la France par la science autant que par la libert�, Voil� ce que nous n'avons pas le droit d'oublier.
La Terreur pass�e, Gr�goire, d�vou� plus que jamais � sa religion, r�clame �nergiquement la libert� dus cultes (d�cembre 1794). Repouss� une premi�re fois, il revient � la charge et, avec l'aide de Boissy-d'Anglas, il obtient enfin gain de cause (f�vrier 1793). Des pr�tres r�fractaires sont d�tenus en grand nombre sur les pontons de Rochefort. Il n'emploie son cr�dit qu'� les faire mettre en libert�, - ce dont, par parenth�se, ils n'auront garde de le remercier. - Puis, non content du r�organiser le culte dans son dioc�se, il le r�tablit � Paris et, on peut le dire, dans toute la France. Gr�ce � lui et � ses actifs collaborateurs, un clerg� libre et patriote s'associe de coeur � la fortune de la R�publique. D�s 1796, cinq ans avant la pr�tendue restauration des autels par Bonaparte, plus de trente deux mille paroisses peuvent entendre la messe, Voil� ce que Gr�goire a fait pour l'Eglise. Pourquoi l'Eglise en a-t-elle perdu la m�moire ?

V

A la fin de 1795, l'�v�que de Blois est en pleine gloire. Quand la Convention se dissout, il entre sans conteste au conseil des Cinq-Cents. L'Institut, qu'il a fond�, l'admet aussi dans son sein. Dans l'un comme dans l'autre de ces deux corps, il porte (ses discours et ses nombreux ouvrages en font foi) un z�le infatigable pour le bien public, pour la science et pour l'humanit�. Mais ce qui le pr�occupe par-dessus tout � cette �poque, c'est le sort de cette religion, qui lui est si ch�re et qu'il a si p�niblement restaur�e. Il parcourt fr�quemment son dioc�se, fonde des �coles, des biblioth�ques. Il entretient avec tout le clerg� national une correspondance �crasante pour tout autre que lui ; il a fond� et il dirigera plusieurs ann�es, sans se lasser jamais, les Annales de la religion. Il r�unit un concile � Paris en 1797 ; il en r�unira un second en 1801. Mais bient�t, gr�ce � la faiblesse du gouvernement, le clerg� r�fractaire, soutenu par le royalisme, gagne du terrain dans tous les d�partements. Les populations, intimid�es, d�laissent de plus en plus les jureurs, le clerg� national, par peur ou par corruption, se disloque, s'�miette, dispara�t. Un jour vient o� Gr�goire, qui, depuis 1798, n'est plus membre des Cinq-Cents, ne re�oit plus de subvention de ses dioc�sains, tombe dans la mis�re, doit vendre ses livres et vivre d'un petit emploi � la Biblioth�que de l'Arsenal. Puis, le premier consul, qui m�dite d'encha�ner par le Concordat le pape et l'Eglise de France � sa fortune, essaie de gagner l'�v�que de Blois. Mais ce dernier, au nom de l'�glise, repousse aussi bien la dictature du Saint-Si�ge que le despotisme du gouvernement civil. Il refuse donc noblement les faveurs qui lui sont offertes. Mais ne voulant pas entraver par sa r�sistance la pacification religieuse de la France, il abdique sans regret ses fonctions �piscopales et ne
veut conserver de son autorit� pass�e que ce titre d'ancien �v�que qu'il sera fier de porter jusqu'� la mort.

