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Parmi les nombreuses affaires
d'espionnage qui ont attir� l'attention nationale sur la
s�curit� � la Gare d'Avricourt, on peut citer l'affaire Maurice
Deschamps en 1909. En voici les �l�ments :
Le Gaulois - 29
ao�t 1909
Vol d'une mitrailleuse -
Ch�lons-sur-Marne - On a soustrait, au cours de la nuit
derni�re, au 106e de ligne, une mitrailleuse. C'est � sept
heures du matin qu'on a trouv� la porte du b�timent de
l'habillement du 106e ouverte, et qu'on a d�couvert la
disparition de cette mitrailleuse mod�le 1908 qui �tait remis�e
au deuxi�me �tage, et qui �tait confi�e � la garde d'un
lieutenant. Tous les soup�ons se portent sur le caporal qui
�tait de service � l'habillement et est d�serteur depuis huit
jours. Il �tait parti emportant les cl�s et avait dit, quelques
jours avant son d�part : Si jamais je file, il y a un bon coup �
faire au 106e. Je ne le raterai pas. On suppose qu'il a p�n�tr�
au 106e vers deux heures du matin pour emporter le tube de la
mitrailleuse en laissant le support. Des autos douteuses ont
stationn� cette nuit dans ces parages. L'inculp� �tait surveill�
depuis longtemps par la S�ret� pour espionnage.
La croix - 3
septembre 1909
COMMENT DESCHAMPS A VOL� LA
MITRAILLEUSE
II demanda � des artilleurs de lui livrer le m�canisme d'un
canon
D'apr�s les t�moignages recueillis � Ch�lons-sur-Marne par les
inspecteurs de la brigade du commissaire Motti�, Deschamps
quitta la caserne Chanzy le 20 ao�t, emportant un poignard dans
une gaine de velours rouge, serr�e contre la lame par deux
bagues en cuivre. Il s'�tait fait fabriquer cette arme expr�s
pour partir, dit-on, et pour se tuer s'il �tait d�couvert. En
mettant ses projets de trahison � ex�cution, Deschamps passa de
la cour de la caserne Chanzy dans celle du 25e d'artillerie, par
une porte de communication situ�e pr�s des cuisines du 2e
bataillon. Il se rendait dans un caf� voisin tenu par Mme T... o�
il fr�quentait assidument.
C'est l� qu'il aurait �chang� ses v�tements militaires pour des
v�tements civils, puis, avec la tenanci�re de l'�tablissement,
il d�na et consulta l'indicateur des chemins de fer. Le caporal
partit du petit caf� � 10 heures du soir et prit le train a- 11
h. 1/2 pour Paris. A Paris, il rejoignit son amie, Marcelle B.
qui avait quitt� Ch�lons avant lui et lui demanda de l'argent
qu'elle lui remit. C'est avec ces nouvelles ressources que
Deschamps se rendit � Deutsch-Avricourt, o� il resta
vingt-quatre heures.
C'est de Deutsch-Avricourt que Deschamps �crivit au brigadier
Varinot, de la 3e batterie, charg� de la presse r�gimentaire, et
aux canonniers Jacob et Fimbel. de la premi�re batterie ; il
leur disait, dans un langage convenu, qu'il �tait �� par� � et
que si l'on pouvait avoir le m�canisme du canon ce serait une
bonne affaire avec l'Allemagne.
Les trois artilleurs emprisonn�s � la suite de la d�couverte de
ces lettres ont ni� toute participation au vol de la
mitrailleuse et toute complicit� avec Deschamps. Ils ont m�me
aid� les enqu�teurs dans leurs investigations et ont paru si
sinc�res que ce soir, � 4 heures, on leur a rendu la libert�.
Ils ne sont plus consign�s au quartier.
