Annales de
l'Est
Juillet 1899
Les travaux publics et le r�gime des corv�es en Lorraine au
XVIIIe si�cle
CHAPITRE PREMIER
Les routes de Lorraine et l'�uvre de L�opold. - Modifications
apport�es, � partir de 1737, dans l'administration des Ponts et
Chauss�es de la nouvelle province, jusqu'� compl�te assimilation
avec le syst�me fran�ais. - Personnel et divisions
territoriales. - L'imposition dite des ��Ponts et Chauss�es �. -
L'intendant juge du contentieux en premier et dernier ressort.
Une branche de l'administration pour
laquelle, apr�s la Cession, le Gouvernement de Louis XV ne
pouvait manquer de demander � l'intendant de Lorraine une
attention toute particuli�re, �tait celle des Ponts et
Chauss�es. La situation de la nouvelle province donnait aux
voies qui la traversaient une importance strat�gique et
commerciale des plus consid�rables. Entretenir et multiplier les
routes dans l'�tendue des Duch�s, ce n'�tait pas seulement faire
�uvre d'utilit� locale, procurer un �coulement facile aux
produits du sol, � ceux des salines surtout. C'�tait encore
relier les diff�rentes enclaves �v�choises, �tablir une prompte
communication entre le Royaume et les pays �trangers, la
Lorraine et le Barrois �tant appel�s � supporter, pour une tr�s
forte part, le roulage n�cessaire � l'importation et �
l'exportation fran�aises.
Les choses avaient bien chang� depuis l'occupation de la
Province au XVIIe si�cle et l'intendance de M. de Vaubourg. Le
r�gne de L�opold avait �t� f�cond. Ne trouvant, � son arriv�e
dans ses �tats, qu'un petit nombre de routes, presque toutes
impraticables et peu s�res, le Duc avait pris � c�ur d'y
rem�dier. Les anciens chemins restaur�s, puis plus soigneusement
entretenus, avaient �t� rendus moins dangereux aux voyageurs.
Futaies et taillis avaient �t� abattus � 30 toises de chaque
c�t� des routes qui les traversaient. Les broussailles avaient
de m�me �t� essart�es, afin d'enlever aux vagabonds et aux
voleurs, r�pandus en nombre jusqu'aux abords des villes, un
moyen facile d'embuscade. Un personnel des Ponts et Chauss�es
avait �t� institu�. L�opold s'�tait adjoint dans sa t�che un
homme de valeur, le comte Maximilien du Hautoy; il lui avait
confi�, par lettres patentes du 15 janvier 1715 (2), la charge
nouvelle de surintendant des Ponts et Chauss�es. Puis, � la
p�riode d'am�lioration, pendant laquelle le Prince avait rendu
plusieurs sages ordonnances (2), avait succ�d� celle de
cr�ation. Dans l'espace de quelques ann�es, � partir de 1724, on
avait pu voir maintes nouvelles chauss�es sillonner la Lorraine.
Des constructions d'art avaient �t� ex�cut�es sur les points les
plus accident�s du pays (3). Ces travaux �taient m�me devenus,
et � juste titre, un des th�mes pr�f�r�s des pan�gyristes du
Duc. Dom Calmet d�clare que ces ponts et ces chauss�es ��sont
d'un dessein si vaste, si magnifique, d'une ex�cution si
difficile et d'une si grande d�pense, qu'il est �tonnant qu'un
prince, dont les revenus ne sont pas immenses, ait form� une
r�solution de cette importance, et encore plus qu'il en soit
venu � bout en si peu de temps (4) �.
En moins de trois ans, en effet, 400 ponts avaient �t�
construits; pr�s de 800 kilom�tres de routes; trac�s (5). ��On
n'a travaill� avec activit� aux chemins dans le Royaume que
depuis 1750, c'est-a-dire environ deux ans apr�s la fondation de
l'�cole des Ponts et Chauss�es �, d�clarera plus tard un habile
ing�nieur. ��Avant ce temps, on ne portait ses soins que sur les
plus grandes traverses du Royaume qui �taient m�me fort
mauvaises. Il n'y avait gu�re que la Lorraine, la Franche-Comt�
et Montauban qui eussent, avant cette �poque, des communications
trait�es, quoiqu'� la mani�re de ce temps (6). �.
Il �tait impossible au nouveau r�gime de m�connaitre l'�uvre
consid�rable de L�opold. D�s le 7 d�cembre 1737, un arr�t du
Conseil des finances, portant r�glement pour les Ponts et
Chauss�es, payait son tribut d'�loges, un peu mince, il est
vrai, � ces r�formes du Prince. Il esquissait surtout le
programme trac� par l'intendant de La Galaizi�re et adaptait
l'ancien syst�me � la situation nouvelle. Le Commissaire d�parti
recevait dans ses attributions ��la police et �conomie g�n�rale
sans exception desdits chemins, ponts et. chauss�es..., avec la
connaissance de toutes les difficult�s n�es et � naitre dans les
communaut�s, de m�me qu'entre les habitants d'icelles,
entrepreneurs d'ouvrages, pr�pos�s, ouvriers et autres employ�s
auxdits travaux, pour l'ex�cution desdites ordonnances et des
pr�sentes, circonstances et d�pendances d'icelles (7) �.
La charge de surintendant ou grand voyer de Lorraine se trouvait
par l� m�me abolie. Le comte du Hautoy dut se retirer avec une
pension. La haute direction des Ponts et Chauss�es incombait
d�sormais au seul intendant fran�ais.
La carte itin�raire des Duch�s demeura provisoirement divis�e en
quatre sections qui comprenaient respectivement: le Barrois; la
montagne ou la V�ge; la Seille, le Bassigny et une partie de la
Lorraine allemande; l'autre portion de la Lorraine allemande et
la Wo�vre. Un ing�nieur resta plac� � la t�te de chacun de ces
d�partements ; mais le directeur g�n�ral, dont ces quatre
fonctionnaires d�pendaient et qui �tait dit ��directeur des
quatre d�partements �, fut remplac� par trois inspecteurs qui se
partag�rent la Province (8).
Cette hi�rarchie fut encore modifi�e, sur la proposition de
l'Intendant, par l'arr�t du Conseil du 17 juin 1750 (9). Une
place d'ing�nieur en chef des Ponts et Chauss�es de Lorraine et
Barrois �tait cr��e, et la Province divis�e, pour ce service, en
cinq arrondissements : ceux de Nancy (Lorraine propre); du
Barrois (Barrois et Wo�vre); de la Lorraine allemande; de
Neufch�teau (Barrois et Bassigny); de la V�ge. A chacun de ces
arrondissements correspondaient les charges de sous-ing�nieur et
d'inspecteur.
Le bureau des Ponts et Chauss�es, o� si�geait l'ing�nieur en
chef, se trouvait � Lun�ville; il ne fut transf�r� � Nancy qu'en
1757 (10). L'ing�nieur recevait 2,400 # de France (3,100 de
Lorraine); chaque sous-ing�nieur, 1,500 # (2,044); les
inspecteurs, 775 # seulement. Ce titre d'inspecteur ne
correspond point, en effet, � celui que portaient certains
fonctionnaires du Royaume. Les nouveaux inspecteurs de la
Province ne sont point du nombre des employ�s des Ponts et
Chauss�s qui peuvent, comme en France, parvenir aux grades
sup�rieurs, L'intendant g�n�ral des finances remarque qu'ils ��
ne sont m�me presque connus qu'en Lorraine et en Champagne (11)
�. En r�alit�, ils faisaient plut�t partie, avec les conducteurs
et les piqueurs, du personnel subalterne dit des corv�es.
Le premier titulaire de l'office d'ing�nieur en chef fut
Jean-Jacques Baligand, grand praticien et, de plus, excellent
dessinateur. Baligand avait fait autrefois ses preuves dans les
travaux des canaux du Loing et de Picardie. Il �tait venu en
Lorraine, en 1737, en qualit� d'inspecteur. Il y fut
successivement nomm� : ing�nieur ordinaire du roi, inspecteur
des b�timents et usines du Domaine) inspecteur des sources
sal�es, inspecteur et architecte des b�timents des salines (12).
Les noms de quelques-uns de ses sous-ing�nieurs m�ritent
�galement d'�tre conserv�s. Durant la plus grande partie de la
p�riode d'activit�, nous trouvons pr�pos�s: � l'arrondissement
de Nancy le sieur Jacquier ; � celui de la Lorraine allemande,
de Klier de l'Isle; � celui de Neufch�teau, Delille (13). C'est
encore Montluisant pour le Barrois et Richard Mique pour la V�ge.
Tous cinq, apr�s les Broutin, les Chaix et les Le Pan, rendirent
en Lorraine de pr�cieux services, Deux d'entre eux devaient
particuli�rement se signaler. A la mort de Baligand, Mique, plus
c�l�bre aujourd'hui comme architecte (14), le rempla�a, le 7
f�vrier 1763, dans les fonctions d'ing�nieur en chef, tandis que
Montluisant recevait, le 4 avril suivant, le second emploi du
d�funt, celui d'inspecteur g�n�ral des b�timents et usines du
Domaine.
L'unification avec le syst�me fran�ais ne fut compl�tement
op�r�e que longtemps apr�s le d�c�s de Stanislas. En 1766,
Daniel Trudaine (15) d�clarait � l'Intendant qu'il y avait
encore beaucoup � faire ��pour ramener l'administration des
Ponts et Chauss�es de Lorraine aux formes usit�es dans le
Royaume (16) �. Un arr�t du Conseil d'Etat du 29 septembre 1770
r�unit, en principe, les Ponts et Chauss�es de Lorraine � ceux
du Royaume (17). Richard Mique avait re�u, le 22 ao�t pr�c�dent,
le grade d'lng�nieur des Ponts et Chauss�es de France. Tout
occup� � surveiller les embellissements de Versailles et du
Trianon, Mique se contentait de faire de courtes apparitions en
Lorraine, quand il fut. nomm�, en 1775, premier architecte de
Marie-Antoinette. Sa charge d'ing�nieur fut alors donn�e � M.
Lecreulx (18) et le grade nouveau d'inspecteur des Ponts et
Chauss�es, syst�me fran�ais, � Montluisant. On profita de ces
changements pour �tudier une derni�re modification de la carte
itin�raire. A partir de 1777, elle comprit sept arrondissements:
ceux de Nancy, de Neufch�teau, de Lun�ville, de Dieuze,
d'�pinal, de Bar et de Saint-Avold (19).
Enfin, les places d'inspecteurs des travaux ayant �t� supprim�es
au fur et � mesure des vacances, sous l'ing�nieur prirent
d�sormais rang un inspecteur, trois sous-ing�nieurs et trois
sous-inspecteurs.
En 1724, le duc L�opold avait renforc� la Subvention d'un imp�t
sp�cial de 100,000 #, destin� aux travaux des routes. Cette
somme forma, jusqu'� la Cession, la seule contribution
accessoire � la charge de la Lorraine. Elle avait re�u le nom de
Ponts et Chauss�es. Sous le r�gime fran�ais; cette d�signation
fut �tendue, dans le langage courant d'abord, bient�t
officiellement dans les mandements, a toutes les impositions
suppl�mentaires multipli�es d�s lors par le fisc. Les ministres
de Louis XV se gard�rent de supprimer les Ponts et Chauss�es
proprement dits. Ils les augment�rent d'un sol par livre, comme
frais de r�partition, soit 105,000 #. Cet imp�t se levait sur le
pied de Subvention, au sol la livre. Un second brevet �tait
toutefois n�cessaire, cette charge s'�tendant � de nombreux
privil�gi�s exempts de la contribution principale (20).
En raison de ce budget sp�cial, la Lorraine ne participa pas aux
taxes suppl�mentaires impos�es chaque ann�e sur les vingt
G�n�ralit�s des pays d'�lection, les Trois-�v�ch�s et plusieurs
autres r�gions (21). On ne lui demanda rien pour les grands
travaux extraordinaires, tels que ceux du pont d'Orl�ans ou des
turcies de la Loire, qui grev�rent lourdement la plupart des
provinces. C'est seulement lorsque l'arr�t du Conseil d'Etat du
29 septembre 1770 ordonna le versement de ces 100,000 # entre
les mains des tr�soriers g�n�raux des Ponts et Chauss�es de
France, que les anciens Duch�s furent compris, sur ce point,
dans le syst�me financier du Royaume (22).
L'attribution de juridiction en premier et dernier ressort que
l'arr�t du Conseil des finances du 7 d�cembre 1737 donna �
l'intendant de Lorraine, en la mati�re des Ponts et Chauss�es,
�tait d'une port�e singuli�re. Elle suscita un grave incident.
En se contentant de d�clarer que la Chambre des compt�s perdait
le droit qu'elle avait, depuis une lettre de cachet du 25
f�vrier 1716, de conna�tre des conflits survenus au sujet des
Ponts et Chauss�es � la charge du Domaine, et en d�fendant aux
juges ordinaires de s'occuper des causes de ce genre qui, sauf
appel � la Cour souveraine, pourraient �tre port�es devant eux,
l'administration fran�aise feignait d'ignorer l'autorit�
exclusive dont avait joui jusqu'alors la Chambre. Mais, en
r�alit�, elle savait fort bien que, seule, cette Compagnie avait
pouvoir de��conna�tre et de juger, tant au civil qu'au criminel,
toutes les affaires contentieuses concernant le fait des
chemins, ponts et chauss�es, circonstances et d�pendances �.
C'est pour cela, pr�cis�ment, que le Chancelier-Intendant
s'�tait gard� d'envoyer l'arr�t � la Chambre, la principale
int�ress�e, afin qu'elle l'enregistr�t.
Par la publicit� qui suivit l'insinuation � la Cour souveraine,
la Chambre des comptes apprit l'atteinte port�e � ses
pr�rogatives. De tout temps, la direction des Ponts et Chauss�es
lui avait �t� confi�e, jusqu'au jour o� la grande extension que
L�opold donna aux travaux des routes, avait rendu ces
attributions trop on�reuses et embarrassantes pour une compagnie
de justice, et n�cessit� la cr�ation de la charge de
surintendant. Mais si tout ce qui regardait la construction, les
r�parations et l'entretien des chauss�es avait �t�, d�s lors, du
ressort du grand voyer, les membres de la Chambre n'avaient
point renonc� � leur droit de juridiction. C'est pr�cis�ment
pour qu'il n'y e�t aucun doute � cet �gard que le Prince leur
avait adress� cette lettre de cachet � laquelle l'arr�t faisait
allusion. L�opold y d�clarait que son intention �tait de
conserver la connaissance de toutes les difficult�s relatives
aux Ponts et Chauss�es ��comme d'anciennet� � sa Chambre des
comptes de Lorraine pour y �tre jug� et d�cid� souverainement et
en dernier ressort �.
Aussi, � la fin de 1737, l'�motion fut-elle tr�s vive � la
Chambre. Il en r�sulta le premier conflit s�rieux entre une cour
sup�rieure lorraine et le nouveau Gouvernement. Apr�s une longue
et m�re d�lib�ration, la Compagnie r�solut, en effet, de faire
des remontrances au roi. Les conseillers MailIiart et Bagard,
ainsi que l'avocat g�n�ral Le Febvre, furent charg�s d'en r�unir
les motifs. Bagard les groupa dans une r�daction d�finitive.
Puis l'avocat g�n�ral s'�tant rendu � Lun�ville et ayant obtenu
pour la Chambre l'autorisation de pr�senter les remontrances,
ces derni�res furent remises au Chancelier. Bien diff�rentes de
celles qui devaient suivre, elles �taient encore empreintes du
plus profond respect, non seulement pour le roi, mais pour M. de
La Galaizi�re dont elles ne parlaient qu'en termes tr�s mesur�s
et m�me �logieux. Elles refl�taient toutefois l'alarme des
magistrats qui ne pouvaient se r�signer, disaient-elles, � cette
chose impossible qu'on les priv�t d'une pr�rogative remontant
�jusqu'� la naissance de leur Compagnie �. Jamais, en Lorraine,
les affaires de voirie n'avaient �t� port�es ailleurs que devant
la Chambre, � laquelle on ne saurait retirer cette juridiction ��
sans �branler et sans alt�rer les premiers principes de sa
constitution �. Si elle se pr�tait � cet amoindrissement, elle ��
ne serait bient�t plus qu'un fant�me et qu'une ombre �.
