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| – Audition de repr�sentants d’ONG sur la situation au Darfour (M�decins du Monde, Solidarit�s, Action contre la faim) | 
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Audition de repr�sentants d’ONG sur la situation au Darfour (M�decins du Monde, Solidarit�s, Action contre la faim)
Le Pr�sident Edouard Balladur a, tout d’abord, remerci� les repr�sentants d’ONG venus �voquer le sort tragique des populations du Darfour. Il a pr�cis� que le Bureau de la Commission des affaires �trang�res a souhait� recueillir leur t�moignage afin de se faire une id�e pr�cise de la situation, au-del� de l’�motion que les �v�nements ne manquent naturellement pas de susciter, et examiner quelles conclusions pouvaient �tre tir�es sur les moyens de parvenir � quelque am�lioration de la situation.
M. Thomas Gonnet, directeur des op�rations d’Action contre la Faim, a indiqu� que l’objet de la pr�sentation pr�par�e conjointement par les trois ONG pr�sentes �tait de mettre l’accent sur le contexte politique de la crise du Darfour, les probl�mes de s�curit� auxquels les organisations humanitaires sont confront�es sur place et, enfin, la situation humanitaire des populations du Darfour.
Il a, tout d’abord, insist� sur l’aggravation de la crise depuis son commencement, en 2003. Si l’on a pu esp�rer une forme de r�pit � l’�t� 2005, cet optimisme s’est tr�s vite heurt� � la reprise des violences et � l’absence de solution politique engageant l’ensemble des parties au conflit. A cette situation dramatique s’est ajout�e, en 2006, l’extension du conflit du Darfour vers le Tchad, qui fait craindre une r�gionalisation de la crise.
Il a rappel� que ce conflit avait d�j� fait pr�s de 200 000 morts et plus de 2,5 millions de d�plac�s et que le camp de d�plac�s de Gereida, qui accueille 130 000 personnes, est le plus grand camp de d�plac�s au monde. Ce bilan ne cesse de s’alourdir puisqu’on estime � plus de 250 000 le nombre de personnes d�plac�es au cours des six derniers mois, la plupart d’entre elles fuyant pour la deuxi�me ou troisi�me fois. Par ailleurs, les Nations unies ont annonc� que des villages ont r�cemment �t� pill�s, br�l�s et bombard�s, que plantations et r�coltes ont �t� d�truites, et que les violences sexuelles massives contre les femmes persistent.
En ce qui concerne le contexte politique du conflit, M. Thomas Gonnet a soulign� que l’accord de paix pour le Darfour, sign� en mai 2006, � Abuja, ne constituait pas la premi�re tentative de solution du conflit. Au printemps 2004, des pourparlers de paix ont, en effet, �t� engag�s, en pr�sence de la communaut� internationale (Union Africaine, Union Europ�enne, Etats-Unis), qui ont donn� lieu � la signature d’un accord de cessez-le-feu, pr�voyant le d�sarmement des milices janjawides et l’acc�s humanitaire aux populations victimes tandis que l’Union africaine �tait charg�e de mettre en place une mission d’observation du cessez-le-feu. Cette tentative de r�solution du conflit est rest�e sans effet. De nouvelles n�gociations ont conduit, en mai 2006, � la signature d’un accord de paix � Abuja entre une seule faction rebelle (Arm�e de lib�ration du Soudan – ALS –, faction de Minni Minawi) et le gouvernement soudanais. Cet accord, obtenu � l’arrach� gr�ce � la pression de la communaut� internationale, pr�voit notamment le d�sarmement des milices janjawides par le gouvernement soudanais, l’int�gration du groupe signataire ALS – faction de Minni Minawi au sein de l’ex�cutif, un partage plus �quilibr� des ressources entre le pouvoir central et les r�gions du Darfour et la mise en place d’une conf�rence r�unissant l’ensemble des acteurs du Darfour.
Il a observ� que, depuis la signature de cet accord, la situation s’�tait d�t�rior�e et correspondait � une v�ritable impasse militaire et politique : largement inappliqu� (les milices janjawides n’ont pas �t� d�sarm�es, aucune des parties ne respecte le cessez-le-feu), l’accord d’Abuja n’a pas ralli� les factions r�fractaires tandis que les populations Fours, dans les camps de d�plac�s, le rejettent massivement. Les raisons principalement invoqu�es par les autres groupes rebelles pour justifier leur refus de signer sont une indemnisation trop faible des d�plac�s, l’insuffisante repr�sentation politique du Darfour au niveau national et le refus par Khartoum de voir se constituer un Darfour unifi�. Il r�sulte de cette absence de ralliement � l’accord de paix, un processus d’atomisation des groupes combattants, � l’origine d’une recrudescence des combats. Dans le m�me temps, le gouvernement soudanais renforce son effort militaire au Darfour o� contingents militaires, armes et munitions affluent vers les villes sous contr�le gouvernemental. La conjugaison de ces �l�ments attise les tensions et entra�ne une recrudescence des violences contre les populations mais aussi contre les travailleurs humanitaires (comportements de pr�dation des biens mat�riels tels que voitures, ordinateurs, etc.).