De Deutsch-Avricourt, Deschamps, qui parle assez bien
l'allemand, se rendit � Strasbourg o� il dut n�gocier le vol de
la mitrailleuse nouveau mod�le. Il revint alors le 27 au soir �
Ch�lons o�, attendant l'heure propice, il se serait cach� au
petit caf� tenu par Mme T... Vers 11 heures du soir, il serait
rentr� a la caserne Chanzy par la grille Nord qui donne sur le
chemin qui m�ne aux docks d'artillerie. Il prit la mitrailleuse
qu'il d�vissa de son support, la mit dans un sac et passa par la
porte de communication ayant acc�s au 25e d'artillerie, entre la
sellerie et le lavoir de ce r�giment. Il traversa le quartier
sans �tre inqui�t� et sortit par la porte du fumier qui se
trouve derri�re l'usine a gaz, o� il n'y a aucune habitation et
o� une automobile l'attendait. On a remarqu�, en effet, les
traces de cette voiture dans le chemin o� s'ouvre cette porte.
Une autre automobile stationnait sur l'esplanade Valmy, pour
donner le change. Quelques heures apr�s, Deschamps �tait en
Allemagne avec la mitrailleuse. On a de fortes raisons de croire
qu'il y est encore.
La Croix - 30
novembre 1909
L'affaire de la mitrailleuse
Le Journal de Lun�ville, � propos du passage � Igney-Avricourt
du caporal Deschamps, du 106e porteur de la mitrailleuse vol�e,
�crit :
Comment se fait-il qu'� la gare fran�aise d'Igney-Avricourt un
gendarme ne visita pas les wagons pour voir si, dans les
compartiments, ne se cache pas quelque malfaiteur dont ils ont
le signalement, des d�serteurs ou des gens sujets � caution et
dont ils pourraient exiger les papiers. A Avricourt-Allemand on
proc�de � cette formalit� et minutieusement.
Au fait, apr�s tout, � quoi cela servirait-il de chercher �
signaler � notre poste-fronti�re si important d'Avricourt le
passage d'un criminel, d'un voleur ou d'un tra�tre, de demander
son arrestation ?
Qui le croirait ? Les bureaux du commissaire sp�cial d'Avricourt,
qui compte en plus deux commissaires adjoints, n'ont m�me pas le
t�l�phone ?
Notre confr�re ajoute
Que fait Deschamps?
Si les renseignements sont pr�cis, si de nouvelles mesures n'ont
pas �t� prises contre le d�serteur de Ch�lons, il a �t� autoris�
� r�sider � Strasbourg, o� il est entr� dans ce service
d'espionnage fronti�re que dirige l'ancien chef de police
fran�ais Schwartz, achet� aussi par le grand �tat-major, avec,
comme second. le fameux L�opoldus, lequel n'est autre que le
major von Rock du 8e bavarois.
C'est une triste recrue, mais excellente pour eux, qu'ils ont
faits l�. Intelligent, d�brouillard, instruit, Deschamps est un
interm�diaire tout d�sign� entre les acheteurs allemands de
secrets et de pi�ces confidentielles et les mauvais Fran�ais
comme Parisot, comme Duflet, comme Troussier et tant d'autres
qu'on n'ose pas avouer.
Le Gaulois - 18
avril 1910
Le vol de la mitrailleuse
Arrestation de Deschamps
Capture sensationnelle
Le caporal a �t� d�couvert � Paris, o� il se trouvait depuis
huit jours, venant de Strasbourg - Il nie le crime qui lui est
imput�.
Armand Villette
Un caporal du 106e r�giment
d'infanterie - le caporal Deschamps - en garnison �
Chalons-sur-Marne, caserne Chanzy, s'est enfui apr�s avoir vol�
les parties essentielles d'une mitrailleuse !
Cette tr�s grave nouvelle, connue � Paris le 28 ao�t dernier,
produisit une �motion d'autant plus vive qu'� cette m�me �poque
plusieurs cas d'espionnage assez importants venaient d'�tre
d�couverts dans nos garnisons de l'Est.
