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Documents relatifs � la guerre 1914-1915
Rapports et proc�s-verbaux d'enqu�te de la
commission institu�e en vue de la commission
institu�e en vue de constater les actes commis par
l'ennemi en violation du droit des gens. (D�cret du
23 septembre 1914.) - T. II
Impr. nationale (Paris) - 1915
[...]
Rapport pr�sent� par la Commission � M. le Pr�sident
du Conseil (8 mars 1915)
[...]
Conform�ment aux instructions que vous avez bien
voulu nous donner, nous nous sommes transport�s dans
les d�partements de l'Is�re, de la Savoie et de la
Haute-Savoie, � reflet d'y recueillir, aupr�s des
prisonniers civils r�cemment rapatri�s, des
renseignements sur les circonstances qui ont pr�c�d�
et accompagn� leur arrestation, ainsi que sur le
traitement auquel ils ont �t� soumis pendant leur
s�jour en Allemagne.
Dix mille environ de nos compatriotes, apr�s avoir
�t� emmen�s sur le territoire ennemi pour y subir
une captivit� plus ou moins longue, ont �t� renvoy�s
en France ant�rieurement au 28 f�vrier. Ce sont des
femmes, des enfants, des jeunes gens de moins de
dix-sept ans et des vieillards de plus de soixante.
Parmi eux se trouvent aussi quelques hommes de
dix-sept � soixante ans, que l'autorit� allemande,
apr�s les avoir soumis � un examen m�dical, a
reconnus impropres � tout service militaire.
Arriv�s chez nous par la Suisse et d�barqu�s �
Annemasse, ils ont �t� r�partis dans la r�gion du
Sud-Est.
Nous en avons vu un grand nombre, et nous en avons
interrog� pr�s de trois cents, apr�s leur avoir fait
pr�ter serment de ne dire que la v�rit�. Leurs
d�clarations, dont la concordance nous a frapp�s,
nous ont paru empreintes de la sinc�rit� la plus
compl�te et nous ont apport� une certitude d'autant
plus grande que nous les avons re�ues dans
vingt-huit localit�s diff�rentes, ce qui exclut
toute id�e d'une entente possible entre les t�moins
ou d'une suggestion mutuelle de leur part.
C'est dans ces conditions que nous avons pu nous
rendre un compte suffisamment exact du r�gime qui a
�t� impos� aux prisonniers civils fran�ais,
notamment dans les camps de Holzminden, d'Altengrabow,
d'Amberg, de Chemnitz, de Zossen, de Darmstadt, d'Edenberg
pr�s Landau, de Gardelegen, de Giessen, de
Grafenw�hr, de G�strow, d'Ingolstadt, de Limbourg,
de Mersebourg, de Quedlinbourg, de Cassel, de
Parchim, de Salzwedel, de Wahn, de Zerbst, de
Zwickau, de Langensalza, d'Erfurt et d'Ulm, dans les
locaux d'internement de Bayreuth et dans la
forteresse de Rastadt.
Le seul fait d'avoir arrach� � leurs foyers tant de
paisibles habitants des r�gions envahies constitue
incontestablement une violation du droit des gens.
Cet acte est d'autant plus grave que les Allemands,
non contents de mettre par une telle mesure des
hommes mobilisables dans l'impossibilit� de porter
les armes contre eux, ont r�duit en captivit� un
tr�s grand nombre de vieillards, d'enfants et de
femmes dont quelques-unes m�me �taient enceintes.
Certaines personnes ont �t� arr�t�es sous le
pr�texte faux qu'un de leurs concitoyens avait tir�
sur les troupes allemandes; d'autres ont �t�
appr�hend�es sans explication, sur les routes, au
milieu des champs ou dans leurs demeures. Beaucoup
ont re�u l'ordre de se rassembler dans un lieu
d�termin�. A un grand nombre on a fait croire, au
moment de les emmener, qu'on allait simplement les
conduire dans une commune voisine pour les mettre �
l'abri d'une bataille imminente.
