NOTRE-DAME DE LA
D�LIVRANCE
A LA GRANDE-HAYE (Nonhigny)
Pour aller invoquer Notre-Dame de
la D�livrance, il faut p�n�trer dans une contr�e plus �pre,
couverte de monticules broussailleux, qui pr�ludent � la V�ge
abrupte et bois�e. Les fourr�s, qui foisonnent, ont pris le nom
de Hayes, auxquels se sont ajout�s des qualificatifs vari�s,
pour les distinguer entre eux. Ici, c'�tait la bonne ou la
grande Haye ; l'usage n'a gard� que la derni�re appellation. Par
sa position, la grande Haye pourrait aussi bien se rattacher �
Harbouey, � Montreux, � Parux ou � Petitmont, mais, en r�alit�,
elle est plus proche de. Nonhigny et fait partie de son ban.
Cet �cart solitaire a son histoire, qu'il faut rappeler. Le duc
de Lorraine, Henri II, en f�t un fief (1616) qu'il donna au
Sieur de Caboat, gentilhomme de sa cour, dont il voulait
r�compenser les services. Il lui accorda en m�me temps, le fief
pareil de Grandseille. Ces deux portions, taill�es dans les
domaines l�gu�s � la famille ducale par les derniers comtes de
Bl�mont, eurent qualit� de seigneuries franches, avec tous les
droits en usage. La Grande Haye comprenait environ cent jours de
terre, presque tous plant�s en bois. Durant plus d'un si�cle, le
fief n'eut point d'habitants, ses ma�tres se contentaient d'en
tirer de maigres revenus.
En 1632, le Sieur de Caboat l'avait d�j� revendu au Sieur du
Bourg, qui l'abandonna lors des malheurs de la Lorraine, en
1636. R�incorpor� au domaine ducal, le fief �chut enfin. vers
1690, � la famille Doridant, qui le garda jusqu'� la R�volution.
Plusieurs membres de cette famille se signal�rent dans des
charges honorifiques � Bruy�res, � Rambervillers et � Nancy. Le
XVIIIe si�cle fut le beau temps du modeste domaine. Ses ma�tres
l'am�nag�rent d'abord pour y r�sider l'�t�, puis pour y fixer
leur demeure. Vers 1750, Marguerite-Jeanne Doridant, derni�re
fille de la famille, l'avait re�u en dot et l'avait apport� �
son mari, Louis Le Febvre, Seigneur de Lesquevins et de
Bouzanville. Leur pi�t� les engagea � construire une chapelle
qui f�t � l'usage de leurs familiers. D'anciens titres
mentionnent qu'ils donn�rent un pr� � la cure de Montreux pour
assurer � la Grande Haye la c�l�bration de la messe dominicale.
L'�difice fut plac� sous le vocable de Notre-Dame de la
D�livrance,
Pourquoi ce nom? Comment s'�tablit la coutume d'y venir en
p�lerinage ? autant de questions obscures, faute de documents.
Nous ferons cependant les remarques suivantes, capables de les
�clairer d'un certain jour.
Parmi les faveurs que les p�lerins viennent solliciter dans cc
modeste sanctuaire, les principales ont pour objet l'heureuse
d�livrance des femmes qui vont �tre m�res. On peut voir l� le
sens du titre choisi pour la chapelle. Il pourrait cependant y
avoir d'autres explications, car les Bollandistes qui citent,
pour la France, une douzaine de vocables pareils, indiquent
d'autres sortes de d�livrances corporelles ou spirituelles,
Ajoutons qu'on remarquait � c�t� de la statue de la Vierge, deux
tableaux assez na�fs, repr�sentant Saint Christophe, et Sainte
Apolline. Saint Christophe �tait invoqu� l�, comme � Baccarat,
pour la gu�rison des convulsions infantiles; Sainte Apolline
�tait appel�e pour le soulagement des maux d'yeux et de dents,
N'est-ce pas l� tout le cycle des maladies qui causent aux
coeurs des m�res de si graves pr�occupations ? Aussi la d�votion
qui conduisait � la Grande Haye avait un caract�re de discr�tion
singuli�re ; les visites s'y faisaient sans bruit, isol�ment, au
hasard des n�cessit�s, Cependant la pri�re obtenait souvent le
r�confort demand�, puisque la tradition ne s'en perdait pas et
restait vivace, malgr� le temps qui d�truit tout.
Et si l'on cherchait sous quelle impulsion se sont d�velopp�es
ces pratiques. on pourrait peut-�tre reconnaitre l'influence
des cur�s anciens. Car, le fait est frappant, les gr�ces
demand�es � la Grande Haye, ressemblent � celles qu'on va
solliciter pr�s des reliques de Sainte Richarde � l'abbaye d'Etival.
Or, la paroisse de Montreux et Nonhigny fut donn�e � l'abbaye d'Etival
par Sainte Richarde elle-m�me, en 880, et elle eut pour cur�s,
jusqu'� la R�volution. des Pr�montr�s envoy�s par cette abbaye,
On sait, d'autre part, que l'ermitage de La Maix, pr�s de
Vexaincourt, fut r�uni pendant quelque temps � la cure de
Montreux et, que le p�lerinage tr�s ancien qui se faisait au lac
de La Maix, fut interdit vers 1750, en raison des abus qui s'y
�taient gliss�s. Peut-�tre y a-t-il corr�lation entre tous ces
faits.