Enfin, il s’est interrog� sur le r�le de l’Union africaine dans la r�solution du conflit, en cas d’accession du Soudan � la pr�sidence de l’organisation, fin janvier 2007.
Il a consid�r� que, dans ce contexte de radicalisation du conflit, les nouvelles discussions pr�vues � la fin du mois de janvier entre les diverses factions rebelles et le gouvernement pourraient constituer un fragile espoir de paix. En tout �tat de cause, il a indiqu� que les trois ONG repr�sent�es – Action contre la Faim, M�decins du Monde et Solidarit�s – souhaitaient que la communaut� internationale s’engage rapidement en faveur d’une solution politique globale afin de marquer un coup d’arr�t � l’augmentation du nombre de victimes. Le d�ploiement de Casques bleus ne pourra, en effet, � lui seul, r�soudre la crise et assurer la s�curit� des populations comme des acteurs humanitaires. Si un cadre politique global n’est pas rapidement mis en place, le drame humanitaire qui se d�roule aujourd’hui risque de se transformer en v�ritable catastrophe humanitaire.
En ce qui concerne les questions de s�curit�, M. Thomas Gonnet a rappel� qu’elles constituaient une condition essentielle pour avoir acc�s aux populations et les secourir. Si, en 2005, une timide am�lioration des conditions de s�curit� a permis � une partie de la population de quitter les camps, au moins de mani�re temporaire, pour regagner leurs terres, cette accalmie, de courte dur�e, n’a cependant pas concern� l’ensemble du Darfour. Elle a, toutefois, permis aux organisations humanitaires d’�tendre leur couverture � des zones jusque l� inaccessibles, augmentant sensiblement le nombre des b�n�ficiaires de l’aide humanitaire.
Il a insist� sur la situation d’ins�curit� croissante qui pr�valait depuis 2006, avec une augmentation des violences contre les populations et des incidents � l’encontre des travailleurs humanitaires. Ces violences sont � la fois imputables aux milices janjawides, aux autorit�s de Khartoum, ainsi qu’aux mouvements rebelles. Dans ce contexte, les organisations humanitaires doivent n�gocier en permanence, au plan local, avec les diff�rentes parties en pr�sence pour garantir leur acc�s aux populations vuln�rables. Toutefois, le pic de violence observ�, fin 2006, � l’encontre des travailleurs humanitaires, d�montre que les garanties de s�curit� apport�es par les responsables locaux n’ont que peu de valeur : 30 organisations humanitaires et agences des Nations unies ont, en effet, �t� directement attaqu�es au cours du dernier semestre, entra�nant la mort de 12 travailleurs humanitaires.
Il a observ� que les mouvements rebelles ne contr�laient manifestement plus leurs troupes, ce qui risquait de provoquer une d�t�rioration du contexte s�curitaire dans les semaines � venir. Au-del� des instabilit�s d’alliances, une strat�gie de cantonnement des organisations humanitaires � quelques poches d’intervention semble clairement � l’œuvre.
En d�pit de cette d�t�rioration des conditions de s�curit�, il a d�clar� que les trois ONG, Action contre la Faim, M�decins du Monde et Solidarit�s refusaient, en raison de la sp�cificit� de leur mandat humanitaire, de b�n�ficier de l’appui d’escortes militaires, quelles qu’elles soient, dans la mise en œuvre de leurs actions.
Enfin, il a soulign� que diff�rentes initiatives attestaient d’une inqui�tude partag�e des diff�rents acteurs humanitaires sur cette d�gradation des conditions de s�curit� et ses cons�quences catastrophiques pour les populations civiles du Darfour. Cette situation doit conduire les organisations, pr�sentes au Darfour, � adopter une position commune pour exiger de toutes les parties des garanties �quivalentes de s�curit�. Cette strat�gie a d’ailleurs �t� adopt�e par les organisations Action contre la Faim et Oxfam, � la suite des graves incidents de Gereida du 18 d�cembre dernier.