Lorsque, � Ch�lons-sur-Marne, ce vol stup�fiant fut constat�,
tous les soup�ons se port�rent imm�diatement sur Deschamps,
lequel, huit jours auparavant, occupait au 106e le poste de
caporal d�tach� � l'habillement.
En effet, Deschamps avait emport� les clefs et, peu avant sa
fuite, le mis�rable avait confi� � un de ses camarades :
- Si jamais je file, il y a un bon coup � faire ici. Je te prie
de croire que je ne le raterai pas.
Deschamps ne devait pas tarder � faire le �� bon coup � en
question. Il parvint � gagner la fronti�re, porteur des pi�ces
vol�es, et malgr� toutes les recherches le mis�rable ne fut pas
retrouv�. Il s'est t'ait arr�ter hier, � Paris, dans les
circonstances suivantes :
On savait depuis quelques jours que Deschamps �tait rentr� en
France et qu'il habitait Paris. Les agents de la S�ret�
parisienne surveillaient �troitement deux de ses camarades du
106e et notamment un nomm� Jacob, ouvrier armurier, qui fut un
instant soup�onn� d'avoir fabriqu� les fausses clefs ouvrant les
locaux affect�s aux mitrailleuses. Or, a plusieurs reprises, on
avait aper�u, en compagnie de Jacob, un jeune homme dont le
signalement r�pondait � celui de Deschamps. On fila cet individu
et les agents ne tard�rent pas � apprendre qu'il �tait descendu
dans un h�tel meubl� du boulevard Malesherbes.
Hier matin, muni d'un mandat d'amener, un des inspecteurs de M.
Hamard, qui pistait Deschamps, l'aborda place de la Bastille, au
moment o� il s'entretenait avec un ami. L'ex-caporal protesta
tout d'abord, mais lorsque l'inspecteur lui eut montr� sa
photographie, il tenta de r�sister, puis de fuir ; bient�t
ma�tris�, il reconnut sa v�ritable identit�.
Quelques instants plus tard, le d�serteur voleur de
mitrailleuses, �tait amen� dans les bureaux du quai des Orf�vres
et mis en pr�sence de M. Hamard, qui lui fit subir un long
interrogatoire d'identit�.
Lors de l'enqu�te primitive, qui va �tre naturellement reprise
d�s le d�but, on avait cru relever que Deschamps s'�tait
introduit dans la caserne vers deux heures du matin, qu'il �tait
mont� au deuxi�me �tage et qu'il s'�tait empar� des pi�ces de la
mitrailleuse qu'il convoitait. A cette heure-l� plusieurs
personnes avaient remarqu� que des automobiles stationnaient aux
abords de la caserne.
On sait que tous nos r�giments d'infanterie et de cavalerie
doivent �tre dot�s de mitrailleuses. Plusieurs d'entre eux,
notamment ceux qui appartiennent aux corps d'arm�e stationn�s
sur les fronti�res, en ont �t� d�j� pourvus et ces mitrailleuses
ont figur� aux grandes manoeuvres des trois derni�res ann�es.
Ce sont les pi�ces principales de cet engin fabriqu� par la
manufacture de Saint-Etienne que Deschamps vola.
La mitrailleuse en question �tait remis�e au deuxi�me �tage :
elle �tait confi�e � la garde d'in lieutenant. On s'aper�ut du
vol en constatant, le matin du 28 ao�t dernier, que la porte du
b�timent de l'habillement, qui devait �tre naturellement ferm�e,
�tait, au contraire, grande ouverte.
