« Elle en souffre, physiquement. Pour cela, je leur en veux. Le reste… » : Nicolas et Carla Sarkozy, l’épreuve
Cette start-up du vice, mise en vente 8 milliards d’euros, affiche une rentabilité à rendre jalouse la Silicon Valley. Mais les dérives sont nombreuses.
Vierge, très pieuse et callipyge, Sophie Rain, 21 ans, sans doute un nom d’emprunt, assure avoir gagné 43,5 millions d’euros en 2024. Si elle travaillait à Hollywood, elle figurerait en sixième position du top 100 des acteurs et actrices les mieux payés. Officiellement, la jeune femme n’a aucune activité. Dans son unique interview à Fox News, en 2024, elle déclarait : « Dieu me pardonne mes péchés. Et je pense qu’il est heureux de ma réussite. » Sophie Rain, métisse philippino-américaine, est aujourd’hui la personnalité la plus « bankable » de la plateforme très controversée OnlyFans. Quel est le secret de sa popularité ? Comment accumule-t-elle autant d’argent ? Notre enquête s’est heurtée, dès ses prémices, au message sibyllin du service informatique de Paris Match : « Le contenu que vous avez demandé est bloqué par la stratégie de sécurité de votre organisation. » Tout juste peut-on dire que Sophie Rain, qui semble passer sa vie à prendre des selfies en bikini, est la numéro 1 d’un business très fructueux : le dévoilement de son intimité moyennant un abonnement payant. Et qu’elle doit être sacrément douée dans ce corps de métier. Un seul de ses abonnés, « Charley », lui a versé 5 millions d’euros en onze mois, pour, comme l’indique la page d’accueil de Sophie Rain, « see my naughty side ». Pas besoin de traduction.
Empire numérique bâti sur la pornographie et la solitude, et dopé par la pandémie, OnlyFans est un eldorado pour les stars françaises de la téléréalité. Ainsi, selon leurs dires, Adixia (« Les Ch’tis »), engrangerait 25 000 euros par mois de revenus sur OF ; Astrid Nelsia (« Les anges »), de 20 000 à 100 000 euros mensuels. Des sportifs de haut niveau l’utilisent pour arrondir leurs fins de mois. Comme Jack Laugher, un plongeur britannique, champion olympique à Rio, en 2016, qui a avoué avoir ouvert un compte OnlyFans pour financer sa préparation aux JO de Paris 2024. L’année dernière, la chanteuse Lily Allen a révélé qu’elle gagnait plus d’argent grâce au site, où elle partage des photos de ses pieds, que sur Spotify, le service de diffusion de musique en continu.
Moralement discutable, le succès de la plateforme en dit long sur les dérives de notre époque et la noirceur de l’âme humaine. Mais qui sommes-nous pour juger ? Créé en 2016 par deux frères britanniques, Tim et Thomas Stokely, OnlyFans invitait à l’origine des artistes ou des musiciens à présenter à des fans des photos ou des morceaux exclusifs. Très vite, le site, qui ne propose pas d’app pour ne pas avoir à verser de dividende à Apple ou à Samsung, s’est orienté vers les photos et les vidéos de charme. Aujourd’hui, c’est une véritable cash machine. Avec plus de 4 millions de « créateurs de contenu » et 305 millions d’abonnés, OnlyFans a généré, en 2023, un chiffre d’affaires de 6 milliards d’euros. En augmentation de plus de 2 000 % en quatre ans. Racheté en 2018 par un homme d’affaires ukraino-américain, Leonid Radvinsky, la licorne (une start-up privée valant plus de 1 milliard de dollars) est la plus rentable du Royaume-Uni. Elle a réussi ce que peu de start-up numériques européennes parviennent à accomplir : conquérir l’Amérique. Les deux tiers de ses revenus proviennent désormais des États-Unis.