�videmment, la religion de Sa Majest�, celle aussi de
l'Intendant, avait �t� surprise. En recevant les remontrances,
le Chancelier d�clara ��qu'il serait fait r�ponse en son temps �
la Chambre �. Toutefois, sa r�solution �tait prise; ce n'�tait
point � la l�g�re qu'il avait �voqu� � lui toute la juridiction
des Ponts et Chauss�es ! La Chambre des comptes dut enfin c�der
(23).
Mais la r�union sur une m�me t�te de tous les pouvoirs
administratifs et judiciaires allait causer des maux cuisants �
la Lorraine. ��N'est-il pas, Sire, de l'int�r�t du repos public
que ces sortes de crimes soient poursuivis et jug�s suivant les
lois, ce qui ne peut que difficilement avoir lieu dans une
commission destitu�e du secours essentiel du minist�re public �,
avait d�clar� M. Bagard, en faisant allusion aux exactions,
toujours possibles. Cette sorte de proph�tie du z�l� rapporteur
ne se r�alisera que trop.
CHAPITRE II
Etat des routes lorraines au milieu du dix-huiti�me si�cle. -
Leur entretien. - Plantations d'arbres. - Construction de
nouvelles chauss�es et travaux d'art. - Adjudication,
entreprises et d�penses. - La corv�e.
Soigneusement entretenues, � partir de
1738, les routes des Duch�s sont, en g�n�ral, recouvertes de
bons et solides mat�riaux, Les substances terreuses avec
lesquelles on les exhaussait auparavant, ont �t� remplac�es. Les
pierres, qui rendaient jusqu'alors les chemins ��extr�mement
durs et p�nibles aux voyageurs �, sont concass�es avant le
rechargement. Chaque communaut� est tenue de poss�der, � cet
effet, autant de masses de fer, d'un poids minimum de 12 livres,
qu'elle paie de fois 200 # de Subvention. Pour faciliter
l'entretien, des tas de pierres, dont le volume en toises cubes
est proportionn�, lui aussi, aux forces des populations
voisines, sont dispos�s le long des bermes, de dix toises en dix
toises.
Outre les grands travaux qui se font deux fois chaque ann�e,
jusqu'� parfait ach�vement, les r�parations urgentes doivent
�tre effectu�es en tout temps par les communaut�s qui sont
tenues de visiter, au moins tous les quinze jours, les portions
confi�es � leurs soins. Les pr�pos�s de l'administration
parcourent incessamment les chauss�es et dressent des
proc�s-verbaux en cas de n�gligence ou de contraventions. Des
poteaux portant une lame de fer-blanc grav�e indiquent, enfin,
les portions respectives � la charge des localit�s (24).
On peut classer ces routes en plusieurs cat�gories. Les plus
importantes, les meilleures, sont les routes dites en chauss�e.
Les unes, construites en moellons et recharg�es de cailloux et
graviers, mesurent de sept � cinq toises environ de largeur.
D'autres, simplement form�es de pierrailles et de graviers,
n'ont le plus souvent que quatre toises. Viennent ensuite les
routes non en chauss�e .ou chemins ordinaires, dont les
dimensions sont tr�s variables (25). Les grandes voies sont
d'habitude bord�es par des foss�s,
Il n'y a toutefois pas encore de rang�es d'arbres le long de ces
routes lorraines. Un arr�t du Conseil des finances du 4
septembre 1741 avait bien ordonn� qu'il y serait plant�, avant
le 1er octobre suivant, par les propri�taires riverains et � un
intervalle de trois toises, des noyers; ch�taigniers, ormes ou
fr�nes, d�livr�s gratuitement, au besoin, par les officiers des
grueries: L'administration voyait dans ces plantations un
ornement des routes et un moyen de multiplier certaines essences
peu abondantes dans les for�ts. Mais l'ex�cution de cet arr�t
rencontra la plus vive r�sistance. Peu de communaut�s s'y
soumirent. Un second arr�t, du 11 septembre de l'ann�e suivante,
renouvela en vain l'ordre, en �tablissant un ensemble s�v�re de
sanctions (2). Les laboureurs ne voulurent point comprendre
qu'il y aurait l� une indication pr�cieuse pour les voyageurs
pendant les nuits sombres ou par les temps de neige. Comme ces
arbres devaient �tre plant�s dans les champs voisins, non sur le
sol m�me de la route, ils furent d�clar�s nuisibles �
l'agriculture. Le peu qu'on en planta fut en partie arrach� ou
mutil�. Paysans et voituriers se plurent � les endommager.
Bient�t, les convois qui travers�rent sans tr�ve le pays, durant
la guerre de la Succession d'Autriche, en achev�rent la
destruction. L'administration resta impuissante devant le
mauvais vouloir et la routine. Quelques grands arbres, au tronc
volumineux, que l'on rencontre encore isol�s, � c�t� des
vieilles routes de la Province, sont, pour la plupart, les rares
survivants de cet infructueux essai. C'est seulement apr�s
l'arr�t du Conseil royal du 6 f�vrier 1776, g�n�ralisant la
prescription des plantations pour tout le Royaume, que les
routes de Lorraine furent, peu � peu, orn�es de ces alignements
d'arbres si r�pandus de nos jours.
L'am�lioration des anciens chemins est peu de chose en
proportion du grand d�veloppement que les La Galaizi�re
donn�rent � la construction des chauss�es neuves et �
l'ex�cution des travaux d'art. Le r�gne nominal de Stanislas
correspond, d'ailleurs, presque exactement, � la belle �poque de
l'ancienne administration des Ponts et Chauss�es de France,
�poque qui s'�tend depuis la suppression de la direction
g�n�rale, en octobre 1736, jusqu'� l'ann�e 1769, et au cours de
laquelle acquirent, entre plusieurs, un si juste renom
l'administrateur Trudaine et l'ing�nieur Perronet (26).
Le comblement des gouffres de la for�t de Haye, le trac� de la
route de Saint-Di� � Colmar par le Bonhomme, pourraient, � eux
seuls, fournir une id�e de l'importance et des difficult�s que
pr�sent�rent certains de ces ouvrages. Chaque ann�e, de
nouvelles grandes voies vont parcourir la Province et relier,
par l'emprunt de son territoire, les enclaves �v�choises et les
contr�es limitrophes. Toul communiquera d�sormais avec Verdun
par M�nil-la-Tour, Noviant et Beney; avec Troyes par la route de
Vaucouleurs et de Houdelaincourt vers Joinville. Les relations
entre Paris et Besan�on sont facilit�es par la chauss�e de Ligny
� Neufch�teau; celles entre Nancy et la capitale comtoise par le
chemin de Mirecourt � Conflans-en-Bassigny. La route de
Pont-�-Mousson � Commercy va �tre continu�e vers Saint-Dizier
par Ligny, Stainville et Ancerville; celle de Metz � Dieulouard,
jusqu'� Toul. Une communication commode est m�nag�e entre
Pont-�-Mousson et Nomeny. La grande et belle voie de Neufch�teau
� Saint-Di�, par Mirecourt, Charmes et Rambervillers, formera le
passage de Champagne en Alsace. Schlestadt n'avait de relations
avec la Lorraine que par Sainte-Marie-aux-Mines : voici les
routes de Raon � Senones ou � Saales. De Saint-Maurice, une
magnifique chauss�e, franchissant le Ballon, descend sur
Giromagny et Belfort. Une autre, par le Donon, conduit de Raon �
Strasbourg. La Lorraine allemande, si d�sh�rit�e jusqu'alors,
n'aura plus rien � envier aux autres districts : ce sont les
routes de Dieuze � Phalsbourg, par F�n�trange ; de Phalsbourg �
Sarrelouis, par Boucquenom, Sarralbe et Forbach; de Bitche �
Sarreguemines, � Deux-Ponts, � Wissembourg ou � F�n�trange; de
Sarreguemines � Saarbr�ck ; celle encore de Morhange �
Saint-Avold. L� passe la nouvelle voie de Metz � Francfort, et �
Bouzonville celle de Thionville � Sarrelouis.
Il serait fastidieux d'�num�rer toutes les routes de moindre
importance qui faciliteront les transactions de l'int�rieur. On
ira de Mirecourt � Epinal par Dompaire; de Neufch�teau �
Commercy par Vaucouleurs, et � Darney par Bulgn�ville. D'Epinal
� Bains par Xertigny; de Rambervillers � Anould par Bruy�res.
Malz�ville est reli�e � Art-sur-Meurthe par une belle chauss�e
qui longe la rive droite de la rivi�re et dessert la Chartreuse
de Bosserville. Rosi�res-aux-Salines ne sera plus isol�e de
Dombasle, de Cr�v�champs et de Damelevi�res. De V�zelise,
oubli�e au c�ur m�me du pays, vont rayonner plusieurs routes :
pour Ceintrey, pour Toul par Cr�pey, pour Vaucouleurs par
Colombey, et pour Charmes par Gripport (27).
Parmi les nombreux travaux d'art, il faut citer tout
particuli�rement le pont de Saint-Nicolas qui, en 1740-1741, fut
reconstruit sur la Meurthe, en vo�tes surbaiss�es : le premier
de cette sorte, para�t-il, que l'on e�t vu dans la contr�e (28)
Deux ans apr�s, c'est le pont de Tannois qui est jet� sur
I'Ornain. Puis celui de Ligny (1746); bient�t celui d'Essey,
pr�s de Nancy, commenc� au printemps de 1749 (29); ceux de
Salonne (1753) et de F�n�trange (1757); ou ceux, encore, de
Bouxi�res-aux-Dames, de Boucquenom, de Sarralbe, etc. N'oublions
pas le superbe pont de neuf arches construit sur la Moselle �
Pont-Saint-Vincent (1752-1757). Les plans et mat�riaux co�t�rent
plus de 284,000 #. Un voyageur, venant de Dijon et passant par
cet endroit, en 1753, donne sur cette entreprise d'int�ressants
d�tails. ��Ce pont est un des plus beaux ouvrages qui soient sur
la Moselle �, �crit-il. ��Il aura pr�s de quatre cents pieds de
longueur sur vingt-trois de hauteur ..... La m�chanique avec
laquelle on puise l'eau est admirable; tout autour de l'espace
destin� � faire le pont sont des baraques de bois au nombre
d'une quinzaine, contenant en tout cinq cents hommes ..... qui
sont relev�s de deux heures en deux heures. Cet ouvrage n'a
aucun rel�che, jour et nuit pendant toute l'ann�e; les ouvriers
ont leur lit dans les baraques; pendant que les uns travaillent,
les autres dorment; les femmes viennent de temps en temps aider;
c'est un tourbillon de mouvement perp�tuel et tr�s amusant pour
le spectateur. Voici � peu pr�s en quoi consiste la man�uvre:
chaque baraque a ses ouvriers, son atelier. L'eau se puise par
le moyen d'un chapelet ..... On compte douze chapelets; chaque
chapelet ne peut agir qu'au moyen de trente-huit personnes qui,
comme des for�ats, tournent et retournent sans cesse les deux
manivelles ..... Les ateliers de bois et de pierre tiennent un
canton immense. M. Mith (30) de Lun�ville, entrepreneur de ce
beau pont, nous dit qu'il ne serait fini que dans cinq ans (31).
�
Voici comment l'Intendant de Lorraine jugeait bon de faire
proc�der. Lorsque La Galaizi�re avait d�cid� l'ex�cution de
quelque route, d'un ouvrage d'art, ou qu'un ordre lui �tait
parvenu de Versailles, sur sa demande et ses indications
l'ing�nieur dressait les plans, �tablissait les devis et les
�tats estimatifs. Puis, d'apr�s ces documents, l'ouvrage �tait
soi-disant adjug�. En principe, il aurait d� l'�tre � n'importe
quel entrepreneur, pourvu que ce f�t ��au meilleur compte
possible �. Mais, en r�alit�, il y avait en Lorraine un
v�ritable entrepreneur en titre de l'administration. Ce fut un
parent de Richard Mique, Claude Mique, dit La Douceur (32) -
plus connu, lui aussi, pour la part qu'il prit � la construction
des �difices de Stanislas, - qui �tait charg� d'assurer
l'ex�cution de tous ces travaux. Nous le trouvons r�guli�rement
chaque ann�e adjudicataire exclusif de toutes les entreprises
des Ponts et Chauss�es dans les Duch�s.
Un tel syst�me semblait �trange aux administrateurs fran�ais ;
les contr�leurs g�n�raux et les directeurs des Ponts et
Chauss�es le critiqu�rent souvent (33). Les La Galaizi�re qui y
tenaient, surent le d�fendre et le maintenir. En mars 1762,
Bertin se plaignait en ces termes de cette r�sistance : ��Il est
int�ressant pour le bien du service que vous changiez cette
forme de travail, ainsi que je vous l'ai d�j� mand� par ma
lettre du 24 f�vrier 1761 (34) � Et � la veille m�me de la mort
du roi de Pologne, Trudaine revient � la charge. ��Il est vrai,
r�pondait l'Intendant, il est vrai qu'il n'y a qu'un
entrepreneur des Ponts et Chauss�es, parce que c'est un homme
intelligent, connu de M. Perronet qui rendra t�moignage de la
beaut� et solidit� de ses ouvrages, qu'il ex�cute avec honneur
et � un prix tr�s modique; il ne sous-marchande point, mais il
est second� par de tr�s bons appariteurs qu'il a � ses gages,
qu'il visite avec exactitude, et demeure � chaque atelier le
temps qu'il faut pour donner ses ordres (35). �
On commen�ait les ouvrages au d�but de chaque ann�e. Le
Commissaire d�parti les recevait au fur et � mesure de leur
ach�vement. Pendant. la campagne, l'entrepreneur ne touchait que
des acomptes. A la fin de l'automne, seulement, l'ing�nieur
soumettait � l'Intendant le proc�s-verbal d�finitif de r�ception
et lui pr�sentait en m�me temps le compte g�n�ral de la d�pense
des 100,000 # d'imposition. Sur cette somme se payaient d'abord
les appointements et gratifications de l'ing�nieur et de son
personnel, soit un total de 23,000 � 25,000 # (36). L'argent
vers� � l'entrepreneur, les frais de levers de plans, les
indemnit�s aux particuliers expropri�s absorbaient amplement le
reste. Toujours compl�tement employ�es (37), les 100,000 #
furent souvent insuffisantes aux �poques de grands travaux. La
d�pense des Ponts et Chauss�es se monte, par exemple, � 143,777
# en 1757; � 105,439 # en 1760. En 1756, l'ing�nieur arrive m�me
� un passif de 303,755 # (38).
C'�tait pourtant bien peu encore, semble-t-il, pour obtenir
d'aussi importants r�sultats. Le Gouvernement en exprima souvent
quelque inqui�tude, se demandant si, dans ces conditions, tous
les travaux pouvaient �tre r�alis�s avec la solidit� et le fini
d�sirables, En rassurant ses chefs, l'Intendant nous donne la
solution du probl�me. En effet, r�pondait La Galaizi�re au
Contr�leur g�n�ral, ��il n'y a qu'� comparer les prix des
ouvrages de la Lorraine avec ceux des provinces voisines, on
verra qu'ils sont � meilleur march� �. Mais c'est que ��les
travaux des Ponts et Chauss�es sont dirig�s diff�remment des
autres provinces de France, parce que tout s'y fait � corv�es,
except� les ouvrages d'art qui sont � prix d'argent, sans quoi
il ne serait pas possible avec 100,000 # de Lorraine, faisant
77,419 # 7 s. 1 d. au cours de France, de faire tous les
ouvrages d'un d�partement aussi �tendu que celui de Lorraine
(39) �. Puis, entrant dans les d�tails, le Commissaire d�parti
explique que si l'entrepreneur ne se montre pas plus exigeant,
c'est qu'en somme ��il n'est charg� que du prix des ouvrages
d'art, du payement de la pierre de taille aux carriers, de la
chaux, du ciment, du fer, des planches et madriers de sapin (40)
�. Ce sont les habitants qui fournissent toute la main-d'�uvre ;
ce sont ces corv�ables qui d�blaient et remblaient les terres;
ce sont eux qui, sous la surveillance des sous-ing�nieurs,
inspecteurs, conducteurs et piqueurs, sont charg�s de procurer
tous les autres approvisionnements en mat�riaux. Ils extraient
et voiturent gratuitement les moellons et le sable, transportent
les bois n�cessaires aux pilotis, plates-formes de fondations et
batardeaux que les communaut�s doivent d�livrer.
