Dans la Drôme, le musée de Valence met en lumière l'histoire méconnue de l'Art déco des régions
Verrière à motifs floraux chez un particulier.
Cet article est paru dans le magazine Le Pèlerin Abonnez-vous
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Prévue en 1915 mais plusieurs fois reportée en raison de la Première Guerre mondiale, l'Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de Paris se tient finalement dix ans plus tard, du 28 avril au 30 novembre 1925. Si l'on ne sait dater précisément la naissance du mouvement artistique qui a pris son essor un peu partout dans le monde, c'est à partir de cette manifestation qu'on commence à parler de style Art déco.
Aux côtés des vingt et une nations invitées, les créateurs de notre pays investissent le «village français» installé sur l'esplanade des Invalides. Organisé à un moment où la France souhaite réaffirmer son rôle artistique, commercial et industriel, l'événement permet à plusieurs grandes villes (Lyon, Saint-Étienne, Mulhouse, Nice, Bordeaux, Roubaix et Tourcoing, Nancy…) de présenter leurs pavillons. Certaines provinces historiques, comme le Pays basque ou la Bretagne, disposent également de leur propre espace.
Dans des bâtiments à l'architecture avant-gardiste, artisans et industriels ont ainsi l'opportunité de présenter leurs créations devant 15 millions de visiteurs. Fini le pastiche. Le règlement impose aux exposants de «proposer des formes esthétiques renouvelées». Résultat : un style où rusticité et modernité dialoguent sans complexe.
Fusion entre art et industrie
Cet échange fécond est aujourd'hui mis en lumière par l'exposition L'Art déco des régions. Modernités méconnues au musée d'art et d'archéologie de Valence (Drôme). «C'est l'occasion de montrer comment les industries régionales se sont approprié ce style», souligne Ingrid Jurzak, directrice de l'établissement.
Tissu, bois, céramique, émail, cuir… L'Art déco se décline sous toutes les formes, sollicitant l'esprit créatif d'artistes, d'industriels et d'artisans locaux, dans des secteurs aussi divers que le mobilier, la soierie, la ganterie, la joaillerie, la porcelaine ou la faïence.
Plus qu'une mode, le mouvement incarne une France inventive. Cette exposition le rappelle avec force : cent ans après, l'Art déco n'a pas pris une ride !
Quand la vaisselle rustique devient tendance
Cette gourde plate à deux anses incarne le pari d'Étienne Noël, peintre parisien qui, en 1922, quitte le tumulte bohème des avant-gardistes de Montparnasse pour s'installer à Dieulefit. Dans ce village de potiers, il s'intéresse à la vaisselle rustique, qu'il transforme en ustensiles à la fois utilitaires et décoratifs.
L'artiste crée des pièces aux lignes épurées, alliant modernité et tradition artisanale. Il adopte notamment une palette chromatique caractéristique à dominante jaune et verte. Son travail va redonner prestige et vitalité à la céramique dieulefitoise, alors en déclin.
Le renouveau des émaux
Une simple coupelle, et tout est dit.
En émail sur métal, signé Marguerite Sornin, cet objet accroche le regard par ses couleurs franches et son éclat irisé. Mais surtout, il raconte une histoire: celle du renouveau de cette matière à Limoges, réveillée par une génération d'artistes audacieux. Là où la tradition sommeillait depuis l'époque médiévale, ces derniers imposent l'Art déco.
Par superposition de couches, Marguerite Sornin contribue à inventer un vocabulaire neuf: disques sécants, triangles répétés, bandes emboîtées… Abstraite et vibrante, sa coupelle devient un manifeste, offrant à l'émail une voix nouvelle: plus libre, plus moderne.
La soierie à l'ère moderne
Dessinateur attitré de la manufacture fondée en 1920 par François Ducharne, Michel Dubost s'inspire des codes de l'Art déco pour introduire des motifs d'architecture stylisés et des touches animalières dans le vocabulaire textile. Il incarne alors l'effervescence d'un secteur en pleine mutation industrielle.
Les créations rayonnent aussi bien dans la décoration intérieure (photo, tenture) que dans la haute couture, au service de Chanel, Patou ou Saint Laurent. Preuve de ce dynamisme: sous l'appellation "Soieries de Lyon", lors de l'Exposition de 1925, ce ne sont pas moins de soixante manufactures qui présentent près de 400 échantillons!
Mobilier : ode à une identité régionale
Commandé en 1926 pour l'appartement parisien du tennisman Jean Borotra, surnommé "le Basque bondissant", ce buffet en enfilade rend hommage à ses origines. Avec des motifs stylisés - la chistera, les espadrilles et le kaiku (récipient incliné pour collecter le lait de brebis) -, ses portes de chêne condensent l'identité d'un territoire.
Le tiroir central affiche une devise en langue basque: «Lehen hala raïh la ger es dakit n la (Avant tout, je ne sais pas).» Œuvre de Benjamin Gomez, figure du style néobasque, et du sculpteur Lucien Danglade, cette pièce illustre la façon dont le renouveau régionaliste qui parcourt la France puise dans l'Art déco pour se révéler dans l'ameublement et l'architecture.
Le gant, le style au bout des doigts
Depuis le XVIIIe siècle, Grenoble règne sur le gant de luxe. À l'Exposition de 1925, la ville confirme son éclat avec un pavillon dédié à la ganterie, signe de son audace créative.
Dans cet élan, Émile Perrin se distingue avec ses gants aux motifs géométriques, déclinés en noir, en marron ou en beige: un Art déco à la fois raffiné et moderne.
Fondée en 1860, la maison Perrin reflète cette subtile alliance entre héritage et innovation, aux côtés des grandes signatures grenobloises, comme Gaston Charlon ou Xavier Jouvin (photo). Ensemble, elles réinventent le gant comme un accessoire de mode, symbole de créativité et d'élégance française.
Informations pratiques
L'art déco des régions. Modernités méconnues, au musée de Valence (Drôme), jusqu'au 11 janvier 2026.
Rendez-vous sur le site museedevalence.fr Catalogue de l'exposition, Éd. Norma, 240 p. ; 39 €.
L'agenda des expos
À PARIS
→ 1925-2025, cent ans d'Art déco, au musée des Arts décoratifs, jusqu'au 26 avril 2026.
→ Paris 1925 : l'Art déco et ses architectes, à la Cité de l'architecture et du patrimoine, jusqu'au 29 mars 2026.
À LIMOGES (Haute-Vienne)
Faire Moderne ! 1925, Limoges Art déco, au musée des Beaux-Arts, jusqu'au 9 mars 2026.
À REIMS (Marne)
Parcours Art déco 1925, art urbain 2025, promenade artistique urbaine.
À PERPIGNAN (Pyrénées-Orientales)
Perpignan, vitrine de l'Art déco des années 30, à la Casa Xanxo, jusqu'au 30 juin 2026. Plus d'événements sur : lepelerin.com/expos-art-deco
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