VI

Entre Bonaparte et Gr�goire, il n'y avait pas de rapprochement possible. L'ancien conventionnel, qui avait cru quelque temps, comme toute la France, au r�publicanisme du jeune g�n�ral, perdit toute illusion d�s qu'il vil fonctionner cette constitution de l'an VIII, qui n'�tait qu'une dictature d�guis�e. Appel� en 1800 au corps l�gislatif, �lu peu apr�s pr�sident de cette assembl�e, il ne put, malgr� d'�loquentes protestations, emp�cher le r�tablissement de la traite des n�gres. L'estime qu'il inspirait � ses coll�gues �tait cependant telle qu'ils le choisirent trois fois de suite comme candidat au S�nat. Trois fois le premier consul, qui ne voyait en lui qu'un id�ologue, le repoussa. � la quatri�me, il c�da de mauvaise gr�ce (d�cembre 1801). Gr�goire entra an S�nat. Ce ne fut que pour s'opposer sans succ�s aux exc�s de complaisance d'une Assembl�e qui avait soif de servitude et qui s'�tudiait sans rel�che � pr�venir les d�sirs du ma�tre. Il vota contre le consulat � vie, mais vainement. Un peu plus tard, quand Bonaparte voulut �� descendre au rang d'empereur �, Gr�goire seul parla contre la loi nouvelle, et au scrutin il n'y eut que deux de ses coll�gues qui s'associ�rent formellement � sa r�sistance. Toute opposition devenait d�s lors inutile. L'ancien �voque de Blois n'en persista pas moins dans sa ferme attitude. Il combattit avec force le r�tablissement des titres nobiliaires, l'usurpation des Etats romains, la cr�ation des Droits r�unis, celles des tribunaux exceptionnels et des prisons d'�tat, et il ne tint pas � lui que le divorce de Napol�on ne f�t emp�ch�.
Dans les m�mes ann�es et un peu plus tard, la dictature imp�riale cr�ant des loisirs aux assembl�es parlementaires, Gr�goire entreprit d'assez longs voyages en France et � l'�tranger. De retour � Paris, il mettait en ordre les mat�riaux consid�rables qu'il avait recueillis pour ses futurs travaux. Puis il prenait lu plume et, toujours pr�occup� du sort des malheureux et des opprim�s, ainsi que de l'avenir de la religion, il �crivait de savants et beaux ouvrages, comme ses Ruines de Port-Royal (1801-1809) ; son Essai sur l'agriculture eu Europe au seizi�me si�cle (1804) ; son trait� de la Litt�rature des n�gres (1807) ; son Histoire des sectes religieuses (1810); ses Observations nouvelles sur les Juifs, etc. Heureux encore quand ses livres n'�taient pas interdits par la police du Fouch� !
Quand Napol�on, � force de violences et d'attentats, eut ameut� contre lui toute l'Europe et qu'il fut possible de pr�voir le terme de sa fortune, Gr�goire se tint pr�t � provoquer la d�ch�ance de l'empereur. Il en r�digea la proposition motiv�e d�s le commencement de 1814, et, � plusieurs reprises, avant que cette mesure f�t impos�e par l'�tranger, s'effor�a de la faire adopter par un certain nombre de ses coll�gues. Jusqu'au dernier moment, ceux-ci eurent peur. �� Comment, disait Beurnonville, le S�nat pourra-il exister sans t�te ?� Ce � quoi Gr�goire r�pliqua :
�� Voil� bien quatorze ans qu'il existe sans c�ur. � Finalement, les s�nateurs entendirent le canon russe. Ils proclam�rent alors la d�ch�ance avec un empressement cynique et se ru�rent aux pieds des alli�s. Quant aux garanties � r�clamer au nom de la souverainet� nationale, Ils en parl�rent un peu, les
premiers jours. Mais le projet de constitution qu'ils avaient pr�par� avec l'aide de Gr�goire ayant �t� escamot� par Louis XVIII, ils se gard�rent du protester ; ils acclam�rent la Charte octroy�e et �quivoque de 1814. A ce prix, la plupart d'entre eux furent pairs de France.
(A suivre.)