Le conseil des ministres fut saisi de cette grave affaire par le
g�n�ral Brun, ministre de la guerre, qui d�clara � ses coll�gues
que les pi�ces vol�es par Deschamps �taient le tube et la
culasse d'une mitrailleuse nouveau mod�le. Le ministre fit
remarquer que cette mitrailleuse est d'un syst�me tr�s voisin du
syst�me Maxim, qui est dans le commerce. Il ajouta que les
avantages de l'arme nouvelle ne pourraient �tre mis en �vidence
que par des exp�riences longues et minutieuses qui, pour �tre
men�es � bonne fin, exigent que l'on dispose d'un certain nombre
de ces mitrailleuses.
Pour rassurer l'opinion publique justement alarm�e, le g�n�ral
Brun dit encore :
- La possession d'un exemplaire unique ne permettrait donc de
d�tenir aucune indication de quelque importance sur la valeur de
l'arme adopt�e dans notre arm�e.
Il est �vident que la mitrailleuse mod�le de Saint-Etienne
ressemble � la mitrailleuse Maxim, mais elle a pour
caract�ristique un syst�me de r�frig�rant nouveau. Or le d�faut
essentiel des mitrailleuses �tant leur �chauffement rapide, la
valeur du r�frig�rant est de premi�re importance.
Ce r�frig�rant est fix� au tube de la mitrailleuse et c'est ce
tube que Deschamps emporta.
L'enqu�te et les recherches entreprises par les autorit�s
civiles et militaires se poursuivirent vainement. Elles
n'aboutirent qu'� l'arrestation d'un soldat, un instant
soup�onn� et presque imm�diatement remis en libert�, et �
l'arrestation d'une petite chanteuse de caf�-concert, Mlle
Marcelle Brunette, pensionnaire du casino de Toul amie de
Deschamps, appr�hend�e par la S�ret� g�n�rale sous la double
inculpation d'excitation de militaire � la d�sertion et de recel
de d�serteur. C'est, en effet, chez cette jeune chanteuse
qu'apr�s avoir quitt� Ch�lons, Deschamps s'�tait rendu tout
d'abord.
Mlle Marcelle Brunette, de son vrai nom Marguerite Belpoix, fut
incarc�r�e � la prison de Toul. Peu apr�s son arrestation, la
S�ret� g�n�rale intercepta et saisit une lettre que Deschamps
lui adressait. Dans cette lettre, dat�e de Strasbourg, le
mis�rable disait qu'il �tait install� dans cette ville ; il
annon�ait � son amie qu'il se proposait de lui envoyer
prochainement des fonds pour qu'elle p�t aller le rejoindre.
On n'eut pas d'autres nouvelles de Deschamps et finalement
l'inculp�e fut remise en libert� en m�me temps que plusieurs
autres individus soup�onn�s de complicit�, mais contre lesquels
il fut impossible de relever une inculpation probante.
A d�faut de Deschamps, on s'inqui�ta un peu tardivement de son
pass�. N� pr�s de Meaux, en Seine-et-Marne, il eut une jeunesse
tr�s mouvement�e et non exempte de faits plus ou moins f�cheux.
Exer�ant par intermittence le m�tier de dessinateur il se fit
embaucher � Bourges, o� il aimait � fr�quenter les artilleurs -
sans aucun doute dans un but d'espionnage d�j� caract�ris�. -
Entre temps, il fit un s�jour dans une maison de correction et
vint s'installer � Paris.
En 1907, Deschamps s'engagea ; il fut incorpor� au 106e
d'infanterie � Ch�lons-sur-Marne. Sa conduite ne fut pas
exemplaire ; toutefois, comme il rachetait ces �carts par une
bonne intelligence, il obtint les galons rouges.
Lorsqu'il fut question du d�part du 106e aux Manoeuvres du camp
de Ch�lons le caporal dit � plusieurs reprises � ses camarades :
- Les manoeuvres ? La barbe ! Elles s'ex�cuteront sans moi !
- Comment t'y prendras-tu pour �� y couper ? �
- C'est mon affaire, mais je r�p�te que l'on ne m'y verra pas !
Effectivement, l'avant-veille du d�part du r�giment, Deschamps
disparut.