S’agissant, enfin, de la situation humanitaire des populations civiles du Darfour, M. Thomas Gonnet a rappel� que la communaut� internationale s’�tait fortement mobilis�e en consacrant plus de 1 123 millions de dollars � l’aide humanitaire. Cette mobilisation des bailleurs a permis aux organisations humanitaires de fournir une aide cons�quente aux populations du Darfour et d’enrayer, au cours de l’ann�e 2005, l’augmentation du nombre de victimes dues aux cons�quences du conflit (principalement li�es aux maladies et � la malnutrition). L’aide alimentaire a b�n�fici� � 2,6 millions de personnes en ao�t 2005 (contre 1,5 million en janvier 2005), ce qui a permis de r�duire les taux de malnutrition globale de moiti�, qui sont pass�s de 22% au plus fort de la crise (mi-2004) � 13% en 2006. Par ailleurs, les taux moyens de mortalit� s’�tablissent � 0,36‰ par jour, bien en de�� du seuil critique de 1‰. Toutefois, l’obtention de donn�es statistiques fiables reste difficile et partielle, notamment en dehors des camps de d�plac�s, dans les tr�s larges zones o� les besoins des populations sont importants et quasiment non couverts.
Il a n�anmoins estim� que la situation nutritionnelle et sanitaire des populations restait extr�mement fragile dans la mesure o� elle �tait largement tributaire des conditions de s�curit� et d’acc�s. Ainsi, les Nations unies estimaient, en octobre 2006, que la population affect�e par le conflit au Darfour s’�levait � environ 4 millions de personnes, en augmentation de plus de 40% par rapport � 2005.
Il a par ailleurs regrett� que les zones isol�es �chappent de plus en plus � l’aide humanitaire dans la mesure o� la forte densit� de population dans les camps et autour des villes (due � l’exode et la saturation des camps), conjugu�e � l’ins�curit�, avaient pour cons�quence de concentrer l’assistance sur ces p�les. Si l’assistance internationale a pu se repositionner sur les zones rurales � partir de 2004, l’augmentation des actes de violence a rendu de plus en plus pr�caire l’assistance aux populations isol�es. Ainsi, le nombre de personnes en situation d’urgence, mais ne pouvant �tre atteintes par les organisations humanitaires, est pass� de 290 000 � 470 000, en deux mois (de juin � juillet 2006) ; en janvier 2007, 170 000 personnes suppl�mentaires se trouvent exclues de l’aide humanitaire par rapport au mois pr�c�dent.
En outre, l’Est du Tchad conna�t d�sormais une d�gradation de la situation humanitaire li�e � l’exode des populations du Darfour vers le Tchad ainsi qu’� l’extension du conflit, au del� de ces fronti�res. Dans le district de Dar Sila, par exemple, le quart de la population totale (50 000 personnes) a d� fuir la zone, au cours du premier semestre 2006, en raison de mouvements arm�s de part et d’autre de la fronti�re. On compte d�sormais plus de 230 000 r�fugi�s soudanais au Tchad et plus de 90 000 d�plac�s internes tchadiens : ces populations survivent dans des camps, � la fronti�re soudano-tchadienne, dans une totale d�pendance vis-�-vis de l’aide humanitaire.
La fr�quence des incidents de s�curit� rend difficile la d�livrance de l’aide humanitaire : le Programme alimentaire mondial (PAM) a suspendu temporairement ses activit�s dans le Nord-Est du Tchad ainsi que la plupart des organisations humanitaires, notamment � Ab�ch� depuis la derni�re attaque des rebelles tchadiens, en novembre dernier.
M. Thomas Gonnet a conclu � une nette aggravation de la crise humanitaire, qui touche notamment les produits agricoles. A titre d’exemple, la distribution de plus grandes quantit�s de semences en 2005 aurait d� favoriser les r�coltes en 2006, ce qui n’a pas �t� le cas du fait de l’accroissement de l’ins�curit�, � l’automne : les mouvements de population ont, en effet, contraint les fermiers � quitter leurs terres cultiv�es au moment des r�coltes.