La société mère, Fenix International, est installée au neuvième étage d’un immeuble de bureaux ordinaire sur Cheapside, à Londres. Avec seulement 42 employés permanents, hors modérateurs contractuels, elle offre une rentabilité exceptionnelle. À rendre jalouses les pépites de la Silicon Valley. La directrice générale, Keily Blair, avocate irlandaise de 43 ans, élevée dans un collège catholique pour jeunes filles, est assez chiche en interviews. Mais elle assurait au « Times », en juin : « Nous sommes une entreprise tech qui produit des contenus dont aucun n’est généré par l’intelligence artificielle. Certains de ces contenus sont évidemment destinés aux adultes. Mais tous sont modérés par des humains. »
Start-up du vice chimiquement pure, OnlyFans se définit comme un réseau social classique. À un détail près : la relation créateurs-abonnés est payante. Le principe ? Les créateurs, principalement des femmes, publient des photos, des vidéos et des notes vocales derrière des abonnements mensuels. Les utilisateurs paient un supplément pour donner un pourboire aux femmes, personnaliser le contenu et avoir des conversations individuelles avec leurs modèles préférés. Tout sur OnlyFans n’est pas classé X, mais c’est cette forme de contenu qui rapporte de l’argent. Le site récupère une commission de 20 % sur toutes les transactions. Le profil type des créateurs : des étudiants, des personnes précaires, qui s’y lancent pour boucler leurs fins de mois. Très peu en vivent vraiment : 1 300 euros de revenus annuels en moyenne, selon la plateforme Mym, créée à Lyon en 2019 et qui se veut le OnlyFans français. « C’est une activité commerciale comme une autre. Ma famille et mon petit ami sont au courant. Et il n’y a aucun souci », assure SpookieShelbie, 33 ans, une Américaine installée à Paris, qui poste des contenus de charme et pornographiques pour ses 1 200 clients. Elle a accepté que nous photographiions l’un de ses shootings. « La plateforme encaisse les paiements et me rémunère à hauteur de 80 %. Je gagne environ 7 000 euros par mois, confie-t-elle. Mais je peux faire mieux. Certaines de mes amies gagnent jusqu’à 80 000 euros par mois sur OnlyFans. »
Revers de la médaille, la plateforme a permis à un écosystème très limite, voire délétère, d’émerger. Des organisations proposent d’aider les créateurs dépassés par leur succès contre une rémunération. Objectif : inciter les clients à acheter un maximum de contenus personnalisés. Le « New York Times » a trouvé un nom à ces OFM (OnlyFans managers) : les « e-pimps ». Du proxénétisme 2.0. D’autant que des travailleurs sous-payés au Venezuela ou aux Philippines sont embauchés pour se faire passer pour des créateurs, entretenant des dizaines, voire des centaines, de relations avec des hommes solitaires. Autre écueil, la surenchère à laquelle se livrent sur OnlyFans certaines créatrices comme la Britannique Bonny Blue, qui, le 14 juin, a tenté et réussi le défi d’avoir des relations sexuelles avec 1 057 hommes en vingt-quatre heures. Les grandes plateformes comme Instagram, X ou TikTok participent à la visibilisation d’OnlyFans en permettant aux créateurs présents sur leur réseau de réorienter les clients vers OF. Mais sans les avertir des conséquences sociales et psychologiques de leurs addictions potentielles. Aux États-Unis, cette addiction à OnlyFans est reconnue et traitée par des associations de type Alcooliques ou Narcotiques anonymes.
L’entreprise balaie évidemment ces procès en sorcellerie, arguant qu’elle a versé plus de 5 milliards d’euros à ses « créateurs » et « créatrices » en 2024. Elle met en avant sa nouvelle technologie de reconnaissance faciale pour empêcher les mineurs d’accéder à ses services. Ce ne sera d’ailleurs bientôt plus son problème puisque le holding, Fenix, est, selon Reuters, en vente. Avec des enchères qui débutent à 8 milliards d’euros. Un prix très raisonnable. Estimée à 50 %, la marge brute d’exploitation d’OnlyFans est supérieure à Alphabet, Meta ou Microsoft. Des stars de la tech comme Airbnb et Uber sont actuellement évaluées à 33 et 50 fois leurs bénéfices d’exploitation. Sur cette moyenne, OnlyFans devrait l’être à environ 25 milliards d’euros. Reste pour le futur acheteur à assumer le côté sulfureux de cette encombrante pépite de la « sex-tech ». Si le crime ne paie pas, le vice oui. Et un maximum.