On apprit plus tard que le matin m�me de sa disparition, il
s'�tait rendu au bureau de poste, o� il avait touch� un mandat
assez important. De retour de la poste, il revint � la caserne, il enleva son bourgeron et son pantalon de treillis et rev�tit
un costume civil, qui lui permit de sortir de nouveau sans
encombre par l'une des deux portes grill�es de la caserne
Chanzy, qu'aucun factionnaire ne gardait.
Sa premi�re viite fut pour un marchand de vin de ses amis. De l�
il rejoignit son amie, Mlle Belpoix, et, finalement, il reprit
le train � destination de Strasbourg.
La d�sertion de Deschamps avait eu lieu le 20 ao�t ; le vol des
pi�ces de la mitrailleuses fut d�couvert le 28 du m�me mois. On
s'est toujours demand� - et l'on se demande encore - si le vol a
pr�c�d� la d�sertion, et dans ce cas on peut s'�tonner qu'il
n'ait �t� constat� que huit jours apr�s - ou bien si Deschamps a
eu l'audace de revenir � la caserne Chanzy dans la nuit du 27 au
28 ao�t pour y commettre son crime.
Deschamps �tait de retour � Paris depuis le 9 avril. Il arriva
par la gare de l'Est, disant venir de Vienne. Il dut
vraisemblablement chercher pendant quelques heures le domicile
qu'il allait habiter durant son s�jour dans la capitale, et,
pour parer � toute �ventualit� et pouvoir s'esquiver � la
premi�re alerte, il dirigea ses recherches dans les environs
d'une gare.
C'est vraisemblablement pour ce motif qu'il arriva dans la
soir�e du 9 avril � l'h�tel du Puy-de-D�me, situ� � l'angle des
rues de Chalon et des Charbonniers, en face de la gare de Lyon.
Le g�rant de cet h�tel, qui tient en m�me temps un d�bit de vin,
lui fit visiter plusieurs chambres, et Deschamps finit par en
arr�ter une dont les fen�tres prennent jour sur la rue de
Chalon, pour un prix de quatre francs.
Sur les registres de la police, Deschamps s'inscrivit au nom de
Jean Bonnet, exer�ant la profession de repr�sentant d'articles
pour aviation, et � l'appui de ses dires, il exhiba une carte de
visite libell�e ainsi : �� Jean Bonnet, ing�nieur-aviateur �.
Pendant les huit jours qu'il passa � l'h�tel du Puy-de-D�me,
Deschamps ne re�ut qu'une carte-lettre. Il s'en montra fort
d�sappoint�, car il disait attendre des fonds de son patron qui
lui permettraient de s'acquitter de la somme qu'il devait.
Le faux Bonnet passait le plus clair de son temps en compagnie
de femmes qui devaient lui fournir des subsides et il semble
probable que c'est � bout de ressources qu'il sera revenu �
Paris pour s'en procurer.
Il devait entretenir des relations suivies avec une de ses amies
habitant le quartier de Ternes, car sa pr�sence y fut plusieurs
fois relev�e et on remarqua qu'une jeune femme l'accompagnait.
Deschamps, qui est de taille moyenne, assez �lanc�, blond, a �t�
amen� hier, � trois heures de l'apr�s-midi, dans les bureaux de
la Suret� g�n�rale. Mis en pr�sence de M. S�bille, commissaire
principal, qui lui a fait part imm�diatement de l'inculpation
relev�e contre lui, il s'est �cri� :
- C'est faux ! D�serteur, oui ! Voleur, tra�tre et espion, non !
Je proteste �nergiquement.
Pendant une heure, il a fait � M. S�bille le r�cit de ses
p�r�grinations depuis son d�part de Ch�lons : il avait travaill�
comme m�canicien successivement � Zurich, � Cologne, et
finalement, � Francfort, d'o� il venait losqu'il arriva � Paris.