Afin d’illustrer ces difficult�s, M. Guillaume Woehling, responsable g�ographique � Solidarit�s, a fait part de son exp�rience de terrain, notamment des attaques de villages au Sud du Darfour. Les 12 et 13 novembre derniers, les deux villages de Motowred et N’Gabo – 9.000 et 17.000 habitants – ont �t� attaqu�s par 250 cavaliers. Ce type d’attaque �clair vise � d�truire les liens sociaux et �conomiques locaux : le march�, les r�coltes et le g�n�rateur permettant l’alimentation d’un point d’eau ont �t� br�l�s. Fuyant ces attaques, les habitants des villages principaux et des villages alentour se sont r�fugi�s dans le bush, sans eau ni nourriture. Dans ce cas de figure, l’urgence consiste, pour les organisations humanitaires, � r�installer le point d’eau afin que les habitants reviennent poursuivre la r�colte. Ce point est essentiel, alors que le Programme alimentaire mondial a r�duit son aide, ce qui fait craindre une d�gradation de la situation nutritionnelle en 2007. La question de l’acc�s � l’eau s’est �galement pos�e de mani�re cruciale � la suite de l’assaut subi par Muhageria, ville contr�l�e par un mouvement rebelle, attaqu�e � deux reprises au mois d’octobre 2006. Ses habitants se sont r�fugi�s � Seleah, ville de 7 000 habitants, qui, dot�e d’un seul point d’eau, s’est trouv�e d�stabilis�e par l’arriv�e de 20 000 d�plac�s. Dans ce contexte, l’organisation humanitaire Solidarit�s n’a eu de cesse de r�tablir l’acc�s � l’eau, par l’organisation d’un convoyage d’eau. Cependant, elle a d� cesser son intervention � la suite de l’attaque de l’un de ses convois au mois de d�cembre 2006, les probl�mes de s�curit� repr�sentent en effet le frein principal � l’intervention des organisations humanitaires en zone rurale.
M. Thomas Gonnet, directeur des op�rations � Action contre la faim, a expliqu� que la cons�quence directe des difficult�s d’acc�s � l’eau �tait l’apparition d’�pid�mies de chol�ra.
M. J�r�me Larch�, responsable de la mission Soudan � M�decins du Monde, a insist� sur le fait que l’acc�s aux populations en dehors des camps de d�plac�s constituait le principal probl�me. L’organisation M�decins du Monde (MDM) n’est ainsi plus pr�sente au Jebel Mara, une r�gion montagneuse, difficile d’acc�s o� se trouvent des groupes rebelles et o� les conditions de s�curit� emp�chent la prise en charge de toute nouvelle urgence, comme les �pid�mies de chol�ra par exemple.
M. Eric Chevallier, directeur des missions internationales � M�decins du Monde, a conclu en soulignant que les associations �taient inqui�tes face � la d�gradation r�elle de la situation des populations depuis plusieurs mois. En outre, elles se disent tr�s pr�occup�es pour leurs �quipes qui sont de plus en plus contraintes de se replier sur des zones sp�cifiques si bien qu’aujourd’hui l’on peut dire que les ONG ne sont plus pr�sentes au Darfour que dans quelques zones limit�es seulement.
A la question pos�e par le Pr�sident Edouard Balladur qui l’interrogeait sur le nombre de collaborateurs affect�s par MDM au Darfour, M. J�r�me Larch� a r�pondu qu’il y avait un peu plus de 200 employ�s locaux, 13 expatri�s et une �quipe de coordination � Khartoum.
M. Paul Quil�s a estim� que, face au drame du Darfour, l’�motion ne suffisait pas, surtout dans une enceinte politique. Il faut rendre hommage au travail, toujours plus dangereux, des ONG mais aussi chercher des solutions. Les personnels des ONG, qui travaillent au jour le jour sur le terrain, sont les mieux � m�me de r�pondre aux questions politiques qui se posent.
M. Paul Quil�s a demand� aux repr�sentants des ONG si la sensibilisation de l’opinion publique et des responsables politiques leur semblait suffisante et utile. Comment faire mieux ? Les panneaux install�s r�cemment dans les a�roports sont-ils un support d’information efficace ?
Le gouvernement soudanais souhaite-t-il que le conflit soit r�solu ? Quelle solution serait acceptable pour lui ? Alors que la crise se propage au Tchad, tout accord ne doit-il pas se n�gocier dans un cadre r�gional ?
Apr�s avoir rappel� qu’une d�l�gation de la Commission avait rencontr�, � l’automne dernier, des ONG actives au Darfour � l’occasion d’un d�placement � New York, M. Paul Quil�s a souhait� savoir ce que les ONG fran�aises pensaient des moyens de pression susceptibles d’�tre utilis�s sur ceux qui sont � l’origine du conflit, sur ceux qui l’entretiennent ou ne font rien pour y mettre un terme.