Les corv�es: telle est donc la lourde contribution en nature
exig�e des Lorrains, la v�ritable ressource qui permit
d'effectuer tant d'immenses travaux.
CHAPITRE III
Circonstances de l'�tablissement de la corv�e des grands chemins
en Lorraine. - L�gislation des corv�es. - Les exemptions. -
Corv�ables et personnel des corv�es. ~ Premi�re p�riode sous le
r�gime fran�ais (1737-1743).
Ces corv�es (41) furent la charge la plus
lourde et la plus odieuse aux Lorrains que les Duch�s connurent
sons le r�gne de Stanislas et le r�gime fran�ais. Nulle
institution ne contribua davantage � y faire d�tester
l'administration de Louis XV. Par cela m�me qu'aucune province
n'en fut plus arbitrairement accabl�e ; que, d'autre part, ce
fut pour le grave Chancelier-Intendant l'occasion d'exc�s
d�plorables, il n'est pas sans int�r�t de s'arr�ter un peu
longuement sur la question.
Contrairement au second imp�t en nature, la milice, la corv�e
n'�tait point d'importation fran�aise. De m�me qu'avant 1737 on
payait en Lorraine les 100,000 # dites des Ponts et Chauss�es,
c'est gr�ce aux corv�es que, sous L�opold et Fran�ois III, les
travaux des routes avaient �t� effectu�s. Tous ces ouvrages:
chauss�es neuves, retranchement d'anciennes chauss�es, foss�s,
�largissement des chemins, transport des mat�riaux pour la
construction et le r�tablissement des ponts, �taient alors
r�partis, par ordonnance du Duc, entre les contribuables, sur le
pied de la Subvention (42). Les communaut�s avaient � fournir
les man�uvres, les voitures et les bois n�cessaires aux
entrepreneurs. Le 12 mars 1699, comme les pluies de l'hiver
pr�c�dent avaient tout particuli�rement ravin� les grandes voies
de communication, le Duc avait donn� ordre � ses pr�v�ts ��de
prendre soin avec application de les faire r�parer incessamment
par les habitants desdites communaut�s, chacune sur son ban,
finage et territoire ..., suivant le nombre d'habitants qu'il y
aurait dans chacune, et que les maires commanderaient pour les y
faire trouver � la premi�re r�quisition desdits pr�v�ts, � peine
de ch�timent (43) � R�gies d'une fa�on plus pr�cise et plus
compl�te dans des ordonnances post�rieures, c'est par cet acte
de 1699 que les corv�es des Ponts et Chauss�es furent
r�guli�rement �tablies en Lorraine (44).
Nous insistons sur ce mot r�guli�rement. Plus tard, en effet, La
Galaizi�re essayera de mettre un terme aux r�criminations des
habitants accabl�s, en leur r�pondant qu'il ne fait qu'imiter
leur ancien souverain ; que L�opold, le premier, a command� des
corv�es, que c'est m�me ce prince qui en a donn� l'exemple � la
France. Il est exact que les corv�es, telles qu'on les imposa
dans le Royaume, ne sont pas ant�rieures � celles �tablies par
le Duc, � la fin du XVIIe si�cle. Toutefois, bien que Colbert
n'e�t accept� cette n�cessit� qu'avec m�fiance, on avait d�j�,
sous son administration et � diverses reprises, travaill� par
corv�es aux chemins, surtout dans les provinces fronti�res ou
celles r�cemment unies, telles l'Artois, la Franche-Comt�, le
Dauphin�, l'Alsace. La Lorraine, elle-m�me, n'en avait pas �t�
absolument exempte pendant l'occupation. Il ne s'agissait alors,
il est vrai, que de r�parations, d'entretien, non de la cr�ation
de nouvelles voies. Mais, en d�finitive, ce n'�tait point chose
absolument ignor�e � la restauration ducale (45).
De plus, lorsque L�opold mourut, et surtout � l'arriv�e de
Stanislas, le r�gime des corv�es �tait aussi bien �tabli dans la
plus grande partie du Royaume qu'il pouvait l'�tre dans les
Duch�s. On pratiquait r�guli�rement les corv�es en Alsace depuis
1717. Vers 1726, elles avaient �t� introduites dans la
g�n�ralit� de Soissons; l'ann�e suivante dans les Ev�ch�s; en
1729 � Ch�lons; en 1733 dans la province de Bresse (46). Bref,
ayant gagn� de proche en proche, en 1737 les corv�es �taient en
vigueur dans toutes les provinces de France r�gies par
l'administration centrale. Elles l'�taient en vertu
d'ordonnances des intendants, mais sans le secours d'aucune loi,
et c'est, � ce moment, la seule diff�rence entre les Duch�s et
le Royaume.
L'annexion de la Lorraine se faisait � une �poque peu favorable
pour ce pays. A peine l'intendant fran�ais �tait-il install� �
Lun�ville que sortait, en mai 1737, des presses de l'Imprimerie
royale, le fameux M�moire sur la conduite du travail par
corv�es, adress� � tous les agents des provinces et qui, ayant
pour but de faire cesser les abus et les trop grandes
discordances, admettait par cela m�me officiellement une
institution jusque-l� simplement tol�r�e. Ce document commen�ait
par affirmer l'impossibilit� de parvenir sans les corv�es au
parfait entretien des routes. La Galaizi�re �tait le beau-fr�re
dOrry. Or, le Contr�leur g�n�ral s'�tait montr� nagu�re un des
plus z�l�s propagateurs des corv�es; il �rigeait maintenant en
principe, pour toute la France, ce qu'il avait trouv� bon
d'inaugurer d�s 1726 dans la g�n�ralit� de Soissons dont il
�tait l'intendant, ensuite dans le Hainaut (47). Se sentir
appuy� par son parent et sup�rieur imm�diat, trouver en Lorraine
un pr�c�dent qu'il saurait invoquer � l'occasion, c'�tait plus
qu'il n'en fallait pour que ce caract�re dur et imp�rieux
qu'�tait le chancelier de Stanislas, n'en vint � oublier bient�t
les lois de la plus �l�mentaire �quit�.
Ce fut l'arr�t du Conseil royal des finances du 7 d�cembre 1737
qui, confirmant l'usage des corv�es en Lorraine, en fixa une
seconde fois les r�gles. Sous une apparence de mod�ration, il en
aggrava singuli�rement la port�e. Le vague voulu des termes
devait faciliter, par la suite, toutes les rigueurs. Villes,
bourgs et villages des Duch�s travailleront, comme ils le
faisaient sous les Ducs, au rechargement des chauss�es laiss�es
� leur entretien. L'Intendant se r�serve de faire proc�der � une
nouvelle r�partition. C'est deux fois par an, d�sormais, que les
habitants sont tenus de venir, � partir du 10 des mois de mai et
d'octobre, s'occuper � ces travaux, sans pr�judice des corv�es
command�es pour le trac� de nouvelles routes et la construction
des ouvrages d'art. Des sanctions s�v�res, adroitement
combin�es, assurent l'ex�cution des ordres de l'Intendant. Tout
corv�able doit ob�ir aux syndics ou officiers des h�tels de
ville, sous peine, pour chaque contravention, de 50 francs
d'amende et, en cas de r�cidive, ��d'emprisonnement et punition
exemplaire�. Ces officiers s'exposent, � leur tour, s'ils n'ont
pas su se faire �couter, les premiers aux m�mes ch�timents, les
autres � la perte de la moiti� de leurs gages; de la totalit� en
cas de r�cidive. Afin d'�viter toute collusion, les maires
condamn�s � l'amende ne peuvent recourir contre leurs
communaut�s, � peine de restitution du double de ce qu'ils
auraient exig� ou re�u de gr� � gr�, sans compter une
aggravation de 100 #, dont le tiers appartiendra au
d�nonciateur.
Une Instruction, en 40 articles, du 19 septembre 1739, et
r�dig�e par l'Intendant, compl�ta cette l�gislation des corv�es,
principalement en ce qui concerne les exemptions. Tout sujet
m�le, et non express�ment dispens�, devait contribuer
personnellement aux travaux des routes; tout au moins se faire
remplacer. Les exemptions avaient toujours �t� relativement peu
nombreuses. Seuls, au d�but, �taient dispens�s de. cette charge
: les eccl�siastiques, les nobles et les commensaux du souverain
(29 mars 1724). Mais, en laissant par la suite � la prudence des
maires et officiers municipaux le soin d'affranchir de la
r�partition les pauvres et les infirmes de leurs communaut�s,
L�opold avait tol�r� que l'on retranch�t dans une large mesure
de la liste des corv�ables presque tous les malades, les
vieillards, etc. (4 mars 1727). La Galaizi�re, au contraire,
augmenta d'une part le nombre des exempts ais�s; de l'autre, en
formulant pour les sujets les plus dignes de piti� une r�gle
�troite et inflexible, il inaugura un r�gime infiniment plus
rigoureux.
Furent exempts des corv�es � partir de 1739 :
l. Pour eux et leurs animaux :
a) Tout comme auparavant, les eccl�siastiques, les nobles et les
officiers commensaux du Prince;
b) Les garde-chasse des ��plaisirs� du roi, � condition qu'ils
ne soient ni laboureurs, ni voituriers et qu'ils habitent dans
l'�tendue desdits plaisirs;
c) Les commis, gardes et tous employ�s de la Ferme g�n�rale,
pourvu qu'ils ne fassent valoir aucun bien par eux-m�mes et
qu'ils n'exercent d'autre emploi que celui de leur commission;
d) Les syndics des communaut�s, lorsqu'ils commandent exactement
et en personne les corv�ables.
Il. Pour eux-m�mes :
a) Les man�uvres malades, durant la stricte dur�e de leur
maladie ;
b) Les septuag�naires, mais seulement s'ils sont oblig�s de
vivre de leur propre travail, et si, de plus, ils n'ont ni
femme, ni enfants en �tat de les suppl�er;
c) Les pauvres, mendiants et invalides des communaut�s; ils
doivent s'adresser � l'inspecteur; l'Intendant d�cide en premier
et dernier ressort.
Nous ne le verrons que trop, La Galaizi�re fut loin de se
montrer doux � tous les malheureux compris dans ce dernier
article. A propos d'un man�uvre �pileptique qui sollicite
l'exemption, l'Intendant exige qu'on pr�cise combien de fois par
semaine les crises se renouvellent. A son subd�l�gu� de
Saint-Di�, il �crit : ��Vous avez estim� que ces gens �taient
dans le cas de jouir de l'exemption de ces travaux sous pr�texte
qu'ils sont fort �g�s, pauvres et infirmes; mais cela ne suffit
pas pour d�terminer ma d�cision � leur �gard (48). �
Ajoutons qu'� plusieurs reprises l'intendant gratifia de
l'exemption, � titre particulier, des bourgeois pourvus
d'offices subalternes, des corv�ables touchant de plus ou moins
loin � l'administration. Ces d�rogations � la r�gle ne furent
pas toujours appuy�es sur une cause aussi plausible que celle
qui fit exempter, en 1749, pour ��lui, ses b�tes et ses voitures
�, le maitre de la poste aux chevaux de Nancy, durant tout le
temps qu'il remplirait cet emploi (49).
La contribution aux corv�es des ��chevaux et autres b�tes
tirantes � est nettement indiqu�e par l'Instruction. Toutes les
b�tes de somme des laboureurs et voituriers y sont astreintes.
Il en est de m�me pour les chevaux des officiers non nobles des
h�tels de ville et pour ceux des notables bourgeois, lorsque
leurs propri�taires les emploient � d'autres usages qu'� ��la
conduite de leurs personnes �. Les chevaux des commer�ants, des
meuniers et des fermiers des fours banaux doivent aussi
travailler aux corv�es lorsqu'ils ne servent pas exclusivement �
voiturer les marchandises, les grains et farines ou les bois de
chauffage.
Les corv�ables �taient di vis�s en deux grandes cat�gories : 1�
les man�uvres, auxquels incombaient la confection des chauss�es
et l'extraction des mat�riaux; 2� les laboureurs et les
voituriers, qui chargeaient et conduisaient la terre et les
pierres n�cessaires aux ouvrages. Ces derniers devaient
travailler personnellement, avec leur mat�riel et leurs b�tes de
somme. Les man�uvres �taient tenus d'�tre group�s en corps de
communaut�. Ils pouvaient, toutefois, se faire remplacer. Les
adolescents n'�taient admis � cet effet qu'� l'�ge de 16 ans
accomplis et s'ils �taient jug�s assez forts. Les bourgeois et
tous ceux dont la profession ordinaire ��n'est point de
travailler � la terre � �taient autoris�s � envoyer en leur lieu
et place leurs domestiques ou des pr�pos�s quelconques (50).
On peut distinguer trois �poques dans le r�gime des corv�es en
Lorraine � partir de 1737. L'intendance du Chancelier en
comprend deux, dont la seconde ouvre, vers 1743, pour la
Province, une longue suite de vexations. De plus en plus
p�nibles et excessives jusqu'en 1758, les corv�es furent, enfin,
sous La Galaizi�re fils et son successeur, command�es d'une
fa�on moins arbitraire et beaucoup plus mod�r�e.
Anim� d'un beau z�le, le premier Intendant montra, de suite,
dans cette partie de son administration, une rigueur toute
particuli�re. Les habitants des communaut�s, accoutum�s
pourtant, de 1724 � 1727, � contribuer amplement de leurs bras
et de leur attirail agricole aux travaux des routes et des
ponts, purent bient�t se r�pandre en dol�ances am�res sur l'abus
que le repr�sentant de la France faisait d'eux. En 1740, les
plaintes s'�levaient d�j� si nombreuses et si circonstanci�es,
qu'� Versailles elles avaient attir� l'attention. Malgr�
l'insouciance d'Orry, le cardinal de Fleury en �tait �mu. Il
faisait adresser de s�rieux reproches au Commissaire d�parti,
l'engageant � plus de mod�ration. Mais La Galaizi�re lui
r�pondait sans sourciller : ��Sur ce que Votre Excellence me
marque touchant les travaux des Ponts et Chauss�es par corv�e,
je dois croire qu'on lui a port� plainte � ce sujet; il est
vrai, Monseigneur, que c'est une charge pour cette province,
mais j'ose vous assurer qu'elle est moindre qu'elle n'�tait
autrefois, par l'attention que j'ai de ne faire marcher les
communaut�s que dans le temps o� elles n'ont rien � faire pour
la culture des terres ..... Au reste, Votre Excellence peut
s'assurer que je redoublerai d'attention sur cet article. Les
ordres sont donn�s, d�s le mois de f�vrier, pour ne faire
reprendre les travaux � corv�e cette ann�e qu'apr�s toutes les
semailles de mars que la longue dur�e de la gel�e de cet hiver a
retard�es (51). �
Le Cardinal, peu satisfait, sans doute, de ces assertions,
�crivit lui-m�me � l'Intendant qu'il e�t � faire mieux encore,
et il lui ordonna de supprimer provisoirement toutes corv�es
autres que celles d'entretien. La Galaizi�re ob�it, mais en
s'effor�ant, dans la r�daction de sa nouvelle circulaire, de
faire attribuer � sa propre sollicitude ce soulagement momentan�
(52).
Toutefois, le fonctionnaire mentait en affirmant au Cardinal
qu'il prenait les plus grandes pr�cautions avant d'imposer aux
populations des Duch�s un fardeau qu'il �tait cens� �tre le
premier � d�plorer. D�s la mort de Fleury, il semble avoir h�te
de rattraper le temps �pargn�. Subitement, il se montre plus
exigeant qu'on ne l'avait encore connu, En aucune r�gion de la
France, jamais corv�es ne furent command�es. avec plus de duret�
et moins de mesure qu'elles le seront d�s lors en Lorraine,
pendant quinze ann�es. Presque sans tr�ve, aux moments m�mes o�
les champs les r�clament, les Lorrains vont �tre mobilis�s pour
des travaux multiples ; la plupart d'utilit� incontestable, sans
doute, mais qui n'en auront pas moins pour r�sultat d'introduire
dans les campagnes la mis�re et souvent la ruine.