En attendant son d�part pour Ch�lons-sur-Marne, qui devait avoir
lieu � neuf heures vingt du soir, l'ex-caporal est rest� dans
les bureaux de la S�ret� g�n�rale �troitement surveill�. Un
repas, qu'il mangea de fort bel app�tit, lui fut servi � six
heures.
Nous avons demand� � M. S�bille ce qu'il pense du cas de
Deschamps.
- Je reviens, nous dit-il, d'op�rer une minutieuses perquisition
dans la chambre qu'il occupait � l'h�tel du Puy-de-D�me ; la
correspondance d�j� ancienne que j'y ai trouv�e semble indiquer
que Deschamps est un personnage bien peu int�ressant ; il
pr�tend que depuis son d�part de Ch�lons, il a v�cu de son
travail, je crois tout au contraire que ses seules ressources
�taient l'argent qu'il recevait des femmes. C'est pour retrouver
une amie qu'il est venu se faire prendre. A bout de ressources
et ayant appris que cette femme s'�tait r�fugi�e � paris, il se
mit � sa poursuite, esp�rant la d�cider � repasser avec lui la
fronti�re. Pour toute fortune, il poss�dait cinquante centime au
moment de son arrestation.
Armand Vilette.
La Croix - 22
avril 1910
LE VOL DE LA MITRAILLEUSE
Manouby accuse Jacob
Jacob accuse Manouby
Tous deux accablent Deschamps
Un ancien artilleur, Jacob, camarade du caporal Deschamps, a
fait d'int�ressantes r�v�lations sur le vol de la mitrailleuse.
- Aux f�tes de P�ques de l'an dernier, mon camarade de chambr�e
Manouby - c'est lui que je d�signais, hier. dans ma
conversation - s'�tait rendu dans sa famille, � Levallois.
Quand il fut de retour, il me dit �� Tu connais Deschamps mieux
que moi. Ses besoins d'argent, tu les connais aussi. Voudrais-tu
te charger de lui dire que j'ai quelque chose de tr�s
int�ressant � lui proposer ? �
Le lendemain, nous nous retrouvions, tous les trois, au
rendez-vous indiqu�. Sans pr�ambule, Manouby dit � mon camarade
�� Si tu y consens, il y a de l'argent � gagner. J'ai fait
connaissance, � Paris, pendant ces quelques jours de permission,
d'un officier allemand, M. Lefork. Comme il se trouve en
disgr�ce et qu'il voudrait bien rentrer dans les faveurs du
prince de B�low, il serait d�sireux de nous faire participer �
une combinaison.
- De quoi s'agit-il ? demanda. Deschamps, vivement int�ress�.
- De lui fournir le d�bouchoir de la mitrailleuse du 106e. �
Le caporal n'eut pas une minute d'h�sitation. La vie, assez
large, qu'il menait demandait beaucoup d'argent. Il avait des
amies exigeantes. Ses ressources s'�puisaient. L'accord fut donc
conclu sur-le-champ. Il s'agissait d'�crire � M. Lefork, 4,
avenue de Villiers, pour �tablir les conditions de cette
n�gociation.
Manouby dicta donc � Deschamps la lettre suivante
�� Monsieur,
� Votre canon de 60 a besoin, pour �tre parfait, de notre
d�bouchoir de 75. Je suis � votre disposition pour vous le
fournir.
� Sign� M. O. D., n� 18 000. �
Poste restante. Ch�lons.
- Pourquoi ces initiales ? demandai-je.
- Pas si b�te, repliqua Deschamps. Si je suis pris, vous le
serez tous deux avec moi, puisque les initiales de vos noms
figurent dans cette signature : M., Manouby ; O., Oscar Jacob,
et D., Deschamps.