M. Roland Blum a demand� ce qu’il adviendrait de la distribution alimentaire et de l’aide humanitaire aux populations si l’aggravation des violences entra�nait le d�part des ONG. La Croix rouge peut-elle assurer ces missions ? Les ONG ont besoin de s�curit� pour travailler et elles refusent tout encadrement par des forces arm�es, ce qui peut se comprendre. Cette situation ne risque-t-elle pas d’enclencher un cercle vicieux tr�s n�gatif pour les populations ?
M. Jean-Claude Guibal a souhait� savoir si les provinces du Darfour avaient d�j�, par le pass�, tent� de faire s�cession. Quelles sont, sur le terrain, les relations entre les ONG, les autorit�s locales et les responsables des troupes rebelles ? La d�couverte de gisements p�troliers � l’Ouest du Darfour et au Tchad ne joue-t-elle pas un r�le dans le conflit ?
Le Pr�sident Edouard Balladur s’est interrog� sur la volont� du gouvernement soudanais et sur le but de son action. Souhaite-t-il r�ellement prot�ger les populations ? Son action est-elle inefficace ou manque-t-il de volont� politique ?
Le gouvernement soudanais vient d’adh�rer aux deux protocoles additionnels aux Conventions de Gen�ve et doit, en cons�quence, respecter les r�gles du droit humanitaire international. Le Procureur de la Cour p�nale internationale a pr�sent� r�cemment au Conseil de s�curit� un rapport sur les crimes commis au Darfour. Des poursuites peuvent-elles �tre engag�es sur des fondements juridiques solides ?
Quel jugement les ONG portent-elles sur la mise en place d’une � force hybride � ? Comment est-elle compos�e ? Son commandement est-il cr�dible ? Le mouvement de d�sengagement des ONG ne traduit-il pas un scepticisme vis-�-vis de son efficacit� ?
Comme au moment de la crise du Rwanda, la communaut� internationale semble passive. A l’�poque, l’ONU n’avait rien entrepris, laissant la France agir seule, avant de la critiquer. Aujourd’hui, l’ONU est-elle indiff�rente ou impuissante face � la situation au Darfour ? Fait-elle preuve d’une volont� d’agir pour r�soudre le conflit ?
M. Alain Boinet, directeur g�n�ral, Fondateur de Solidarit�s, a relev� la diversit� des questions pos�es, dont plusieurs sont de nature politique. Sans nier les probl�mes politiques auxquels peuvent se trouver confront�es les organisations humanitaires, il a rappel� la vocation exclusivement humanitaire des actions men�es sur le terrain et indiqu� que la s�curit� des personnels expatri�s d�pendait aussi des d�clarations des uns et des autres. Puis il a rappel� la r�gle d�finie d’un commun accord entre les diff�rentes organisations consistant � intervenir � des fins humanitaires, de mani�re impartiale et ind�pendante de toute consid�ration politique. Les ONG pr�sentes au Darfour �voluent entre des factions qui se battent pour des objectifs diff�rents, dans des zones dont certaines sont contr�l�es par le gouvernement de Khartoum tandis que d’autres le sont par des forces rebelles. Or, il est inconcevable d’agir aupr�s des populations en �tant soup�onn� d’�tre partie prenante au conflit. S’exprimant sur la campagne de sensibilisation men�e aupr�s de l’opinion publique, il a insist� sur la sp�cificit� des organisations pr�sentes sur place qui, � la diff�rence des associations de promotion des droits de l’homme, sont en prise directe avec les r�alit�s du terrain, aux c�t�s des victimes. Il a estim� qu’il �tait naturellement tr�s important que les responsables politiques et, plus g�n�ralement les d�cideurs, soient davantage inform�s de la situation au Darfour ; c’est une condition n�cessaire � une mobilisation plus importante de l’opinion publique. Puis, il a insist� sur le fait que tout accord politique qui ne prendrait pas en compte la situation sur le terrain ne permettrait pas de garantir la paix.
M. Thomas Gonnet, directeur des op�rations d’Action contre la Faim, a indiqu� que son organisation avait la pris la d�cision difficile, suite � l’attaque dont elle avait �t� victime le 18 d�cembre dernier, d’�vacuer le camp de Gereida, au m�me titre que cinq autres organisations ; seule la Croix rouge (CICR) est d�sormais pr�sente sur place. Il a vivement d�nonc� la multiplication des incidents (40 v�hicules vol�s en moins de deux mois) et des violences, qui vont jusqu’au viol de femmes, y compris au sein des �quipes humanitaires. La ligne rouge a �t� franchie et la s�curit� des populations et des personnels des organisations humanitaires n’est plus assur�e. M. Thomas Gonnet a rejet� le recours � un encadrement militaire – contraire � la philosophie des organisations humanitaires – estimant que l’encadrement par des hommes en armes ne garantirait pas la s�curit� des op�rations, ni ne faciliterait l’acc�s aux populations.