Nous n'en finirions pas si nous voulions entrer dans le d�tail
de chacune des entreprises que les populations eurent � mener �
bien. Nous en avons d�j� cit� quelques-unes ; nous aurons
l'occasion d'en mentionner d'autres encore. Deux, toutefois,
sont fameuses entre toutes, que nous allons prendre comme
exemple pour �tudier la condition des corv�ables lorrains �
cette �poque. Nous voulons parler des travaux des bois de Haye
et de la chauss�e de Neuviller.
CHAPITRE IV
Deuxi�me p�riode (1743-1759)- - Histoire des ��Ponts-de-Toul �.
- Immensit� de ce labeur. - Multiplicit� des autres travaux. -
Dol�ances du pays.
Dans la portion du pays qui s'�tend, entre
la capitale lorraine et la ville �piscopale, la Meurthe et la
Moselle, et qui porte le nom de la for�t la couvrant autrefois
tout enti�re, est un site sauvage. On y rencontre deux
pr�cipices, dits les Fonds-de-Toul, endroit dangereux de toute
mani�re et o�, nagu�re encore, les bandits d�troussaient
impun�ment le voyageur contraint de s'y aventurer durant la nuit
(53) L�, passe la route menant de Nancy � Toul, vers Paris, le
chemin royal et militaire d'Alsace en France.
D�s 1703, L�opold s'�tait occup� de faire �largir et am�liorer
consid�rablement une voie si importante. Mais, devant les
obstacles offerts par la nature en ces lieux accident�s, il
avait jug� excessif d'employer gratuitement les habitants � une
telle t�che. Il avait renonc�, d'ailleurs, � supprimer
compl�tement certaines pentes p�rilleuses, et la route
continuait � y d�crire de longues et dangereuses courbes (54).
Ce fut pr�cis�ment � cet endroit qu'aux premiers jours de
septembre 1745, arriv�rent, de plusieurs lieues � la ronde, les
corv�ables des communaut�s lorraines. M. de La Galaizi�re a
r�solu, en effet, quelles que puissent �tre les difficult�s,
d'obtenir, dans le parcours de la for�t de Haye, une chauss�e
large, directe et d'�gal niveau.
Voici les deux gouffres ; ils sont larges .et profonds. Le
premier, surtout, qui mesure 150 pieds de d�pression verticale.
Il s'agit pour les habitants du pays de combler ces abimes, et
d'exhausser la route qui les traverse. Ils accumuleront les
mat�riaux ; ils �l�veront successivement des terrasses. L'oeuvre
est immense; qu'importe !
Au mois d'avril pr�c�dent, on a construit dans le premier fond
un nouvel aqueduc de 300 pieds de long, 6 de haut et 4 de large,
pour servir � l'�coulement des eaux (55). Tout est pr�t.
Les corv�ables n'ont plus qu'� commencer la gigantesque
entreprise qui va faire l'admiration des ing�nieurs du Royaume
et attirer sur le r�gime fran�ais les mal�dictions du peuple
lorrain.
Peu � peu les talus s'�l�vent; les travaux sont pouss�s avec
tant d'ardeur qu'un an apr�s, le 26 septembre 1746, le roi de
Pologne, allant � Commercy, peut d�j� traverser commod�ment un
des ravins (56). Chaque printemps et chaque automne, on verra
d�sormais pareillement gagner la for�t de Haye les travailleurs
command�s de communaut�s ���loign�es de dix � quinze grandes
lieues (57) �.
En effet, non seulement la subd�l�gation de Nancy, mais celles
de Pont-�-Mousson, de V�zelise et de Lun�ville sont mobilis�es.
Sur les routes de ces districts, c'est un incessant mouvement de
corv�ables. Il en arrive des localit�s touchant au Pays messin,
au Toulois ou au Temporel de Metz. Si la disparition des �tats
arr�t�s par l'Intendant ne nous permet pas de dresser une liste
compl�te des communaut�s r�quisitionn�es, nous voyons du moins,
pour l'office de Lun�ville, par exemple, que l'on eut recours
aux bras des habitants de Serres et d'Athienville, d'Einville et
d'Arracourt, de Bauzemont et de Bathel�mont, de Coincourt et de
Deuxville. Les gens de Drouville, de Gellenoncourt, de Raville,
de Valhey, etc., sont aussi command�s (58).
Tous arrivent par bandes, � leurs frais, sous la conduite de
leurs syndics, avec leurs �quipages de campagne, c'est-�-dire
leurs voitures et leurs bestiaux, suivant l'ordre r�gl� par
l'inspecteur. Du village de Laxou, localit� choisie par
l'ing�nieur comme quartier g�n�ral des travaux, ont �t� amen�s
les outils du roi que, dans l'intervalle, on y conserve et
entretient. Le conducteur des corv�es est � son poste. Les
piqueurs constatent les pr�sences, notent soigneusement les noms
de ceux qui manquent � l'appel, Les corv�ables n'ont plus qu'�
se mettre au travail avec ardeur. Le moindre repos est consid�r�
comme une inexcusable marque de paresse.
Toute la formation des terrasses, tout le transport des terres
doivent se faire uniquement ��par corv�e et � pied d'�uvre �.
Seuls, certains ouvrages d'art seront ex�cut�s � prix d'argent.
La besogne est des plus p�nibles. Dans ce dur labeur, les hommes
s'�puisent et les instruments se brisent. L'administration doit
payer, par exemple, en 1757, au forgeron de Laxou, 111 # pour
avoir �t� employ�, cette ann�e-l�, 74 jours entiers � ��
raccommoder les brouettes servant aux corv�ables �; l'ann�e
suivante, pour trois mois de travail, le m�me ouvrier doit
consacrer 71 jours � ces r�parations (59).
Les corv�ables se nourrissent � leur compte. Ils eurent d'abord
la facult� de se d�salt�rer gratuitement autour de grands
tonneaux, dits ��les voitures d'eau �, que l'on allait remplir
chaque jour � Laxou, � leur intention, et aux robinets desquels
�tait attach�e une grossi�re �cuelle de bois. Mais
l'administration ayant estim� qu'il lui en co�tait trop cher,
les communaut�s elles-m�mes furent charg�es de ce soin. Elles ne
purent le faire sans exiger une redevance des corv�ables, Aussi,
aux �poques de s�cheresse, les pauvres �taient-ils expos�s � de
bien grandes privations. ��Que n'ont pas souffert les laboureurs
pour la construction d'une chauss�e dans les bois de Haye,
ouvrage immense qui les accable depuis plus de dix ann�es, et
qui les d�sole parce qu'ils n'en pr�voient pas la fin ! �
s'�crie, en 1755, le rapporteur de la Chambre des comptes de
Lorraine. ��On est touch� des plaintes et des g�missements de
tant de malheureux qui, �loign�s de leurs habitations et �puis�s
par la chert� des vivres, de l'eau m�me que la nature des lieux
leur refuse, sont contraints de chercher leur subsistance dans
la mendicit� (60). �
�Les communaut�s �, d�clare � son tour la Cour souveraine, ��en
quelques ann�es ont �t� r�duites jusqu'� l'extr�mit� d'y acheter
de l'eau. � Et, en 1758, les magistrats s'apitoieront encore sur
��ces mis�rables, manquant de pain, oblig�s d'acheter l'eau pour
�tancher leur soif; et r�duits � vivre d'herbes (61) �.
L'emplacement des travaux se nomme l'atelier, Trois baraques en
bois s'y dressent. L'une, toujours soigneusement ferm�e � clef,
est le magasin o� l'on remise les outils pendant la nuit; la
seconde, la seule munie de vitres, est le logement du
conducteur, charg� d'inspecter tous les corv�ables, au moins une
fois par jour, Ces derniers couchent p�le-m�le dans la troisi�me
baraque, la plus vaste, sur des lits de planches, comme dans les
corps de garde. Ils peuvent enfin pr�parer leurs aliments dans
deux petites constructions de pierre (62).
Les nuits sont souvent froides; aussi accorde-t-on quelquefois
aux travailleurs la douceur d'un peu de feu. En 1758, Drouot,
marchand de bois � Nancy, fournit ��quatre cordes pour chauffer
les corv�ables pendant les nuits du travail�. Mais, pour peu que
l'hiver soit pr�coce ou que les travaux se prolongent, la
situation de tous ces gens devient des plus critiques. Il se
passe des sc�nes qui �meuvent les agents de l'administration
eux-m�mes. C'est ainsi que nous voyons le subd�l�gu� de Nancy,
saisi de piti�, prendre sur lui de secourir ces malheureux. ��
Les laboureurs des 22 communaut�s qui travaillent au bois de
Haye �, �crit-il � son chef, vers la fin d'octobre 1748, ��ne
pouvant laisser pendant la nuit, � cause de la rigueur de la
saison, leurs chevaux � la campagne, se r�pandent dans nos
faubourgs et villages circonvoisins, o� ils payent par nuit
jusqu'� 2 sols par cheval; pour leur donner quelque soulagement,
je leur ai fait dire qu'ils pouvaient venir � Nancy, o� je leur
ferais donner les �curies que nous avons dans diff�rentes rues,
m�me celles de l'h�tel de la Gendarmerie; cela fait que cette
nuit derni�re il s'est pr�sent� pr�s de 300 chevaux et fait une
�pargne aux maitres. J'esp�re, Monseigneur, que vous
l'approuverez ainsi (63). �
Les dimanches et f�tes, l'office divin est c�l�br�, �
l'Intention des corv�ables, sur les chantiers m�mes, o� a �t�
�difi�e une petite chapelle rustique. Un capucin, moyennant une
r�tribution de 3 # Par messe, vient � cet effet de Nancy. Cette
m�me ann�e 1758, le religieux dit 15 messes dans les
Fonds-de-Toul. Tout ce luxe, d'ailleurs, n'est pas bien grand.
Les comptes de l'ing�nieur et de l'entrepreneur nous le
prouvent. Ouvrages � prix d'argent, r�parations d'outils, bois,
messes, etc., n'ont co�t�, en 1757, que la somme de 358 #; 257 #
en 1758. Aucun autre argent n'a �t� d�bours� ces ann�es-l� pour
ces travaux. Les corv�ables et leurs b�tes ont suffi � tout.
Chaque campagne finie, avant de quitter la Haye, on nivelle la
chauss�e comme si elle �tait suffisamment exhauss�e, on �galise
la cr�te des talus, on bombe avec soin les remblais. Les
communaut�s peuvent alors repartir, ayant, en g�n�ral, mang�,
durant ce s�jour � l'atelier, leur petit avoir. Elles regagnent,
avec leurs b�tes harass�es, leurs terres sans culture. Quelques
mois apr�s, on d�molit les trois baraques pour les r�tablir un
peu plus loin, et le fastidieux travail continue.
Jusqu'en 1759, ce n'est qu'exceptionnellement, lorsque la saison
aura �t� trop incl�mente, que les corv�ables ne seront convoqu�s
qu'une seule fois, soit au printemps, soit � l'automne. Ainsi
dans la malheureuse ann�e 1749, o� le bl� vint � manquer et o�
le froid persista jusqu'au c�ur de l'�t�, devant l'�meute
populaire qui se fit un instant mena�ante, l'Intendant jugea
prudent d'interrompre, pendant quelque temps, le grand ouvrage.
Dix ans apr�s, le premier gouffre de Haye n'�tait pas
compl�tement combl�. Nous voyons les communaut�s y travailler
trois mois encore et exhausser de nouveau le terrain de 2,947
toises cubes de pierres et de terre. Alors seulement la chauss�e
atteignit dans cette partie la hauteur requise. A la fin de
1762, il en fut de m�me pour le second pr�cipice.
La route s'�tend facile et droite; elle est garnie de chaque
c�t� de landrages ou garde-fou en charpente, de haies vives et
de plantations de saules. Les deux lev�es sont d�finitivement de
v�ritables ponts, jet�s sur les ravins, Les corv�ables n'en ont
plus que l'entretien. Mais, pour arriver � ce surprenant
r�sultat, il a fallu plus de dix-sept longues ann�es, pendant
chacune desquelles l'intendant a exig� des populations voisines
un travail de trois � cinq ou m�me six mois, tandis que la part
contributive de tout corv�able employ� n'�tait pas inf�rieure,
en moyenne, � trois ou quatre semaines de labeur !
Apr�s de consciencieuses op�rations trigonom�triques et de
minutieux calculs faits sur les lieux m�mes, un chercheur
trouva, lors de l'ach�vement des travaux, que le premier pont,
celui du c�t� de la capitale lorraine, mesurait 166 toises de
France (64): celui du c�t� de Toul environ 190; que la hauteur
de ces lev�es, depuis le fond de la vall�e, �tait pour la
premi�re de 25 toises, pour la seconde de 15 toises,
c'est-�-dire encore celle � laquelle atteignait, pr�cis�ment, le
coq de l'�glise Saint-Evre de Nancy. Les deux talus
repr�sentaient un volume de 89,025 toises cubes. Pour les
former, plus de 1,780,000 voitures de terre et de pierres
rapport�es avaient �t� n�cessaires. De tels mat�riaux eussent
suffi � la construction de pr�s de 30 lieues de chauss�es
ordinaires (65).
Les �crits du temps nous apprennent qu'arriv� en cet endroit,
tout voyageur faisait arr�ter ses chevaux, descendait de
carrosse et ne se lassait point de contempler une si colossale
entreprise. En 1750, le prince de Craon, parcourant la for�t de
Haye, avait appliqu� � ces immenses travaux le mot d'Horace:
..... Valet ima summis
Mutare (66) .....
.... Deus, avaient sans doute poursuivi les courtisans; car
aussit�t Stanislas, charm� de cette flatterie, de d�clarer qu'il
faudrait �lever une colonne sur la nouvelle route pour y graver
un tel passage (67). Un eccl�siastique qui se rend a Toul, en
1764, et qui n'a pas vu les gouffres depuis plusieurs ann�es, ne
peut mieux exprimer son �motion qu'en paraphrasant un vers
fameux de Virgile; sa pens�e est toutefois plus touchante que
celle du gentilhomme quand il s'�crie :
Quantae molis erat complere has aggere valles !
Par la suite, le brave religieux (68) reviendra souvent examiner
cette chauss�e sur laquelle il voudrait voir �riger, lui aussi,
un monument comm�moratif, mais qui, du moins) rappel�t aux
g�n�rations futures l'�normit� du labeur de ses malheureux
compatriotes. Il consacrera m�me ses loisirs � une curieuse
Dissertation sur les ponts de Haye, travail demeur� manuscrit.
J'ai, nous explique-t-il dans son na�f enthousiasme pour
l'�uvre, m�l� d'une r�elle piti� pour les artisans, ��j'ai
entrepris cet ouvrage parce que son objet m'a paru singulier et
peut-�tre unique dans son genre. J'ai �t� depuis les Vosges
jusqu'� Paris; j'ai lu l'atlas de la France qui contient ce
qu'il y a de plus curieux dans le royaume; et je n'ai rien lu ni
vu de semblable � ce que je viens de rapporter. Depuis Salomon
on n'a peut-�tre rien fait de pareil dans le monde. L'Ecriture
dit que ce prince fit combler la vall�e profonde qui s�parait la
ville de David de la montagne de Moriah pour aller de plain-pied
de son palais au temple b�ti sur cette montagne (69). �
On s'est parfois �tonn� des murmures que provoqua un ouvrage
d'utilit� publique tel que celui des Ponts-de-Toul. ��On fit un
crime � M. de La Galaizi�re, �crit Digot, d'avoir form� une
entreprise que l'on aurait port�e aux nues si elle avait �t�
ex�cut�e par L�opold (70). � L'histoire cependant doit donner
raison � nos p�res, encore que leurs dol�ances puissent �tre
tax�es, par quelques-uns, d'une certaine exag�ration. L�opold
avait bien r�alis� un travail analogue, et ce travail lui avait
valu, avec les plus vifs �loges, la reconnaissance du pays. Mais
c'est que les moyens employ�s par le Prince diff�raient
enti�rement de ceux auxquels eurent recours l'administration
fran�aise et son intendant. Les pi�ces .officielles elles-m�mes
nous ont fourni l'explication de ce changement d'attitude des
Lorrains en 1705, puis quarante ans plus tard. Si, au lieu
d'affecter les deniers du Tr�sor aux premiers travaux des
Fonds-de-Toul et d'en r�tribuer les ouvriers, L�opold avait,
comme La Galaizi�re, courb� les communaut�s sous le b�ton
impitoyable des piqueurs, je doute que les habitants des Duch�s
eussent pareillement b�ni une �uvre leur co�tant si cher !