La lettre fut jet�e � la poste. Elle revint, peu apr�s, �
Manouby, dont le nom �tait inscrit, au verso de l'enveloppe,
pour parer � un retour. Une deuxi�me, puis une troisi�me missive
subirent le m�me sort. Deschamps s'impatientait. Un beau jour il
se f�cha. �� Manouby nous monte le coup ! � s'�cria-t-il.
Se croyant mystifi�, le tra�tre entra dans une violente col�re.
Il bondit sur Manouby et le rossa d'importance, � tel point que
celui-ci s'en tira avec une dent bris�e � � la machoire
sup�rieure.
Il r�solut, d�s tors, de r�gler cette affaire sans
interm�diaire. Il s'adressa au prince de B�low. Quelques jours
apr�s, il recevait le billet que Voici
�� Cher ami,
�� Merci dem'avoir donn� de vos nouvelles. L'affaire marche bien.
Venez � Strasbourg au caf� du Commerce, ou �crivez.
�� Sign� M.O.D., n� 18 000.3
L'affaire ne �� marchait � pas si bien que cela. Deschamps. de
plus en plus press�, exp�diait lettre sur lettre, courait �
Paris, � l'ambassade d'Allemagne, cherchait, par tous les moyens
� r�ussir.
Il se rendit finalement � Strasbourg, o� il �tait attendu dans
le petit caf� en question. C'�tait un vendredi. En se mettant au
lit, Deschamps :
�� Dimanche, je ne serai plus l�. �
Vous savez le reste. Jusqu'au dernier moment. Jusqu'au d�part du
train qui devait l'emporter en Allemagne, en compagnie de
Marcelle Brunette, j'ai essay� de le d�tourner de ce funeste
projet. Rien ne vint �branler sa d�termination.
Il revint � Ch�lons et d�roba le d�bouchoir de la mitrailleuse.
Je n'ai �t� pour rien dans cette triste affaire. Mon innocence a
�t� proclam�e. La meilleure preuve en est que je puis vous
parler librement, ici, aujourd'hui.
Il n'en est pas de m�me de Manouby Son r�le f�t des plus
suspects. S'il n'a pas agi lui-m�me, il a �t� le cerveau qui a
command�, � tel point que le capitaine rapporteur Bayer lui a
d�clar�, devant moi, avant de lui accorder sa lib�ration :
�� Vous avez de la chance que l'arsenal de nos lois ne nous
permette pas de vous garder. Sans quoi, vous en auriez pour cinq
ans. �
Mis au courant des accusations de l'ancien artilleur Jacob,
l'autre ancien artilleur, Manouby, s'est ainsi expliqu�
- Il est exact que j'ai fait connaissance, � Paris, d'un M.
Lefork. C'�tait le dimanche de P�ques. J'attendais le tramway,
avenue de Villiers. Un homme d'une quarantaine d'ann�es, d�cor�,
s'approcha de moi et lia conversation. Il me demanda des
nouvelles du 26e, parla de Ch�lons et, � br�le-pourpoint, en me
donnant ses nom et adresse, me proposa de lui vendre le
d�bouchoir de la mitrailleuse.
J'ai pris cette proposition � la blague. Quinze jours apr�s,
comme l'�tais encore en permission, le m�me individu m'aborda, �
la m�me place, et me tint un langage identique.
En regagnant la chambr�e, j'ai parl�, toute haut, de cette
aventure � mes camarades, Jacob �tait l�. Il a saisi la phrase
au vol.
C'est lui qui a �crit � M. Lefork en signant ses lettres de mon
nom. C'est lui qui a pouss� Deschamps � venir � l'ambassade
d'Allemagne, c'est lui qui l'a engag� passer la fronti�re avec
le produit de son vol, et c'est encore lui qui accabla ensuite
le tra�tre.
Deschamps en sait quelque chose : l'autre jour, apr�s m'avoir
fait la confession de son crime, il a ajout� �� Si je suis pris,
je ne �� trinquerai � pas seul �.