M. Eric Chevallier, directeur des missions internationales de M�decins du Monde, a estim� qu’il fallait distinguer la question de la mise en place d’une force de stabilisation au Soudan et celle d’une escorte arm�e des convois humanitaires. Une telle escorte n’est pas souhait�e par les organisations humanitaires qui, par ailleurs et en l’�tat, ne d�sirent pas prendre position sur le sujet de la force de stabilisation. On doit constater que la pr�sence de l’Union africaine au Darfour n’a pas permis d’y apporter plus de s�curit�. Lors de l’attaque du camp de Gerida, les troupes de l’Union africaine, pourtant pr�sentes � quelques centaines de m�tres, ont mis plus de trois heures avant d’intervenir. Quant � ce que l’on a appel� la � force hybride �, sans porter de jugement sur cette initiative, on doit observer qu’elle est aujourd’hui encore compos�e principalement de forces de l’Union africaine et de seulement quelques dizaines de personnes d�pendant de l’ONU. En tout �tat de cause, il est clair qu’aujourd’hui on ne peut pas travailler au Darfour en toute s�curit�.
Il a ajout� qu’il fallait sans doute avoir un regard sur les origines du conflit pour bien en saisir la complexit� et les enjeux, en observant que les forces rebelles n’avaient pas affich� une intention de s�parer le Darfour du reste du Soudan mais revendiquent, en revanche, une r�partition diff�rente des ressources et des pouvoirs.
Il a constat� que les autorit�s soudanaises �taient parties au conflit et que les forces rebelles �taient de plus en plus d�structur�es. Tout cela ne permet pas aujourd’hui d’am�liorer la situation. L’ins�curit� s’aggrave pour les organisations qui portent secours aux populations.
M. J�r�me Larch�, responsable de la mission Soudan � M�decins du Monde a �galement insist� sur la question essentielle que constitue la s�curit� des organisations humanitaires sur le terrain. Actuellement, la pr�sence d’escortes arm�es n’apporterait aucune garantie suppl�mentaire d’acc�s aux populations touch�es par le conflit. Aucune force militaire pr�sente sur le terrain des op�rations, pas m�me celle de l’Union africaine, n’est consid�r�e comme neutre. Le plus important est, pour pouvoir rester au Darfour, que les populations et les parties bellig�rantes acceptent la pr�sence des organisations humanitaires. Le d�ploiement d’escortes ne serait pas de nature � accro�tre cette acceptation. Les ONG essaient de se montrer les plus transparentes possibles pour susciter cette adh�sion des acteurs locaux � leur intervention ; cela suppose un grand effort de p�dagogie � leur attention sur les projets de organisations et la place qu’elles occupent dans ce conflit.
Il a not� que la question du Darfour posait, sous un jour tr�s complexe, le probl�me des relations entre le centre et la p�riph�rie dans l’Etat du Soudan comme dans d’autres pays africains. L’enjeu est bien l’acc�s aux ressources, � la terre, avec, en toile de fond, une opposition ancienne entre populations nomades et s�dentaires sur laquelle on a greff� des enjeux ethniques, facteur particuli�rement aggravant.
M. Alain Boinet, directeur g�n�ral de Solidarit�, a rappel� que l’ONU ne disposait pas aujourd’hui de moyens suffisants sur le terrain pour enrayer l’aggravation de la situation. Le retrait ou la menace de retrait de certaines organisations humanitaires n’a pas encore convaincu les forces rebelles comme l’Arm�e de lib�ration du Soudan (ALS) au Sud Darfour de cesser ses actions contre les ONG. Celles–ci doivent disposer de l’accord des autorit�s gouvernementales – en l’occurrence de visas – pour travailler au Soudan. De m�me, toute action est impossible dans les zones contr�l�es par les rebelles sans leur assentiment. L’absence de front au Darfour – mais la constitution de � poches � contr�l�es soit par le Gouvernement, soit par les forces rebelles dans leur diversit� – rend les choses plus difficiles encore. Tous les acteurs pr�sents au Darfour peuvent t�moigner des multiples pressions, voire menaces, dont ils sont l’objet. C’est ainsi que des personnels d’ONG ou des Nations Unies ont �t� arr�t�s, malmen�s et d�tenus parfois plusieurs jours. La situation actuelle est telle que les agences de l’ONU ont r�cemment indiqu�s qu’elles pourraient �tre contraintes d’interrompre leurs activit�s. C’est ainsi que ce que l’on nomme l’espace humanitaire, c'est-�-dire la possibilit� de secourir les populations, ne cesse de se r�duire et que les risques pour les humanitaires ne cessent d’augmenter. Si la situation actuelle perdure, quelles pourraient en �tre les cons�quences pour les populations priv�es d’aide humanitaire dans les semaines et mois � venir.