Pendant que l'on travaillait � combler les gouffres de Haye,
d'autres ouvrages �taient conduits, d'apr�s la m�me m�thode, sur
tous les points de la Lorraine et du Barrois. La liste suivante,
dress�e par l'ing�nieur, sur l'ordre de La Galaizi�re, peut
donner une id�e de l'activit� qui d�solait le pays. Il s'agit
des travaux qu'auront � ex�cuter, au cours de l'ann�e 1757, les
communaut�s des diff�rents arrondissements des Ponts et
Chauss�es de la Province. On y lit le laps de temps durant
lequel, pour chacune de ces entreprises, les ateliers resteront
ouverts.
PREMIER ARRONDISSEMENT Nombre de mois
Comblement du grand fond des bois de Haye 3
Changement des montagnes de Chavigny, route de Nancy � Langres 4
Chauss�e de Nancy � Charmes (Flavigny, Roville) 7
Continuer la nouvelle chauss�e de Pont-�-Mousson � Nomeny 3
R�tablir le grand pont devant Bouxi�res-aux-Dames 6
DEUXI�ME ARRONDISSEMENT.
R�tablissement de la chauss�e traversant les bois de
Saint-Beno�t (route de Toul � Verdun) 4
Former une chauss�e de la ville haute de Bar � la rencontre de
celle de Paris 2
Ouvrages dans la Wo�vre 4
TROISI�ME .ARRONDISSEMENT
Grand pont de pierre � construire sur la Sarre, proche la ville
de F�n�trange (route de Dieuze � Phalsbourg) 7
Rechargement de la chauss�e de Dieuze � F�n�trange 3
Continuer la nouvelle chauss�e de Bitche � Phalsbourg 4
QUATRI�ME ARRONDISSEMENT Nombre de mois
Continuer la nouvelle chauss�e d'Epinal � Bains, � Plombi�res. 4
Perfectionner la nouvelle chauss�e de Neufch�teau � La Marche,
et celle de Bourmont � la rencontre de celle-ci. 3
Continuer la nouvelle chauss�e de Vaucouleurs � Joinville. 5
Approvisionnement pour la reconstruction du grand pont de
Domremy. 5
CINQUIEME ARRONDISSEMENT
Continuer le changement de la chauss�e de la montagne de
Sainte-Marie-aux-Mines (route de Lun�ville � Schlestadt). 3
Continuer la chauss�e de Saint-Di� au val de Viller 3
Faire des �gouts � travers la chauss�e de la montagne entre
Saint-Maurice et Giromagny 3
Nouvelle route de Remiremont � Belfort; percer dans le roc pour
la route de Remiremont � Thann (71) 3
Une v�ritable fatalit� semblait peser sur la Lorraine. Les
ph�nom�nes physiques, les intemp�ries des saisons �taient venus,
avec. une intensit� et une fr�quence inaccoutum�es, aggraver
encore les lourdes charges impos�es aux corv�ables. Des crues
successives caus�rent la ruine de plusieurs ponts et en
endommag�rent un grand nombre d'autres. en octobre 1740, on
souffrit dans la Province d'une des plus grandes inondations
dont on e�t m�moire, au dire de Durival, Le pont de Nancy aux
Grands-Moulins, ceux de Laneuveville et de Saint-Nicolas
s'effondr�rent; de m�me celui de Ceintrey. Ceux de Neufch�teau
furent �. moiti� d�truits. Des catastrophes semblables se
produisirent dans le Barrois durant l'�t� de 1749. En mars 1751,
encore, les ponts de Boucquenom et de Gerb�viller, un autre sur
la chauss�e de Nancy � Essey, sont emport�s (72).
Vers 1756, les communaut�s lorraines semblaient � bout de
forces. Dans des remontrances au roi, du 15 mai, la Cour
souveraine se plaignait en ces termes : ��Nous sommes persuad�s
qu'en France l'int�r�t du Peuple, combin� avec ses forces, fait
la r�gle de la proportion des travaux qui lui sont impos�s pour
les routes �, faire dans ce Royaume, Cette proportion est
g�n�ralement bless�e en Lorraine, o� vos sujets sont aussi
foul�s par les sommes qui leur sont impos�es, que par les
corv�es qui en sont exig�es pour l'�tablissement des routes. La
multiplicit� de celles qui sont ordonn�es, les travaux qu'elles
exigent, les pr�cipices qu'on y a fait combler, les ponts qu'on
y fait b�tir, demanderaient un intervalle de plusieurs ann�es.
Ce m�nagement �tait observ� sous les r�gnes pr�c�dents, pour
donner au Peuple le temps de respirer et de se mettre en �tat
d'y subvenir, ainsi qu'� ses besoins et aux autres imp�ts ; mais
la pr�cipitation avec laquelle tous ces ouvrages sont ex�cut�s
en m�me temps, la multitude des corv�ables qui y sont employ�s,
enl�vent le cultivateur au labour des terres et l'artisan aux
ouvrages de sa profession. L'habitant de la campagne y est
accabl� de fatigue, les chevaux destin�s � la culture des terres
y p�rissent, tous y sont expos�s aux maladies et � la mis�re
(73). �
Ce tableau trac� par le magistrat rapporteur n'est pas trop
sombre; bient�t il ne devait plus suffire � rendre la r�alit�.
CHAPITRE V
Deuxi�me p�riode (suite). - Histoire de la ��Chauss�e de
Neuviller �. - La grande faute du Chancelier-Intendant La
Galaizi�re. - Les exactions. - Triste situation des campagnes
lorraines. - Ce qu'il en co�tait respectivement aux communaut�s
et � l'administration. - Attitude des autres intendants. -
R�probation soulev�e par les abus. - Saint-Lambert et Durival.
La Cour souveraine avait ajout�, dans ses
dol�ances de 1756, que, malgr� la rigueur et. le nombre des
corv�es, les Lorrains sauraient peut-�tre en prendre leur parti,
si le travail demand� avait uniquement pour fin l'�tablissement
de routes d'int�r�t g�n�ral. Ce qui augmentait leur peine,
c'�tait de voir au contraire ce labeur n'aboutir souvent qu'� la
commodit� ou � l'agr�ment de quelques favoris�s. ��Dans le
moment m�me o� nous portons aux pieds de Votre Majest� les.
plaintes de ces malheureux, nombre de communaut�s g�missent dans
les travaux de ces routes particuli�res (74). � L'allusion
restait timide, La Cour se tenait encore sur la r�serve. Voici
l'explication de ce passage, bient�t compl�t� par d'autres plus
significatifs.
Propri�taire du comt� de Neuviller (75) et de ses d�pendances,
le Chancelier avait acquis la terre de Roville, le 1er f�vrier i
754. Cette seigneurie avait �t� incorpor�e au comt� par lettres
patentes du 29 d�cembre 1755, ent�rin�es le 14 janvier suivant
(76). Or, deux mois apr�s cette date, c'est-�-dire aussit�t que
la saison le permit, les communaut�s de la r�gion re�urent
l'ordre de se rendre sans d�lai � un nouveau travail, d�clar�
par l'Intendant ��d'une n�cessit� urgente �. Il s'agissait de la
cr�ation d'une chauss�e prenant � Flavigny sur celle de Nancy �
Mirecourt, passant par M�nil-Saint-Martin, Cr�v�champs et
Neuviller; puis continu�e jusqu'� Roville, pour, finalement,
rencontrer la route de Bayon � Charmes. Le projet portait
officiellement la rubrique : Route de Nancy � Charmes.
Mais ce d�tour ne pouvait abuser personne. La co�ncidence,
d'ailleurs, e�t �t� singuli�re. Les communications entre Nancy
et Charmes se faisaient jusqu'alors, et assez commod�ment, par
Bayon. Deux routes tr�s suffisantes pour l'�poque menaient aux
terres du Chancelier. De Flavigny-le-Bas un chemin conduisait �
Neuviller, On y arrivait aussi, en traversant la Moselle, par la
grande voie de Nancy � Bayon et de l� vers les Vosges. Les
princes de Salm-Salm, anciens propri�taires de la seigneurie,
avaient toujours estim� ces routes suffisantes. M. de La
Galaizi�re �tait plus exigeant. Il jugeait le premier chemin
d�sagr�able. Il entendait, aussi, ne point passer la rivi�re. Il
voulait relier directement son ch�teau avec la capitale et
surtout unir, par une large avenue, Neuviller et Roville.
Les corv�ables employ�s � ce nouveau travail purent envier le
sort de leurs camarades des gouffres de Haye. Ils ont d� partir
subitement. Les laboureurs n'ont eu le temps ni de faire ferrer
leurs chevaux, ni de s'approvisionner de fourrage. La plupart
sont contraints d'acheter fort cher, aux environs des ateliers,
la nourriture de leurs b�tes, Heureux encore s'ils peuvent s'en
procurer. Beaucoup de man�uvres meurent eux-m�mes de faim. Par
bonheur, une partie de ces mis�rables est chaque jour nourrie,
par charit�, dans un couvent de l'ordre de Saint-Beno�t, �
Flavigny, o� le prieur, ��homme d'une grande pi�t� et d'un grand
m�rite �, ne cesse de r�p�ter que la nouvelle chauss�e n'est pas
indispensable � la Province, qu'elle n'est appel�e � rendre de
services imm�diats qu'au seul seigneur de Neuviller. Les
religieux affirment qu'un tel spectacle les touche on ne peut
plus.
Ici, explique � M. Collenel, procureur g�n�ral de la Chambre des
comptes de Nancy, un t�moin oculaire, ��les chevaux passent la
nuit � l'injure du temps; plusieurs sont d�j�, dit-on, morts de
fatigue, faute de nourriture convenable; un grand nombre
d'hommes et de femmes couchent sur la terre, d'autres dans des
granges, sur la paille; ce sont ceux qui sont le mieux (77) �.
Le sieur F�lix, lieutenant au bailliage de V�zelise, venu .�
Nancy pendant les vacances de P�ques 1756, d�clare � M. Sirejean,
un des ma�tres de la Chambre, ��qu'il en aurait d�j� co�t� 1,700
# � la seule ville de V�zelise en argent d�livr� pour ladite
chauss�e, et que cette somme ne fait pas la moiti� de ce qu'il
lui en co�tera pour toute sa cote particuli�re � ce sujet �. Emu
de tout ce qu'il entend, de ce qu'il tint aussi � voir par
lui-m�me, le procureur g�n�ral �crit, le 3 mai, � M. de
Beaumont, intendant des finances : �Je vous avoue, Monsieur, en
mon particulier, que cette conduite m'a fait verser des larmes
pour ce pauvre peuple ! ... Est-il possible, Monsieur, que la
France souffrira, non, je ne saurais le croire, qu'un intendant
ach�te des terres dans l'�tendue de son d�partement et que les
communaut�s de l'Etat soient �cras�es et ruin�es uniquement pour
lui procurer la commodit� d'aller � chacune de ces terres �
mesure qu'il en ach�tera ? � Et l'int�gre magistrat r�sumait son
indignation dans ce vers du po�te :
Mantua vae miserae nimium vicina Cremonae (78) !
��Je vous avoue �, contait-il de nouveau � Paris, trois jours
plus tard, ��que je ne puis comprendre comment M. de La
Galaizi�re a os� former, encore plus ex�cuter, un projet aussi
hardi ; il a bien pu penser que personne n'oserait en parler au
roi de Pologne, ou que, si on le faisait, il lui serait facile,
ma�tre comme il l'est de son esprit, de donner � son entreprise
telle tournure qu'il lui plairait; mais l'ex�cuter sous les yeux
des deux provinces, cela me parait bien fort, malgr� les
diff�rentes sortes d'autorit�s r�unies sur sa t�te. ... Quoi
qu'il en soit, sa chauss�e se fait avec une vivacit� et une
diligence incroyables (79). � - ��On pousse les travaux �,
reprenait encore, peu apr�s, M. Collenel, ��avec une vigueur
extraordinaire et bien diff�rente de ce qu'on a vu jusqu'�
pr�sent pour les autres chauss�es, ce qui fait soup�onner que M.
de La Galaizi�re craint que la France n'en soit instruite, et
qu'il veut, au cas qu'elle donnerait des ordres de suspendre,
que la chauss�e soit faite auparavant, de fa�on que lui et sa
post�rit� en profitent .... Ce serait r�duire les communaut�s au
d�sespoir que de ne pas arr�ter un si grand mal (80). �
L'entreprise, en effet, avan�ait avec une rapidit� �tonnante. Le
Chancelier, un moment inquiet, avait bient�t �t� rassur� par le
bienveillant silence de ses chefs, Il verra sa chauss�e se
terminer selon ses d�sirs. C'est une oeuvre consid�rable, qui
demandera trois ann�es et demie. Pendant ce temps, tout d'abord
134, puis 155 communaut�s - parmi lesquelles plusieurs ont �
faire jusqu'� quinze lieues pour arriver aux ateliers - vont
�tre r�pandues entre Flavigny et Bayon. Chaque corv�able y
s�journera jusqu'� 3 et 6 semaines par an.
Ici le voisinage de la Moselle rend le sol mar�cageux; les
corv�ables enfoncent donc des pilotis et �tablissent un pavage
sp�cial. Au moyen d'arches de ma�onnerie, ils favorisent
l'�coulement des eaux tombant des collines voisines. D�s
d�cembre 1756, le registre des Ponts et Chauss�es mentionne
l'ach�vement de quatorze ponceaux d'une arche, ayant 14 pieds de
largeur, et de cinq de 6 pieds, tous en pierre de taille, jet�s
sur la chauss�e de M�nil-Saint-Martin � Roville. En 1757,
dix-sept autres seront n�cessaires; trois encore l'ann�e
suivante; finalement, trois nouveaux aqueducs en 1759 (81). Les
mat�riaux ont �t� amen�s par les travailleurs, qui ont �t� les
chercher, les uns � Bainville-aux-Miroirs, dont ils doivent �
cet effet d�molir le vieux ch�teau, les autres dans les
carri�res d'Ubexy. A un autre endroit, la chauss�e traverse un
bois ; plus loin elle doit entamer une succession de coteaux
rocheux, La mont�e de Richardm�nil, la travers�e de ce village
et de celui de Neuviller n�cessitent des travaux d'art. Il faut
y construire plusieurs grands murs de sout�nement pour maintenir
les terres. Rien que durant la campagne du printemps de 1758,
les habitants de Vigneulles auront � charrier 4,000 voitures de
pierres; en deux ans et demi, beaucoup de laboureurs pourront
inscrire � leur compte personnel 600 � 700 voitures de moellons
ou de sable. ��Tout cela �, r�p�tait en vain M. Collenel, ��tout
cela pour s'exempter de faire une lieue de plus ! Il n'est pas
pardonnable de ruiner ainsi les communaut�s du Roi (82). �
Tout cela, pourtant, n'e�t �t� rien encore, si La Galaizi�re,
s�r de l'impunit�, stimul� m�me par les plaintes de la Lorraine
enti�re, n'e�t pris � t�che de multiplier les vexations. Pour
arriver jusqu'au lieu des travaux, la moiti� environ des
communaut�s requises, celles de la rive droite, avaient �
traverser la Moselle. Elles pouvaient passer cette rivi�re aux
trois bacs de Velle, de Lorey et de Bayon. Jusqu'alors tout
passage de ce genre avait �t� gratuit pour le service des Ponts
et Chauss�es (83). Cette fois aucun ordre ne fut donn� dans ce
sens. Il fallut que les corv�ables payassent � l'aller et au
retour, m�me au bac de Velle qui appartenait au Chancelier, en
tant que seigneur de Neuviller. Le fermier exigea constamment un
sol par personne, 6 sols par voiture. Le syndic de Tonnoy, par
exemple, doit y laisser 11 # pour le passage de sa communaut�.