Je ne puis encore tout vous r�v�ler aujourd'hui. Mais on saura
bient�t, j'esp�re, qui fabriqua les fausses cl�s � l'aide
desquelles le tra�tre p�n�tra dans le magasin o� se trouvait la
mitrailleuse : on saura �galement que Deschamps ne b�n�ficia pas
seul des 50 000 francs de l'Allemagne. On saura tout et, comme
vous le disait, hier, Jacob, il pourrait se produire des
surprises.
La bonne camaraderie a failli me perdre. Fort heureusement. je
n'ai pas eu de peine � d�montrer mon innocence, et pour dissiper
tout soup�on, c'est moi qui ai livr� Deschamps � la justice.
Est-ce l� l'acte d'un complice ?
Deschamps est all� deux fois � Strasbourg
Il semble �tabli que le tra�tre Deschamps fit au moins deux
voyages � Strasbourg.
Quelques jours avant la livraison de la mitrailleuse aux
autorit�s allemandes, un portefaix de la gare vit un gendarme
allemand payer son billet de retour � un individu qu'il reconnut
plus tard dans les portraits de Deschamps publi�s par les
journaux. Presque aussit�t, le voyageur reprenait le train pour
Avricourt.
Deux ou trois jours apr�s, Deschamps �tait vu de nouveau �
Strasbourg, cette fois, avec la mitrailleuse. Il fut arr�t� par
un employ� de la douane ; il lui d�clara qu'il portait une
mitrailleuse destin�e au 15e corps allemand. Apr�s avoir insult�
un de ses sup�rieurs, l'employ� laissa passer le singulier
voyageur.
On remarqua alors que celui-ci �tait chauss� de brodequins
militaires et qu'il paraissait conna�tre parfaitement la gare de
Strasbourg.
Il se dirigea ensuite sans h�sitation vers le bureau sp�cial de
police.
Enfin, dans un �tablissement public situ� non loin des bureaux
du 15e corps, le personnel a racont� qu'un sergent pensionnaire
de cet �tablissement et qui remplit les fonctions de secr�taire
� l'�tat-major allemand avait vu la mitrailleuse au mois de
septembre.
- Elle a �t� exp�di�e � Berlin peu de temps apr�s, a ajout� ce
sous-officier elle a servi pour des perfectionnements. C'est par
l'utilisation de ses avantages que la mitrailleuse allemande est
maintenant capable de tirer 182 coups � la minute.
Au Parquet de Ch�lons, l'arrestation d'un complice de Deschamps
a �t� d�mentie.
Le choix du d�fenseur du caporal n'est pas encore fix� ; Me
Henri Robert a d�clar� qu'au cas o� son concours serait
sollicit�, il refuserait de d�fendre Deschamps.
L'Ouest-Eclair -
16 f�vrier 1912
LE TRAITRE DESCHAMPS EN
CONSEIL DE GUERRE
POUR DESERTION IL RECUEILLE CINQ ANS DE TRAVAUX PUBLICS
Ch�lons -sur-Marne, 15 f�vrier.
On se rappelle que le caporal Maurice Deschamps, du 106e
d'infanterie, �tait d�j� d�clar� d�serteur lorsque dans la nuit
du 27 au 38 ao�t il rentra � la caserne de son r�giment.
C'est � ce moment qu'il vola la mitrailleuse qu'il alla vendre
ensuite � l'Allemagne pour la somme d�risoire de 1.250 francs.
La Cour d'assises l'a condamn� le 17 novembre 1911 � 20 ans de
travaux forc�s pour le vol de la mitrailleuse.
Deschamps comparait aujourd'hui devant le Conseil da guerre sous
l'inculpation de d�sertion � l'�tranger en temps de paix. Apr�s
une courte d�lib�ration, le Conseil de guerre a condamn�
Deschamp pour d�sertion � l'�tranger � la peine de 5 ans de
travaux publics qui se confondra avec celle de 20 ans de travaux
forc�s. |