Le Pr�sident Edouard Balladur, reprenant la comparaison avec la guerre au Rwanda qui s’�tait sold�e par la victoire d’un camp sur un autre, s’est demand� si l’enlisement du conflit au Darfour pouvait �tre imput� aux autorit�s de Khartoum. En d’autres termes, le Gouvernement soudanais pourrait-il, s’il en avait la volont� politique, amener les rebelles � r�sipiscence ?
M. Alain Boinet, directeur g�n�ral, fondateur de Solidarit�s, a mentionn� l’existence de l’Accord d’Abuja, sign� en mai 2006 par le Gouvernement de Khartoum avec un mouvement rebelle aujourd’hui tr�s fragilis� du fait de son atomisation, tandis que d’autres factions rebelles ne sont toujours pas parties prenantes � l’accord.
M. Eric Chevallier, directeur des missions internationales de M�decins du Monde, a rappel� les op�rations men�es, il y a quatre ans, par le gouvernement soudanais (interventions a�riennes, mouvements de troupes au sol, actions des milices Janjawides), � l’origine du d�sastre humanitaire actuel qui se chiffre � plusieurs centaines de milliers de morts et de d�plac�s. �voquant le d�placement de forces soudanaises actuellement observ�, il a indiqu� ne pas en conna�tre les raisons. En tout �tat de cause, la r�alit� reste dramatique et quelle que soit la lecture politique que l’on fait des �v�nements, il est incontestable que la situation se d�grade sensiblement, tant pour les populations que pour les �quipes humanitaires charg�es de leur venir en aide.
Apr�s avoir indiqu� qu’il comprenait parfaitement le refus des ONG de prendre partie sur des questions politiques et de b�n�ficier d’un encadrement militaire, le Pr�sident Edouard Balladur a n�anmoins fait observer que la pr�sence d’une force de stabilisation serait de nature � faciliter grandement leurs activit�s. Il a indiqu� qu’il retenait principalement deux points des t�moignages des repr�sentants des ONG : d’une part le fait que le gouvernement soudanais est partie au conflit, et n’est donc pas neutre ; d’autre part, que la situation s’aggrave sur le terrain. Il convient d’en tirer des cons�quences sur le plan de l’action : qu’est-ce que les ONG attendent de la Commission ? Qu’est-ce que cette derni�re pourrait entreprendre ?
Il semble que deux directions puissent �tre suivies. Il convient d’abord d’agir aupr�s du gouvernement soudanais, ce qui n’est pas ais� pour la Communaut� internationale car les int�r�ts, notamment �conomiques, des Etats sont diff�rents. La France peut n�anmoins s’efforcer d’exercer une pression dans la mesure de ses moyens. Par ailleurs, il est imp�ratif d’obtenir le respect par le Soudan des r�gles internationales relatives aux droits de l’homme. Il n’est pas concevable que le Conseil de s�curit� ne fasse pas le n�cessaire pour que les proc�dures engag�es soient poursuivies. Seule la peur du soup�on du n�o-colonialisme et le respect aveugle de la souverainet� nationale pourrait l’en emp�cher. Il convient donc d’inciter le gouvernement fran�ais � mener une action aupr�s du gouvernement soudanais – ce qu’il fait d�j�, comme en atteste le r�cent d�placement du ministre des Affaires �trang�res au Darfour – et � pousser les Nations unies sur la voie de la poursuite des criminels de guerre.
M. Paul Quil�s a souhait� conna�tre l’opinion des ONG sur la d�cision du Conseil de s�curit� de l’ONU d’envoyer 17 000 hommes, ainsi que sur le fait que cette d�cision s’�tait r�v�l�e inapplicable et n’avait, de fait, pas �t� appliqu�e. Par ailleurs, il a regrett� que les ONG n’aient pas �voqu� ce qui se passe de l’autre c�t� de la fronti�re avec le Tchad, dans la mesure o� le conflit prend de l’ampleur et o� des camps de r�fugi�s commencent � s’installer.