Les 80 corv�ables de Moyemont versent, � chaque voyage, 2 sols
par t�te au bac de Bayon. Ceux de Clayeures y ont d�pens�,
jusqu'� l'�t� de 1758, plus de 124 #. On vit � ces endroits des
sc�nes pitoyables. ��Il est arriv� que plusieurs laboureurs,
apr�s �tre rest�s aux travaux de la chauss�e pendant quinze
jours, trois et six semaines..., apr�s avoir d�pens� tout ce
qu'ils avaient, pour �viter de repasser le bac, parce qu'ils
n'avaient plus d'argent, ces mis�rables se sont expos�s au
danger de passer la rivi�re, o� plusieurs chevaux sont p�ris
(84). � Un syndic de Roville-aux-Ch�nes se noie en traversant la
Moselle. Celui d'Essey-la-C�te d�clare que ses corv�ables ont
�t� contraints de ��passer l'eau au gu�, faute d'argent ; il y a
eu plusieurs voituriers entra�n�s dans la Moselle avec leurs
chariots et bagages; un homme et une fille ont failli de p�rir
�. Un homme de Br�moncourt se noie de m�me avec quatre chevaux,
en franchissant la rivi�re pour revenir de Neuviller (85).
On voudrait, devant un tel spectacle, h�siter � croire que le
Chancelier e�t uniquement ob�i � un motif d'int�r�t personnel.
Malheureusement un autre fait, plus regrettable pour La
Galaizi�re et qui se rattache intimement .� cette histoire de sa
chauss�e, vient fournir, � lui seul, une preuve accablante du
contraire.
Tandis que le seigneur de Neuviller demandait aux bras des
corv�ables un chemin large et commode pour se rendre � ses
terres, il s'avisa aussi, ne se contentant plus de l'ancienne
r�sidence des princes de Salm, de la faire abattre par ces m�mes
travailleurs et d'�lever, au chef-lieu de son comt�, un ch�teau
plus digne de lui. De 1756 � 1758, 200 communaut�s durent
s'employer en surcroit � cet ouvrage. L'Intendant ne conna�t
plus aucune mesure. Il contraint les populations � d�molir, sans
aucun salaire et dans les conditions les plus p�nibles, les
tours de l'ancien b�timent. en avril 1757, .les corv�ables de
Moyemont ��ont eu ordre par un piqueur de d�blayer le ch�teau,
dont ils ont enlev� plus de 1,500 voitures de d�combres �,
D'autres, tels ceux de Saint-Maurice, sont envoy�s jusqu'au
chantier de Pont-Saint-Vincent, o� ils chargent, en vue de la
reconstruction du ch�teau, les plus belles pierres destin�es au
grand pont. Il s'agit aussi d'embellir les environs de la
nouvelle demeure. On fait dispara�tre l'ancienne terrasse; les
gens de Saffais consacrent, en 1757, huit jours � cette besogne,
et ��les laboureurs, ne pouvant tourner avec des chariots, tant
il y avait de .monde et de confusion, furent oblig�s chacun de
faire faire un tombereau �. Presque tous meurent de faim, ��n
ayant ni pain ni argent �.
Partout, dans la seigneurie, r�gne la m�me activit�. Les
habitants de Mont creusent des fondations; ceux de Tonnoy font
un canal pour conduire les eaux au potager du ch�teau, puis
construisent deux ponts. Les gens de Rozelieures curent les
foss�s. D'autres, les plus m�nag�s, plantent des charmilles ;
d'autres, encore, saignent les terres en y creusant des rigoles.
Ceux-ci �l�vent les murs du parc. La communaut� de Rehainviller
travaille pendant trois ans � la cour d'honneur, ainsi qu'� la
cr�ation d'une avenue autour du ch�teau. Cette avenue part de la
chauss�e et d�crit une courbe �l�gante. Longue de 280 toises,
elle mesure �. certains endroits jusqu'� 80 pieds de large.
Orn�e d'arbres, c'est une belle promenade. Elle est maintenant,
malgr� une colline qui nagu�re s'�levait sur cet emplacement, en
pente tr�s douce ; elle offre la plus agr�able perspective
jusqu'� Cr�v�champs. L'accident de terrain qu'il a fallu vaincre
n'a pas �t� sans utilit�. Pr�cis�ment un ravin profond s�parait
le ch�teau de la maison prieurale et de l'�glise; chose
inadmissible plus longtemps, puisque c'est l'abb� de Mareil qui
est titulaire de ce prieur� et que M. de Mareil est le fr�re de
M. de La Galaizi�re, Les corv�ables transportent donc les terres
du monticule, comblent la vall�e, et un remblai de 30 pieds de
haut sur 45 � 50 de large vient relier les deux r�sidences.
Il ne faudrait point croire, enfin, que la cr�ation de la grande
chauss�e de Neuviller ait en quelque fa�on divis� les terres
appartenant au Commissaire d�parti. A cette �poque,
l'administration des Ponts et Chauss�es, particuli�rement en
Lorraine, avait un v�ritable culte pour la ligne droite. Les
mont�es les plus raides ne lui faisaient point d�vier ses trac�s
(86). Ainsi avait-on fait, malgr� les grands travaux n�cessit�s,
entre Flavigny et M�nil-Saint-Martin. Mais, lorsqu'il approcha
des bans de Neuviller et de Roville, l'ing�nieur abandonna ce
principe ; qu'importent d�s lors les d�tours ! On fait faire �
la chauss�e un coude qui l'allonge de 500 toises. Tout � l'heure
on craignait le voisinage de la Moselle; maintenant on s'en
approche de telle fa�on que les eaux recouvrent la route au
moindre d�bordement. Un corv�able de Magni�res, en train d'y
travailler, est entra�n� dans la rivi�re le 20 juillet 1758.
C'est que l'on est arriv� � de belles pi�ces de terre
appartenant au seigneur de Neuviller, et il faut se garder de
les entamer. La voie passera uniquement sur les h�ritages des
particuliers. 550 jours de champs, de vignes et de jardins
furent ainsi sacrifi�s sous pr�texte d'utilit� publique. On vit
m�me de malheureux corv�ables, punis � la moindre r�sistance,
contraints de d�truire en g�missant leur propre bien. ��Un trait
criant de l'injustice exerc�e lors de la construction de cette
chauss�e �, remarque la Cour souveraine, ��est qu'un particulier
de Flavigny, o� elle commence, qui avait amass�, � la sueur de
son front, le prix de quelques jours de terre situ�s dans cet
endroit, et qui faisaient toute sa fortune, en a �t� d�pouill�
sans avoir �t� indemnis�. �
Devant cette affirmation, nous avions song� � une exag�ration
possible de la part du magistrat. Les papiers de l'Intendance
r�tablissent les faits dans leur stricte exactitude, et cette
v�rit� est d�j� assez �loquente. Lorsque le m�moire de la Cour
souveraine fut dress�, aucun d�dommagement n'avait effectivement
�t� donn� aux habitants d�poss�d�s ; on s'�tait content� de
relever les constructions abattues dans la travers�e des
villages. A l'automne, toutefois, l'entrepreneur Mique versa,
sous la rubrique ��Indemnit� des vignes et vergers compris dans
la nouvelle chauss�e �, une somme de 6,040 # 11 s, 6 d. Cela
seul fut accord� aux propri�taires, en compensation de la perte
de leurs terrains et des dommages consid�rables partout caus�s
aux r�coltes dans les environs des travaux ! Les diff�rents
articles de l'arr�t du Conseil royal des finances, du 25 octobre
1755, �taient, les uns apr�s les autres, odieusement viol�s
(87).
Durant ces trois ann�es, La Galaizi�re tint naturellement �
surveiller souvent en personne l'ex�cution d'ouvrages entrepris
pour sa propre satisfaction. Son arriv�e �tait une cause
d'effroi pour les corv�ables. Il se plaisait � �taler dans les
ateliers une duret� hautaine. L'Intendant apprend que quelques
habitants de Gerb�viller n'ont pu venir ��faute de nourriture �.
Ils sont condamn�s � une amende de 62 #. Plusieurs travailleurs
de Xermam�nil sont absents; l'un deux est aveugle; malgr� cette
grande excuse, l'infirme sera puni d'une amende de 25 #, ��
r�dim�e par le subd�l�gu� de Lun�ville, � force de pri�res, � 20
sols �. Le syndic de Moyemont cite cet autre fait : ��un
particulier, nomm� Jacquart, avait marchand� sa part d'ouvrage
pour 11 #. Le Chancelier �tant sur les lieux: l'a condamn� � 40
# d'amende. Elle a �t� mod�r�e, apr�s avoir pay� 100 # de frais,
� la somme de 10 # �. En mars 1758, l'officier de ville de
Ch�tel, ��qui commandait les man�uvres, ayant repr�sent� a M. de
La Galaizi�re, qui �tait pr�sent � ces ouvrages avec Baligand et
le piqueur Robin, qu'il ne pouvait plus contenir son monde, que
la plupart de ces man�uvres mouraient de faim et qu'il en
nourrissait une partie a ses frais, il fut r�pondu par Robin
qu'il fallait l'ouvrage, qu'il se retir�t ou qu'on l'enverrait
promener � . Pierre Paquotte de Villacourt, travaillant �
l'avenue du ch�teau, est, renvers�, le 1er octobre 1756, par un
�boulement; il a eu ��l'�pine du dos cass� en trois endroits et
le reste du corps incommod�, ce qui le met hors d'�tat de gagner
sa vie et celle de sa grosse famille �, dit na�vement un
m�moire. Paquotte s'adresse au Chancelier qui n'a que faire de
son certificat.
Les agents des Ponts et Chauss�es imitent la mani�re du ma�tre.
Les proc�s-verbaux des communaut�s nous indiquent comme
proverbiale, parmi les corv�ables, la s�v�rit� du piqueur Robin
(88). Les habitants de Barbonville sont indign�s de l'avoir vu ��
frapper le syndic en pr�sence de la communaut� et lui casser une
r�gle sur le corps en le mena�ant de prison �. Ceux de
Rozelieures se plaignent que ��le piqueur a eu la duret� de ne
pas permettre d'aller chercher des vivres, ce qui fait que
plusieurs sont tomb�s malades de fatigue �, Apr�s 28 jours
pass�s � l'atelier, les corv�ables de Roville-aux-Ch�nes
manquent de vivres et de fourrage. Il leur est express�ment
d�fendu de retourner chez eux pour s'approvisionner. Conducteurs
et piqueurs re�oivent maintenant des gratifications
extraordinaires. Le Chancelier veut bien fermer les yeux sur les
petites exactions qu'ils se permettent. Ils sont libres de
compter � leur guise le prix des bornes destin�es � marquer les
portions respectives de la nouvelle chauss�e, confi�es �
l'entretien de chaque communaut�. Ces derni�res doivent en payer
l'achat ainsi que la taille et le transport. Quoique toutes
semblables, ces bornes sont compt�es, suivant les cas, de 7 � 17
# environ. C'est un moment favorable pour les malversations de
tous les employ�s. Les corv�ables sont � leur merci. On accorde
facilement les billets de r�ception d'ouvrage aux syndics des
communaut�s qui font des pr�sents; on en refuse, sans motif, �
ceux qui n'offrent rien. Ils ont d'autres moyens encore de
d�lier les bourses, On n'acceptera point, par exemple, tels
mat�riaux de bonne qualit�; on obligera les paysans � aller en
chercher � des distances fort �loign�es, tandis qu'il s'en
trouve � port�e, et cela jusqu'� ce que les corv�ables aient
compris le sens de telles vexations. Les piqueurs n'ont re�u les
ouvrages des gens de Saffais ��qu'� force de pri�res �. En 1758,
les habitants de Moriville passent 10 jours � paver, puis �
d�paver la m�me chauss�e. Des aventuriers, profitant du trouble
g�n�ral, se disant pr�pos�s par l'administration, pr�sentaient
aux communaut�s de faux ordres de corv�e qu'affol�es elles
s'estiment heureuses de pouvoir r�dimer � prix d'argent (89).
L'ing�nieur, lui aussi, voulut avoir sa part � cette sorte de
cur�e. Baligand est devenu, par la protection de l'Intendant, un
personnage notable en Lorraine. Ing�nieur ordinaire du roi et
commensal de sa maison, cumulant plusieurs fonctions, il est
seigneur de Heillecourt et de Ferri�res. Le 5 janvier 1756,
Stanislas lui a accord� des lettres de noblesse (90). Il est
maintenant log� au compte de la Province, gr�ce � une imposition
annuelle sur les revenus des h�tels de ville. Par lettre du mois
de f�vrier 1757, La Galaizi�re a signifi� aux villes de Lorraine
et Barrois que telle �tait la volont� de Sa Majest� Polonaise.
L'Intendant sait qu'au prix de telles faveurs, il ach�te le
silence et la complicit� de Baligand (91). Du ch�teau de
Heillecourt acquis en juin 1755 (92) et dont il a fait sa
r�sidence pr�f�r�e, l'ing�nieur juge l'occasion bonne pour jouer
le r�le d'un La Galaizi�re au petit pied. On put voir autour de
Heillecourt quelques-unes des sc�nes que nous d�plorions autour
de Neuviller. Trente-deux communaut�s ont �t� appel�es et
doivent travailler par corv�es � former plusieurs chauss�es qui
faciliteront l'acc�s du domaine de Baligand : ��Dans les temps
les plus pr�cieux aux occupations de la campagne, ces chauss�es
ont �t� faites avec autant de promptitude que de solidit�, sans
indemnit� du fond des h�ritages qu'elles ont envelopp�s, des
fruits qu'elles ont en lev�s, ni de ce qu'il en a co�t� aux
communaut�s (93) �.
Bref, depuis l'intendant jusqu'aux simples piqueurs, tous les
agents de l'administration des Ponts et Chauss�es de Lorraine
semblaient s'�tre entendus pour accabler les malheureux Duch�s;
et cela avec d'autant plus de s�curit� que le principal coupable
�tait juge supr�me.
Lorsque, devant l'incurie du gouvernement fran�ais, la Cour
souveraine, apr�s de nouvelles remontrances, dat�es du 27 juin
1758 (94), esp�rant encore quelque justice, r�solut de d�voiler
compl�tement au Contr�leur g�n�ral la conduite de son intendant,
elle s'adressa aux officiers de ville, aux maires et aux syndics
des communaut�s lorraines pour leur demander des renseignements
pr�cis. Toutes les localit�s employ�es depuis deux ans et demi �
la chauss�e de Neuviller r�pondirent � l'appel et, dans le
courant de juillet, envoy�rent des proc�s-verbaux d�taill�s de
leur situation. La Cour s'en servit pour la r�daction de ses
�claircissements du 3 ao�t suivant. La comparaison de ces pi�ces
et du r�sum� qu'en dress�rent les magistrats, nous a prouv� que
le lamentable tableau pr�sent� � Paris �tait encore plein de
mod�ration. Les communaut�s situ�es � quinze lieues � la ronde
de Neuviller, arr�tant leurs comptes, arrivaient � ce r�sultat,
que, pour le seul travail de la chauss�e et du ch�teau, il leur
en avait d�j� co�t�, outre le d�faut de culture des terres, des
sommes variant entre 1,500 et 10,000 #. Je prends au hasard : la
petite commune de Mont y avait sacrifi� 4;000 # ; Moriville,
6,000 # ; Gerb�viller, qui avait d� envoyer 400 corv�ables, plus
de 8,000 #. De 1756 � 1757 inclusivement, la ville de Ch�tel y a
d�pens� 5,720 #. Il en a co�t�, en 1756, � chaque man�uvre de
Saffais, ��au moins un gros �cu �,
Tous ces mis�rables ont �t� employ�s, les uns pendant le temps
des semailles, les autres pendant celui des moissons. En
septembre 1756; les gens de Ch�tel travaillaient � Neuviller
pendant que leurs avoines pourrissaient sur pied. Ceux de
Saffais s'y trouvent, au commencement de 1758, ��pendant les
froids et les neiges qui les ont forc�s de revenir pour
retourner aussit�t, encore le piqueur leur faisait-il
recommencer l'ouvrage... Ils ont souffert si consid�rablement �,
ajoute le syndic; ��qu'ils laissent l'estimation du dommage � la
prudence de la Cour �, A Nossoncourt, ces ouvrages ont caus� la
ruine de plusieurs laboureurs, la d�sertion de plusieurs autres,
sans qu'on sache ce qu'ils sont devenus; deux fermes sont
incultes. Moyemont signale plusieurs bless�s et quantit� de
voitures bris�es, A Gerb�vlller, les laboureurs ruin�s ont
quitt� le village; 30 bestiaux sont morts de fatigue. De m�me �
Moriville, pour la seule ann�e 1757, les cultivateurs ont perdu
�par les fatigues des corv�es plus de cinquante b�tes tirantes
�. Les gens de Vennezey, appel�s par quatre fois en 1756, par
quatre fois encore en 1757 et une fois en 1758, pour d�molir le
ch�teau du Chancelier, constatent que leurs terres sont en
friche, que plusieurs cultivateurs ruin�s ont abandonn� leur
train, qu'outre nombre de chevaux malades, 25 � 30 sont morts.