Ce qu'il y a de particuli�rement r�voltant, c'est
que l'autorit� militaire allemande, en se saisissant
au hasard des gens qui lui tombaient sous la main,
ne se faisait aucun scrupule de s�parer les membres
d'une m�me famille et de les envoyer dans des camps
diff�rents. De jeunes enfants ont �t� compris dans
d'autres convois que leurs m�res, et des femmes
ignorent encore ce que sont devenus leurs maris.
Ainsi, � L�beck, on a oblig� un jour tous les hommes
� descendre du train qui les avait amen�s jusque-l�
avec leurs femmes, et on leur a fait prendre aux uns
et aux autres des directions diff�rentes. Ainsi
encore, � Thiaucourt, le 3 septembre, des soldats
qui �taient venus chercher chez elle la dame Andr�,
soi-disant pour qu'elle donn�t � leur commandant un
renseignement dont il avait besoin, l'emp�ch�rent de
prendre avec elle ses enfants, en lui affirmant
qu'elle allait revenir; mais aussit�t qu'elle
comparut devant l'officier, celui-ci, sans articuler
contre elle aucun grief, se borna � ordonner qu'elle
fut exp�di�e en Allemagne.
Tous les prisonniers �taient d'abord astreints �
effectuer � pied un trajet plus ou moins long et
plus ou moins p�nible, au cours duquel ils passaient
les nuits dans un enclos, dans une gare ou dans une
�glise; puis on les faisait monter dans des wagons �
bestiaux pour les transf�rer en pays allemand.
Pendant le voyage, ils ne recevaient g�n�ralement
aucune nourriture. La plupart d'entre eux ont d�
rester ainsi plusieurs jours sans boire ni manger,
et beaucoup de ceux qui ont �t� enlev�s dans le nord
de la France auraient pu mourir de faim si, � leur
passage en Belgique, des femmes charitables
n'�taient parvenues � leur remettre quelques
aliments.
[...]
N� 79.
L'an mil neuf cent quinze, le vingt-trois f�vrier, �
LA BATHIE (Savoie), devant nous, etc.
HAINZELIN (Charles), �g� de 17 ans, verrier �
Baccarat (Meurthe-et-Moselle), et MUNIER (Georges),
�g� de 13 ans, gar�on de culture � Dom�vre-sur- V
ezouze (Meurthe-et-Moselle) :
Nous jurons de dire la v�rit�.
Nous avons �t� pris tous deux, le 25 ao�t, par les
Allemands, Munier � Magni�res et Hainzelin �
M�narmont. Nous avons �t� embarqu�s � Blamont dans
un wagon � bestiaux et envoy�s d'abord � Rastadt,
puis � Ingolstadt (Bavi�re). Pendant le trajet qui a
dur� cinq jours, on ne nous a donn� qu'une seule
demi-boule de pain � chacun. A Ingolstadt, nous
avons �t� log�s dans un fort. Nous �tions trois
cents prisonniers civils, parmi lesquels se
trouvaient en majorit� des Belges. Nous �tions dans
des salles vo�t�es contenant de vingt � vingt-trois
personnes. Pendant deux mois, nous y avons couch�
sur de la paille toute moulue et ensuite sur des
paillasses. On nous a donn� � chacun une couverture
l�g�re. Nous �tions chauff�s avec parcimonie. La
nourriture �tait passable. Le matin, nous recevions
de la tisane d'orge grill�e, avec un peu de sucre; �
midi, de la soupe avec du vermicelle et une petite
portion de viande qui n'�tait pas mauvaise; le soir,
de la soupe d'orge ou d'avoine. Le dimanche, nous
mangions � midi du rago�t de mouton et, le soir; de
la saucisse ou de la salade de museau de boeuf.
Le jour de No�l, on a �t� mieux nourri. Les soldats
fran�ais ont �t� autoris�s � nous faire un arbre
auquel on a accroch� des v�tements et du linge
fourni par les Allemands.
Nous avons fait deux fois un s�jour � Rastadt, en
allant � Ingolstadt et en revenant. L�, nous avons
�t� extr�mement mal. Nous �tions dans de la vermine,
et on l�chait des chiens pour nous obliger � nous
rassembler.
Apr�s lecture, les t�moins ont sign� avec nous. |