15 mars 1882
Vari�t�
L'Abb� GR�GOIRE
VII

La plupart des s�nateurs furent pairs de France.
Inutile de dire que l'ancien �voque de Blois ne le devint pas. Napol�on revint de l'Ile d'Elbe en 1815, et, comme les Bourbons, le laissa de c�t�. Puis, apr�s Waterloo, quand se r�pandit partout la Terreur blanche, ce ne fut plus seulement la disgr�ce, ce fut la pers�cution qui commen�a. Ce politique sans ambition, qui n'avait jamais tremp� dans aucune intrigue ; ce pr�tre Irr�prochable qui disait encore chaque matin sa messe dans son oratoire; cet homme de bien qui envoyait des livres aux n�gres d'Am�rique et qui, du fond de sa retraite d'Auteuil, entretenait une correspondance Infatigable avec les philanthropes des deux mondes, ce citoyen paisible, s'il en fut, troublait le sommeil de la r�action qui r�gnait en France par la gr�ce des alli�s. D�s 1816, l'homme qui avait le plus contribu� � la cr�ation de l'Institut et qui en faisait l'honneur depuis vingt ans, en fut brutalement exclu, par arr�t� minist�riel, avec les Monge, les Carnot, les Guyton de Morveau. Ceux qui y rest�rent ne protest�rent pas ; ce qui fit dire � Lambrecht, ami de Gr�goire : �� Ils auraient m�rit� d'�tre s�nateurs ! �
Peu apr�s, la modique pension dont vivait l'ancien �v�que de Blois lui fut retir�e ; elle ne devait lui �tre rendue qu'apr�s plusieurs ann�es de l�gitimes r�clamations. C'est que, malgr� son d�sir de se faire oublier, le vieux pr�tre conventionnel ne voulait en aucun cas se d�rober � ce qu'il regardait comme son devoir. Par exemple, en pr�sence du Concordat de 1817 et des pr�tentions ultramontaines, il lan�ait courageusement son Essai sur les libert�s de l'�glise gallicane et d�jouait les desseins de la cour de Rome. Deux ans plus tard (1819), suppli� par les �lecteurs de l'Is�re d'accepter une candidature � la Chambre des d�put�s, il c�dait � leurs instances et d�clarait qu'il tiendrait encore haut et ferme le drapeau de la souverainet� nationale. On sait ce qui se passa, Les ultraroyalistes, apr�s son succ�s, bondirent de fureur et demand�rent qu'il f�t exclu de la Chambre comme indigne. Les d�put�s lib�raux n'eurent pas le courage de le d�fendre. Ils lui demand�rent sa d�mission. L'Indomptable vieillard la refusa, et son �lection fut cass�e pour vice de forme.
Des lors Gr�goire, attrist�, renon�a pour toujours � la vie publique, il lui restait encore une dignit� honorifique; celle de commandeur de la L�gion d'honneur. Il s'en d�mit fi�rement en 1823, pour n'avoir pas � solliciter la remise d'un nouveau brevet. Il se consacra d�s lors tout entier � ses exercices de pi�t�, � sa correspondance et � ses ch�res �ludes. Le nombre de ses publications pendant les dix derni�res ann�es de sa vie est vraiment extraordinaire. Citons seulement celles qui ont eu le plus de retentissement et qui ont le plus contribu�e � l'adoucissement des moeurs et au progr�s de la libert� religieuse : De l'influence du christianisme sur la condition des femmes (1821 ) ; - Des peines infamantes � infliger aux n�griers (1822) ; - Histoire des confesseurs des empereurs, des rois et autres princes (1824) ; - De la noblesse de la peau (1826) - Histoire du mariage des pr�tres en France (1826), etc., etc.
Le vieux conventionnel v�cut encore assez pour voir les Bourbons en fuite et la France un instant ma�tresse d'elle-m�me. Les journ�es de Juillet et le drapeau tricolore de 1830 firent pour un moment rena�tre en lui ses illusions de jeunesse. Mais quand, au lieu de la R�publique qu'il r�vait, il vit s'�tablir une royaut� mercantile et une oligarchie de censitaires ; quand il se fut convaincu que les survivants de la grande R�volution seraient, comme nagu�re, tenus � l'�cart et suspect�s; quand M. Guizot eut refus� de lui rouvrir les portes de l'Institut, Gr�goire d�sesp�ra et ne voulut plus vivre.
La mort n'�tait pas loin. Mais une �preuve �tait encore r�serv�e � cette �me �nergique. Quand fid�le aux convictions de toute sa vie, l'ancien �v�que de Blois demanda les derniers sacrements, l'archev�que de Paris exigea durement de lui qu'il r�tract�t son serment � la constitution civile du clerg�. On croyait sa volont� abattue par l'�ge (il avait quatre-vingt-un ans), sa raison affaiblie par la souffrance ; - mais Gr�goire, jusqu'au dernier soupir, devait rester lui-m�me. Il voulait mourir catholique et r�publicain. Ni les obsessions scandaleuses, ni les menaces ne purent triompher de sa noble obstination. A la fin, il se trouva dans le clerg� de Paris un homme de coeur qui, en d�pit de l'archev�que donna sans conditions au malade la consolation supr�me qu'il d�sirait.
Peu apr�s (28 mai 1831), Henri Gr�goire mourut. Vingt mille personnes suivirent son convoi, et les �tudiants de Paris voulurent tra�ner eux-m�mes son cercueil au cimeti�re. Mais on n'avait trouv� qu'� grand' peine un pr�tre pour officier � ses fun�railles. L'�glise qu'il avait sauv�e et qui ne pouvait lui pardonner ce bienfait, lui marchandait jusqu'apr�s la mort ses b�n�dictions et ses pri�res, Depuis, elle a fait syst�matiquement le silence autour de cette noble m�moire. Ce silence, Il appartient de le rompre � ceux qui admirent ses vertus, son aust�rit�, son in�branlable attachement � la foi de ses jeunes ann�es ; � ceux dont le c�ur bat comme le sien pour cette libert� et cette R�publique qui furent son espoir, son amour, son voeu supr�me.
(Fin.)

 

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