Les habitants de Xermam�nil, enfin, portant ��leurs plaintes
am�res aux sup�rieurs dont ils implorent la justice �, r�sument
ainsi leurs infortunes : ��Ils ont �t� oblig�s de passer les
eaux o� plusieurs ont failli p�rir. D'autres ont �t� fracass�s
et � demi morts par les chutes des terres. Beaucoup sont r�duits
� la mendicit� et hors d'�tat de supporter les charges publiques
par des ouvrages dangereux, p�nibles, inutiles au public, o� ils
ont re�u des traitements de chien, en quittant leurs int�r�ts. �
Le temps �tait loin o� d'Audiffret, parlant des grandes
entreprises du duc de Lorraine, d�clarait qu'elles avaient �t�
ex�cut�es ��sans que les travaux de la campagne et de la culture
en aient souffert, parce qu'on avait eu la pr�voyance de ne
commander les travailleurs que dans les intervalles de leurs
ouvrages domestiques et champ�tres (95) �.
Apr�s avoir rassembl� tous ces documents, le rapporteur de la
Cour souveraine estimait que les travaux de Neuviller avaient �
eux seuls co�t� � la Province, de l'ann�e 1756 � 1758, plus d'un
million, Il est instructif d'opposer � ce chiffre les sommes
fournies, pour cette m�me entreprise, � l'ing�nieur des Ponts et
Chauss�es.:
En 1756, la d�pense est de 6,788 # 6s. 9d. Mat�riaux, ouvrages
d'art; gratifications accord�es au personnel
En 1757, 8,424 # 10 s 10 d.
En 1758, 1,155 # 1 s 10 d.
et 6,040 # 11 s. 6 d. Indemnit�s aux particuliers (96)
Soit donc un total d'un peu moins de 22,000 # !
La France s'en tirait vraiment � fort bon compte, et l'on peut
�tre en droit de conclure que c'est l� une des principales
raisons pour lesquelles le Gouvernement de Louis XV se montra si
indiff�rent aux protestations de la Lorraine accabl�e.
(A suivre.)
P. BOY�.
(1). D. Calmet (Histoire de Lorraine. 2e �dit., VII, col. xxxiii)
donne par erreur, � plusieurs reprises, la date de 1725.
(2). Cf. Recueil des ordonnances de Lorraine, I, 135 (ord. du
1er f�vrier 1699); id.; 140 (ord, du 12 mars 1699); Il, 86
(lettre de cachet du 25 f�vrier 1716).
(3). Ibid., Ill, 20 (ord. du 29 mars 1724); id., 124 (ord. du 6
septembre 1725); id., p. 221 (ord. du 4 mars 1727).
(4). Dissertation sur les grands chemins de Lorraine. Nancy,
Cusson, 1727, in-4� ; et dans l'Histoire de Lorraine, 2e �dit.,
VII, col. l � XI - Saint-Urbain grava � ce propos plusieurs fort
belles m�dailles, dont l'une, frapp�e en 1726, a �t� d�crite par
son auteur, le P. Marion (Explication du m�daillon frapp� en
l'honneur de Son Altesse Royale au sujet de la construction
nouvelle des ponts et chauss�es dans les duchez de Lorraine et
de Bar, 1726. Nancy, 1726, br. in-4�); une autre, de l'ann�e
suivante, est expliqu�e par D. Calmet (op. cit.) et a �t�
reproduite par S�b. Antoine pour illustrer cette dissertation. -
V. aussi Lepage et Beaupr�, Ferdinand de Saint-Urbain, avec un
catalogue de l'�uvre de cet artiste. Nancy, 1867, in-8�, pp. 104
et sq.
(5). Cf. Baumont, �tudes sur le r�gne de L�opold, duc de
Lorraine et de Bar (1697- 1729). Nancy, 1894, in-8�, pp. 596 et
sq.
(6). L. (Lecreulx), M�moire sur la construction des chemins
publics et les moyens de les ex�cuter, En Frauce (sic), 1782,
in-4�.
On peut se rendre compte du trac� de ces chauss�es, de leur
nombre et m�me du soin apport� � leur entretien de 1725 � 1737,
en consultant les plans colori�s et manuscrits, � grande
�chelle, que nous a laiss�s l'ing�nieur-g�ographe Broutin,
pr�pos� par L�opold au d�partement de la Lorraine allemande -
SeilIe et Bassigny - (manuscrit n� 613-616 de la Biblioth�que de
Nancy; 4 gr. Atlas). - La Biblioth�que de la Soci�t�
d'arch�ologie lorraine poss�de une r�duction de ces plans
(manuscrit nos 21-23, comprenant des feuilles de dimensions
diverses reli�es en 3 volumes in-4� qui, longtemps dispers�s
[cf. n� 3424 du Catalogue raisonn� de No�l], ont �t� de nouveau
r�unis dans ce d�p�t). Cette �uvre, post�rieure de quelques
ann�es � la pr�c�dente, plus soign�e et mise � jour jusqu'� la
fin du r�gime ducal, est de toute beaut�. Elle fut faite
�galement par Broutin, pour �tre offerte � La Galaizi�re � son
arriv�e en Lorraine, ainsi que l'indique la d�dicace - dat�e de
Saint-Di�, 31 mai 1737 - inscrite en t�te du premier volume.
Toutes les localit�s situ�es � un quart de lieue environ de
chaque c�t� des routes figurent sur les uns et les autres de ces
plans. Sur les chauss�es m�mes on distingue les poteaux qui
indiquaient les limites d'entretien. Des tableaux d�taill�s
fournissent, de plus, la longueur de chemin et le nombre des
ponts ou arches � la charge de chaque communaut�.
Au volume n� 1 du manuscrit de la Soci�t� d'arch�ologie lorraine
a �t� ajout�e une carte d'ensemble des Duch�s, copi�e sur celle,
�galement in�dite, des chemins faits en chauss�es des �tats de
Son Altesse Royale [1734], qui ornait un recueil analogue aux
pr�c�dents et faisait partie de la collection No�l (n� 3423 du
Catalogue raisonn�).
(7). Cf. Recueil des ordonnances de lorraine, VI, 88
(8). Les premiers inspecteurs furent les sieurs de Chaix, ancien
directeur g�n�ral, Le Pan, ancien ing�nieur, et Baligand.
(9) Lettres patentes du 18 ao�t. ��M. de La Galaizi�re propose �
M. le contr�leur g�n�ral un nouvel arrangement sur les Ponts et
Chauss�es de Lorraine. � (Journal de Durival, manuscrit n� 863
de la Biblioth�que de Nancy; 9 mars 1750.)
(10). En 1763, ce bureau fut r�tabli � Lun�ville jusqu'� la mort
du roi de Pologne. - Dans l'arrondissement du Barrois, le
sous-ing�nieur r�sidait � Bar; l'inspecteur � Bar ou �
Saint-Mihiel. Pour la Lorraine allemande, le sous-ing�nieur �
Sarreguemines; l'inspecteur � Saint-Avold ou � Faulquemont, Pour
l'arrondissement de Neufch�teau ou du Bassigny, le
sous-ing�nieur � Neufch�teau et l'inspecteur � Mirecourt. Pour
l'arrondissement de la V�ge, l'un et l'autre � Lun�ville. Un
dessinateur en titre �tait de plus attach� au bureau de
l'ing�nieur en chef.
(11). Trudaine de Montigny � l'Intendant de Lorraine, 17 ao�t
1773. (Archives de Meurthe-et-Moselle, C, 122.
(12). Jean-Jacques Baligand, n� � Baives (Hainaut), le 11 mars
1697. Son p�re �tait capitaine de cavalerie au service de
l'Espagne lorsqu'une partie du Hainaut devint province
fran�aise. De ses deux oncles paternels, l'un servait dans les
gardes de l'�lecteur de Bavi�re; le plus jeune, nomm� cornette
au r�giment d'Egmont, par brevet de Louis XIV, suivit le parti
de Philippe V. Baligand fut employ� fort jeune � d'importants
travaux. Il �pousa en 1738 Marie-Catherine D�pret, dont il
laissa six enfants. Mort � Nancy, le 21 d�cembre 1762, il fut
inhum� dans l'�glise Saint-Evre de cette ville. On a de lui : le
projet de dess�chement des marais laonnais, avec devis (1744) ;
celui d'un canal de navigation le long des rivi�res d'Ardon et
de Delette, depuis Laon jusqu'� Manicamp; et l'�tat g�n�ral des
ponts et chauss�es de Lorraine et Barrois, divis� en cinq
arrondissemens [s. l. n. n. ), 1757, in-fol.
(13). La mort tragique de ce sous-ing�nieur fit grand bruit en
Lorraine. Delille fut tu�, dans la nuit du 15 mars 1752, d'un
coup de fusil, par l'un de ses fils qui, accouru au secours
d'une servante, croyait avoir affaire � un voleur.
(14). V. sur lui : Morey, Richard Mique, architecte de Stanislas
et de la reine Marie-Antoinette. Nancy, 1868, br. In-8�.
(Extrait des M�moires de l'Acad�mie de Stanislas.)
(15). Trudaine {Charles-Daniel), 1703-1769, conseiller d'�tat,
directeur des Ponts et Chauss�es et intendant g�n�ral des
finances. C'est en cette derni�re qualit� surtout qu'il eut �
entretenir une correspondance suivie avec l'intendant de
Lorraine et Barrois.
(16). Lettre s, d. (Archives de Meurthe-et-Moselle, C, 122).
(17). Archives nationales, E, 2471.
(18). Lecreulx ou Le Creulx (Fran�ois-Michel), n� � Orl�ans en
1734; mort � Paris en 1812. �l�ve de Perrouet, il avait d'abord
�t� employ� en qualit� d'Ing�nieur ordinaire dans les
g�n�ralit�s d'Orl�ans et de Tours. Il construisit le beau pont
de Frouard sur la Moselle, et, en 1786, le vaste man�ge de
Lun�ville. Il fut nomm� en 1801 inspecteur g�n�ral des Ponts et
Chauss�es, et, en 1809, pr�sident du conseil. On a de cet
excellent ing�nieur : Discours sur le go�t appliqu� aux arts et
particuli�rement � l'architecture. Nancy, 1778, in-8�. - M�moire
sur la construction des chemins publics et les moyens de les
ex�cuter; J. cit. - M�moire sur les avantages de la navigation
des canaux et rivi�res qui traversent les d�partemens de la
Meurthe, des Vosges, de la Meuse et de la Moselle, etc. Nancy,
an III, in-4�- - Description abr�g�e du d�partement de la
Meurthe (en collaboration avec Coster, Willemet et Poupillier}.
Paris, an VII, in-4�. - Recherches sur la formation et
l'existence des ruisseaux, rivi�res et torrens qui circulent sur
le globe terrestre. Paris, 1804, in-4�. - Examen critique de
l'ouvrage de M. Dubuat sur les Principes de l'hydraulique, et
observations sur les hypoth�ses dont il a fait usage. Paris,
1809, in-8�.
(19). V. la Carle itin�raire de la g�n�ralit� de Lorraine et
Barrois, divis�e en sept d�partements, dress�e en 1786 par
Lecreulx. (Archives de Meurthe-et-Moselle, C, 108.)
(20). Pour plus de d�tails sur cette imposition des Ponts et
chauss�es, voyez notre travail: Le Budget de la province de
Lorraine et Barrois sous le r�gne nominal de Stanislas
(1737-1766). Nancy, 1896, in-8�, pp. 14 et sq.
(21). C'est ainsi qu'on leva en France - pour ne prendre que
deux dates extr�mes - en 1737 : 2,957,001 #, et en 1765 :
3,627,216 #, destin�es aux d�penses ordinaires des Ponts et
Chauss�es.
(22). Archives nationales. E, 2471. - V. aussi : Arr�t du
Conseil d'�tat du 1er ao�t 1775 ordonnant une imposition
annuelle de 800,000 # sur les vingt G�n�ralit�s des pays
d'�lections, les pays conquis, les duch�s de Lorraine et de
Barrois, pour les travaux de divers canaux (Archives du
minist�re des Travaux publics [ces archives ne sont pas
inventori�es]); Arr�t du 7 septembre 1778 ordonnant sur les
Duch�s une imposition de 83,039 # 3 d. pour d�penses ordinaires
des Ponts et Chauss�es (Archives nationales, E, 2549); Arr�t du
4 d�cembre 1778 qui ordonne sur les m�mes Duch�s une imposition
de 1,200 # pour indemnit� de logement � l'ing�nieur en chef
(ibid.); etc.
(23). Sur toute cette affaire, voir Registres des d�lib�rations
secr�tes de la Chambre des comptes de Lorraine, t. II.
(Manuscrit n� 106 de la Biblioth�que de Nancy.)
(24). La Biblioth�que de la Soci�t� d'arch�ologie lorraine
poss�de un ��Etat des villes et villages employ�s � l'entretien
annuel des chauss�es ... �, pour l'arrondissement de Nancy et
l'ann�e 1755 (manuscrit non class�). Le nombre de toises dont
chaque communaut� � la charge y est indiqu�. - Les autres
documents de ce genre ont disparu des papiers de l'Intendance.
(25). Archives de Meurthe-et-Moselle. C. 118 � 153; passim. -
Baligand, �tat g�n�ral des ponts et chauss�es de Lorraine et
Barrois..., j. cit. - Recueil des ordonnances de Lorraine, VI,
88. - Etc.
Cf. Recueil des ordonnances de Lorraine, VI, pp. 291 et 343.
(26). Perronet (J.-Rodolphe), 1708-1794, premier ing�nieur des
Ponts et Chauss�es de France, directeur et organisateur de
l'Ecole des Ponts et Chauss�es fond�e par Trudaine (1747), est
surtout c�l�bre par les magnifiques ponts qu'il construisit.
Inspecteur g�n�ral des salines de 1757 � 1786, il fit en cette
qualit� jusqu'en 1770 - �poque o� son coll�gue Querret le
rempla�a dans ses tourn�es - de fr�quents voyages en Lorraine et
il n'y contribua pas peu � la remarquable extension donn�e aux
travaux d'art.
(27). On pourrait objecter ici que plusieurs de ces routes,
surtout celles de la Lorraine allemande, avaient une grande
partie de leur trac� en terre �v�choise et que, par cons�quent,
la charge des Lorrains se trouvait diminu�e d'autant. Mais nous
verrons plus loin (chapitre VI) que, par une mesure arbitraire,
le Gouvernement fran�ais contraignit les habitants des Duch�s �
construire la totalit� de ces chauss�es et m�me, pendant une
certaine p�riode, � aller entretenir les chemins des enclaves
�trang�res,
(28). Ce pont fut termin� � la fin d'octobre 1741. Le pont ��
provisionnel � fut alors d�truit et tout p�age supprim�.
(29). Il �tait d�j� ��hors d'eau � en novembre 1749. Plus de
2,000 pieds d'arbres furent employ�s aux pilotis, grillages et
palplanches.
(30). Lisez Mique.
(31). Manuscrit n� 783 de la Biblioth�que de Nancy.