M. Jean-Jacques Guillet a demand� combien d’ONG �taient pr�sentes au Darfour, si elles envisageaient toutes plus ou moins de se retirer dans les prochaines semaines et si leur retrait pouvait avoir un effet sur l’opinion publique et en particulier aux Etats-Unis, dans la mesure o� 40 % des fonds affect�s aux ONG au Darfour sont d’origine am�ricaine. Peut-on attendre un effet positif � moyen terme d’un �ventuel retrait qui, pourrait paradoxalement s’av�rer plus mobilisateur malgr� ses cons�quences imm�diates, n�gatives pour la population ?
M. Jean-Claude Guibal s’est interrog� sur les forces ou les int�r�ts qui instrumentalisent les acteurs en armes au Soudan et sur les moyens d’agir sur ces forces ou ces int�r�ts.
M. Eric Chevallier, directeur des missions internationales de M�decins du Monde, a tout d’abord fait observer qu’une r�union organis�e r�cemment � Gen�ve sous l’auspice de l’Office humanitaire des Nations unies (OCHA) et regroupant environ 80 ONG internationales de tous horizons, pr�sentes au Darfour, avait r�v�l� que, certes, toutes faisaient le m�me constat de difficult�s tr�s grandes, mais qu’il n’y avait pas de front uni sur la ou les d�cisions � prendre s’agissant d’un �ventuel retrait. Pour preuve, les ONG Action contre la faim, M�decins du monde, MDM et Solidarit�s auditionn�es par la Commission des Affaires �trang�res, affichent toutes trois une position diff�rente en la mati�re. S’agissant des solutions � apporter � ce probl�me, il a insist� sur le fait que les ONG �taient venues apporter un t�moignage sur la r�alit� d’une situation qui s’aggrave r�ellement. Pour le reste, elles s’en remettent � la sagesse de l’Assembl�e nationale.
M. J�r�me Larch�, responsable de la mission Soudan � M�decins du Monde a soulign� le caract�re suffisamment rare et fort pour �tre signal�e de la d�claration commune de l’ONU en date du 17 janvier 2007 dans laquelle toutes les agences des Nations unies pr�sentes au Soudan annon�aient tr�s directement la d�gradation de la situation actuelle. Ceci donne la mesure de la gravit� de la situation. S’agissant du Tchad, l’organisation M�decins du Monde n’y est pas pr�sente, n�anmoins, refuser de faire une lecture r�gionale de la situation serait une erreur : le Darfour, le Tchad et la Centrafrique sont concern�s.
M. Thomas Gonnet, directeur des op�rations � Action contre la Faim, dont l’ONG est pr�sente au Tchad a d�clar� faire le m�me constat d’une d�gradation de la situation s�curitaire et humanitaire. Et les m�mes r�serves peuvent �tre faites qu’au Darfour concernant les solutions : la r�ponse politique doit �tre r�gionale. Il faut que les instances internationales trouvent une solution � laquelle puissent adh�rer un maximum de parties. C’est l� que le parlement peut jouer un r�le.
M. Alain Boinet, directeur g�n�ral, fondateur de Solidarit�s, a �galement insist� sur la n�cessit� de trouver une solution n�goci�e avec toutes les parties au conflit. Envoyer 20 000 hommes sur un terrain aussi grand que la France, sans infrastructures et o� des combats ont lieu, induira beaucoup de difficult�s, voire de revers, en l’absence d’un accord politique n�goci� entre les bellig�rants. Eu �gard � la d�gradation acc�l�r�e de la situation pour les populations en termes de s�curit�, la question est de savoir quelle sera la prochaine �tape. Le risque est grand que l’aide humanitaire se trouve interrompue par la force des armes au Darfour.
Le Pr�sident Edouard Balladur a remerci� les diff�rents intervenants non seulement pour leurs �claircissements, mais aussi pour leur action sur le terrain. Le malheur est que la solution politique de ce conflit appara�t hors de port�e, du fait d’une coordination internationale insuffisante en la mati�re. Il n’en demeure pas moins que la Commission des Affaires �trang�res doit intervenir aupr�s du Gouvernement fran�ais de fa�on tr�s pressante pour rappeler que la situation s’aggrave et l’inciter � �tre l’agent d’une action internationale plus efficace de pression sur le gouvernement soudanais, qui se r�v�le passif et a fortiori hostile � toute am�lioration de la situation. Par ailleurs, il faudrait examiner de fa�on pr�cise les possibilit�s d’appliquer la l�gislation internationale punissant les auteurs de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanit�. Il ne faut pas que ce qui s’est pass� nagu�re au Rwanda se reproduise au Soudan.
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