(32). N� � Nancy le 19 septembre 1714, mort en 1796, Claude
Mique, architecte du roi de Pologne, fut charg� de la
construction de plusieurs b�timents con�us par Richard,
notamment de. la belle caserne Sainte-Catherine de Nancy. Il
publia vers 1778 un grand et un petit Plans des villes,
citadelles, faubourgs et environs de Nancy. Il a laiss�
�galement plusieurs plans manuscrits de cette ville.
(33). ��M. de Machault a �crit, le 21 janvier, � M. de La
Galaizi�re de lui faire conna�tre � quoi on a employ� les fonds
impos�s en 1742, 1743, 1744, 1745 pour les Ponts et Chauss�es ;
de lui envoyer un �tat des d�penses pour 1746 �, consigne
Durival dans son Journal (21 f�vrier 1746).
(34). Lettre � l'Intendant de Lorraine, du 16 mars 1762.
(Archives de Meurthe-et-Moselle, C, 122.)
(35). Lettre de l'ann�e 1766; s. d. (Ibid.)
(36). 24,554 # en 1756 ; 24,183 # en 1757; 23,648 # en 1758;
24,073 # en 1759; etc.
(37). Ann�es 1748, 1749, 1758, 1759, 1762, etc.
(38). Archives de Meurthe-et-Moselle, B, 1765 et sq. ; C, 118. -
Par une exception unique, la d�pense ne fut, en 1744, que de
50,000 #.
(39). Archives de Meurthe-et-Moselle, C, 122. L�opold et son
successeur consacraient la totalit� des 100,000 # aux ouvrages ;
depuis 1737, une partie, comme nous l'avons vu, �tait au
contraire d�pens�e en frais d'administration.
(40). lbid.
(41). On sait que corv�e avait, au XVIIIe si�cle, diverses
acceptions. On entendait par ce mot tant�t un service personnel
et momentan� d� an seigneur (corv�e domaniale, seigneuriale ou
particuli�re - distingu�e elle-m�me en diff�rentes cat�gories :
r�elle, personnelle. etc.); tant�t une contribution gratuite aux
travaux manuels, emploi de bestiaux et de voitures, exig�e pour
la confection des routes (corv�e royale, publique ou des grands
chemins]. C'est dans ce second sens - bien sp�cial - que nous
emploierons exclusivement ici le terme corv�e ou corv�es.
(42). Voir l'ordonnance du 29 mars 1724 dans le Recueil des
ordonnances de Lorraine, III, 20.
(43). Op. cit., I, 40.
(44). L'expression corv�e n'y est toutefois pas employ�e. Ce mot
ne d�signait encore dans les Duch�s que des charges de nature
seigneuriale. Ainsi, dans l'ordonnance du 29 mars 1724:, le Duc
d�clare pr�cis�ment les sujets employ�s aux travaux des Ponts et
Chauss�es exempts ��des cinq jours de corv�e auxquels ils sont
attenus tous les ans, par l'ordonnance du 6 mai 1717 �. C'est
donc par erreur que Mgr Mathieu, dans son beau livre L'ancien
r�gime dans la province de lorraine et Barrois, p. 202, �crit
que L�opold ��r�ussit � faire pr�s de quatre cents lieues de
route, en imposant aux communaut�s cinq jours de travaux par an
�.
Corv�e se rencontre pour la premi�re fois employ� officiellement
en Lorraine avec le sens qui nous occupe, dans l'arr�t du
Conseil royal des finances du 26 octobre 1755, qui parle de ��
pr�pos�s aux travaux par corv�es �.
(45). Le Gouvernement fran�ais, se gardant de rappeler ces
souvenirs, voulait plut�t montrer dans la l�gislation locale des
pr�c�dents � ses innovations.
(46). Cf. Vignon, �tudes historiques sur l'administration des
voies publiques en France aux dix-septi�me et dix-huiti�me
si�cles. Paris, 1862, .3 vol, in-8�. - Hyenne, De la Corv�e en
France et en particulier en Franche-Comt�. Paris, 1863, in-8�.
(47). Une Instruction sur la r�paration des chemins, du 13 juin
1758, vint confirmer les r�gles pos�es dans le M�moire sur la
conduite du travail par corv�es,
(48). Lettre du 8 janvier 1746. - Minutes de lettres concernant
les Ponts et Chauss�es [1740-1746]. (Manuscrit n� 696 de la
Biblioth�que de Nancy.)
(49). Archives de Meurthe-et-Moselle, B, 11 ,476.
(50). Instruction pour les communaut�s de Lorraine et Barrois au
sujet de l'ex�cution de l'arr�t rendu au Conseil royal des
finances et commerce, le 7 d�cembre 1737, touchant les Ponts et
Chauss�es. Du 19 septembre 1739. Sign�: La Galaizi�re. S. l.,
in-4� de 13 pp. - Arr�ts, ordonnances et r�glemens concernant
les chemins, ponts et chauss�es de Lorraine et Barrois. Nancy,
1748, in-4� de 26 pp.
(51). Lettre du 2 avril 1740. (Archives du minist�re des
Affaires �trang�res, Lorraine, vol. n� 138, fol. 134.)
(52). C'est ainsi que l'Intendant �crivait, vers la fin de juin
1740, � ses subd�l�gu�s : ��Le mauvais �tal des communaut�s,
caus� par le grand froid et la dur�e de l'hiver dernier, m'a
d�termin� � les dispenser de travailler par corv�e, ce
printemps, aux ouvrages de nouvelle construction des Ponts et
Chauss�es, et j'ai remis � l'automne � leur faire achever les
portions qui leur ont ci-devant �t� distribu�es par les
inspecteurs. � (Archives de Meurthe-et-Moselle, C, 433.)
(53). Le carrosse m�me du duc L�opold y fut une fois attaqu�.
(54). On avait construit alors ��� l'endroit de la premi�re c�te
� un aqueduc de ma�onnerie sur lequel fut �tablie la chauss�e;
plus loin, ��� rendrait de la seconde c�te �, la route de Nancy
� Toul fut �largie et aplanie. L'ouvrage, fait par adjudication,
fut compl�tement termin� � la fin de 1707. La d�pensa s'�leva
exactement � 31,833 # 17 s. 6 d. C'est � la suite de ces travaux
que les Fonds-de-Toul avalent �t� appel�s plus volontiers : le
Pont-de-Toul. (Archives de Meurthe-et-Moselle, B, 1585). ��Le
Pont que Son Altesse Royale b�tit dans les bois de Haye,
joignant deux montagnes �loign�es, entre lesquelles �tait un
pr�cipice affreux, autrefois le d�sespoir des rouliers et la
terreur des passans, fut �, dit le P. Marion (op. cit.), ��avec
les magnifiques lev�es de Nancy � Lun�ville, comme le coup d'essay
de cette vaste entreprise de la r�paration des routes et de la
construction des Ponts. � - D�s 1705, Saint-Urbain frappait,
pour perp�tuer le souvenir de ces travaux, une de ses plus
belles m�dailles, appel�e commun�ment le Grand Hercule. Voir
Explication d'une m�daille frapp�e en Lorraine � l'honneur de
Son Altesse Royale L�opold Ier, au sujet du chemin royal de
Nancy � Toul, que ce Prince ��fait r�parer avec une magnificence
digne d'�tre consacr�e par des monuments �ternels. (Nancy),
Gaydon (1705), 4 pp. in-4�.
(55). Ce Fond est aussi indiqu� souvent comme le second, en
raison de sa plus grande distance de Toul. On disait de m�me
indiff�remment pour d�signer la lev�e qui y fut construite : le
premier ou le second Pont. Le peuple l'appelait plus
sp�cialement l'.Aqueduc. - Nous compterons les Ponts dans
l'ordre suivant lequel on les rencontre en allant de Nancy �
Toul.
(56). Cf. Durival, Journal, 6 septembre 1746; et Description de
la Lorraine et du Barrois, I, 192.
(57). ��Le grand fond des bois de Haye a �t� commenc� pour le
comblement d�s l'ann�e derni�re. C'est un grand ouvrage et de
longue haleine. � (Journal de Durival, 14 novembre 1749.) - 1
�On trace la nouvelle chauss�e pour arriver directement � Nancy
en venant de Toul. � (Ibid., 23 mars 1753.)
(58). Archives de Meurthe-et-Moselle, C, 433.
(59). Archives de Meurthe-et-Moselle, C, 118 et sq. Tous les
d�tails qui suivent et qui concernent les corv�ables des bois de
Haye, sont de m�me tir�s des papiers de l'Intendance.
(60). M�moire de la Chambre des comptes de Lorraine au sujet des
impositions publiques; juillet 1755. (Manuscrit n� 106 de la
Biblioth�que de Nancy, t. III.)
(61). Voir Eclaircissemens sur les remontrances de la Cour
souveraine de Lorraine et Barrois du 14 d�cembre 1757; 4 f�vrier
1758, in-4� de 18 pp.; et M�moire servant d'�claircissemens et
de suppl�ment aux remontrances de la Cour souveraine du 27 juin
1758; 3 ao�t 1758, in-4� de 96 pp.
(62). Aucune habitation ne s'�levait en cet endroit mal fam�,
avant les premi�res ann�es du XVIIIe si�cle. Lorsque, sous
L�opold, un aubergiste plus hardi avait sollicit� l'autorisation
de s'y �tablir, il avait re�u du conseiller secr�taire d'�tat
Renauld cette r�ponse peu rassurante : ��qu'il �tait bien os� de
vouloir s'installer en un lieu o� l'on avait trouv� plus de 27
corps tant morts que tu�s �. La maison que cet individu b�tit
sur la droite de la route, � la sortie du premier Fond,
s'appela, du nom de son propri�taire, la Maison Gu�rin. Elle est
ainsi d�sign�e sur les plans de l'�poque.
Lors des grands travaux des Ponts de Toul, deux, puis trois
autres auberges furent ouvertes sur la gauche, en face de la
Maison Gu�rin. Les corv�ables les appel�rent par analogie avec
les constructions l�g�res �lev�es par l'administration des Ponts
et Chauss�es : les Baraques.
Cette petite agglom�ration subsiste encore aujourd'hui. Elle a
conserv� d'ailleurs son ancien nom. Les Baraques ou
Baraques-de-Toul forment un hameau d�pendant de Laxou et de
Champigneulles,
(63). Lettre de M. Hanus, 22 octobre 1748. (Archives de
Meurthe-et-Moselle, C. 307.)
(64). La toise de France valait 1m,949.
(65). Dissertation sur les ponts ou lev�es des bois de Haye en
1765. (Manuscrit n� 24 de la Biblioth�que de Nancy.) Ce petit
volume contient, outre des coupes, profils et figures
g�om�triques, de tr�s curieux dessins repr�sentant le
commencement de la lev�e du c�t� de Nancy, avec tous les d�tails
du travail ; un des ponts termin� et un projet d'ob�lisque, avec
inscriptions, � dresser entre les deux ponts. - Sous le m�me
num�ro ont �t� r�unis trois plans topographiques de cette
portion de la chauss�e (XVIIIe si�cle).
(66). Livre I, ode 28.
(67). Cf. Journal de Durival, 12 octobre 1750.
(68). C'�tait fort probablement, autant qu'on puisse en juger
par le contexte de son manuscrit, un carme du couvent de Nancy.
(69). ��Ne prendriez-vous pas ces ponts �, dit-il encore, ��pour
des ouvrages des Romains ? L'entreprise de ces ouvrages
n'aurait-elle pas �pouvant� ces maitres du monde ? �
(Dissertation sur les ponts ou lev�es des bois de Haye en 1765,
j. cit.)
(70). Histoire de Lorraine, VII, 244.
(71). Archives de Meurthe-et-Moselle, C, 118.
(72). Journal de Durival, octobre 1740 et mars 1751. - En
janvier 1757, plusieurs ponts furent �galement d�truits dans le
Barrois par le d�bordement des cours d'eau.
(73). Cf. Tr�s humbles et tr�s respectueuses remontrances que
pr�sentent au Roy..., 15 mai 1756. In-4� de 58 pp.
(74). Remontrances du 15 mai 1756, j. cit.
(75). Neuviller-sur-Moselle, bailliage de V�zelise. -
Aujourd'hui arrondissement de Nancy, canton d'Harou�.
(76). Archives de Meurthe-et-Moselle, B, 254.
(77). Archives nationales, K, 1190.
(78). Correspondance secr�te de M. de Beaumont avec M. Collenel
; lettre du 3 mai 1756. (Ibid.)
(79). Lettre du 6 mai 1756. (Ibid.)
(80). M�moire sur la chauss�e appel�e: ��Chauss�e de Neuviller
�. (Ibid.)
(81). Archives de Meurthe-et-Moselle, C, 118.
La Cour souveraine ne saurait �tre tax�e d'exag�ration dans ses
remontrances ; elle reste au-dessous des chiffres fournis par
les papiers m�mes de l'intendance. Nous en avons ici un exemple;
elle dit simplement en effet dans son M�moire servant d'eclaircissemens...,
du 3 aout 1758, qu'il a ��fallu construire dix-sept � dix-huit
ponts, tous en pierre de taille, outre sept autres ouvertures
vo�t�es �.
(82). Archives nationales, K, 1190.
(83). Arr�t du Conseil royal des finances du 25 octobre 1755,
article IV. Cf. Recueil des ordonnances de Lorraine, IX, 225.
(84). M�moire servant d'�claircissemens..., j. cit,
(85). Pour ces d�tails et ceux qui suivent, voyez : Archives
nationales, K, 1190. - Proc�s-verbaux des officiers de ville,
maires et syndics, juillet 1758. (Manuscrit n� 58 de la
Biblioth�que de la Soci�t� d'arch�ologie lorraine.) - Archives
de Meurthe-et-Moselle, C, 118 et sq. - M�moire servant d'�claircissemens...,
j. cit.
(86). Cf. Durival, Description de la lorraine et du Barrois, I,
351.
(87). Cf. Recueil des ordonnances de Lorraine, IX, 225.
(88). Ce Robin devint inspecteur de l'arrondissement de la.
Lorraine allemande.
(89). Ces supercheries �taient fr�quentes. En d'autres temps, le
Chancelier les avait s�v�rement r�prim�es. - Voir entre autres :
��Jugement en dernier ressort rendus sur faits concernant les
Ponts et Chauss�es, les 6 mars, 4 avril et 22 mai 1754 �, dans
le Recueil des ordonnances de Lorraine, IX, 128.
(90). Les Baligand port�rent : ��D'azur � un lis au naturel
terrass� de sinople ; et pour cimier le lis da l'�cu issant d'un
armet morn�. �
(91). Voici, par exemple, ce qu'en 1757, dans sa publication
officielle : �tat g�n�ral des ponts et chauss�es de Lorraine et
Barrois, l'ing�nieur dit de la chauss�e de Neuviller, alors en
construction : ��Nouvelle route de communication de Flavigny �
Roville devant Bayon. - Il y a une petite chauss�e de
communication prenant sur la pr�c�dente, au village de Flavigny,
� 6,920 toises de la ville de Nancy, pour joindre colle de Bayon
� Mirecourt, au village de Roville, passant par
M�nil-Saint-Martin, Cr�v�champs et Neuviller-sur-Moselle,
laquelle contient la quantit� de 7,396 toises de longueur sur 24
pieds de largeur entre les foss�s et 6 pieds de chaque c�t�. Il
y a dix-neuf ponceaux de ma�onnerie dans cette petite route. �
On sent dans ce r�sum� des travaux le plus grand souci
d'att�nuation.
(92). Baligand avait achet� la terre et seigneurie de
Heillecourt aux h�ritiers de Maximilien de Lord de Saint-Victor.
Richard Mique, son successeur, les reprit � sa veuve en
septembre 1772. (Archives de Meurthe-et-Moselle, E, ss.)
(93). M�moire servant d'�claircissemens... j. cit.
(94). Tr�s humbles et tr�s respectueuses remontrances que
pr�sentent au Roy ..., etc. ; in-4� de 31 pp.
(95). M�moire sur le duch� de Lorraine [vers 1732], par d'Audiffret,
cy-devant envoy� extraordinaire du Roy � la Cour de Lorraine.
(Manuscrit n� 133 de la Biblioth�que de Nancy, fol. 286.)
(96). Archives de Meurthe-et-Moselle, C, 118.
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