Toujours est-il que pendant 57 ans, de 1731 � 1788. la paroisse
de Montreux eut pour cur� Charles Cordier, religieux v�n�rable,
dont le minist�re fut fructueux et � qui revint une bonne part
dans r�tablissement du culte rendu � Notre-Dame de la
D�livrance. Son successeur. Nicolas Barbiche, suivit la m�me
voie. Sa conduite fut des plus dignes pendant la R�volution; il
refusa �nergiquement le serment constitutionnel et il dut
�migrer. A son retour de l'exil, il ne put reprendre ses
fonctions � Montreux, qui �tait tomb� au rang d'annexe, mais il
accepta la cure d'Azoudange o� il mourut,
Les efforts de ces deux cur�s pour propager le culte de
Notre-Dame de la D�livrance, s'accordaient pleinement avec. les
intentions des propri�taires de la Grande Haye. Les �poux Le
Febvre moururent, en laissant une fille qui �pousa, vers 1780,
Jean Desbournot, de Nancy. Ce dernier est cit� parmi les membres
de la noblesse qui devaient assister � la r�union pr�paratoire
du bailliage de Bl�mont en 1789. Il est nomm� comme propri�taire
du fief de la Grande Haye, mais ne se pr�senta pas. On ignore
s'il fut d�pouill� de son bien par les lois ou s'il le vendit de
plein gr�. Vers 1800, le possesseur de la Grande Haye fut
Christophe Batelot, de Bl�mont, qui l'a transmise � ses
descendants.
Disons-le, les nouveaux ma�tres furent aussi pieux que les
anciens. Ils se firent une joie de rendre la chapelle accessible
aux p�lerins et d'y continuer les c�r�monies traditionnelles.
Car la d�votion � Notre-Dame de la D�livrance n'avait fait que
sommeiller pendant les mauvais jours de la R�volution et les
populations l'avaient reprise aussit�t apr�s. Batelot r�pondait
� de nombreux d�sirs en adressant, d�s 1803. une demande
d'ouverture pour sa chapelle, mais Mgr d'Osmond refusa en
all�guant les termes du Concordat, d�fendant de rendre au culte
les chapelles qui n'�taient pas paroissiales. Un peu plus tard,
vers 1810, nous voyons de nouvelles instances, qui montrent
l'empressement de la contr�e � remettre en honneur le culte de
la Madone v�n�r�e. L'Ev�ch�, cette fois, accorda la permission
d'y c�l�brer la messe aux lundis de P�ques et de Pentec�te, �� �
cause de l'affluence des p�lerins �.
Le mouvement du p�lerinage ne cessa plus. Nous ne dirons pas
qu'il remua les foules, mais il �tendit sur les environs son
attrait silencieux. Il est possible qu' � certaine �poque, la
faible assistance ait fait interrompre la c�l�bration de la
messe aux deux jours fix�s. Du moins, la bienveillance de M.
Batelot ne fit jamais d�faut, non plus que celle de ses
descendants. M. Mathis de Grandseille et Madame, n�e Batelot, M.
d'Hausen et Madame, n�e Mathis.
Lorsque ces derniers entr�rent en jouissance de leur h�ritage,
ils n'eurent rien de plus press� que de reprend re les
traditions anciennes. En 1880, ils donn�rent une toilette neuve
au modeste sanctuaire, obtinrent une nouvelle permission de
l'�v�ch� et s'arrang�rent avec les cur�s de Nonhigny pour que la
messe fut c�l�br�e les lundis de P�ques et de Pentec�te;
eux-m�mes vinrent habituellement faire aux visiteurs les
honneurs de leur propri�t�. C'�tait, pouvait-on dire, les
grandes assises de la d�votion � Notre-Dame de la D�livrance,
tandis que les audiences ordinaires continuaient toute l'ann�e,
au hasard des angoisses et des besoins toujours nombreux.
Les choses suivaient ainsi leur cours paisible et modeste, quand
�clata la guerre de 1914. Toute la contr�e fut cruellement
�prouv�e. Nonhigny Iut saccag� et br�l�. La Grande Haye, peu
distante du front, fut occup�e par les troupes allemandes
jusqu'� la fin des hostilit�s : c'est dire le pitoyable �tat o�
la retrouva son propri�taire. Avec M. d'Hausen nous d�plorons
que la chapelle ne soit plus qu'un amas de d�combres et qu'il ne
reste aucune trace de la statue v�n�r�e. C'est donc un nouveau
temps d'arr�t pour le p�lerinage.
Mais les d�votions, qui ont leur raison d'�tre, ne meurent pas.
Aujourd'hui comme hier, les chr�tiens ont besoin de la
protection de Notre-Dame de la D�livrance. Nous voulons esp�rer
qu'une nouvelle image de la vierge secourable tiendra la place
de l'ancienne et que la Madone v�n�r�e reprendra le cours de ses
r�ceptions dans la chapelle de la Grande Haye, plus que jamais
fief de bon renom.
�PILOGUE
Les lecteurs, qui ont bien voulu nous suivre jusqu'ici, auront
peut-�tre pris int�r�t aux: d�tails pittoresques et historiques
expos�s dans ces pages. mais des esprits positifs nous
demanderont si les p�lerinages sont encore de saison et s'il ne
suffit pas de faire sa pri�re dans l'intimit� de sa maison ou
dans le calme de son �glise. Nous voudrions, avant de finir,
dissiper ces doutes et rassurer ces h�sitations.
D'abord, les p�lerinages font partie du culte public et ils ont
les m�mes raisons d'�tre que lui; ils ont toujours �t� en
honneur dans l'Eglise et ils garderont toujours son approbation.
De plus, ils augmentent le m�rite de la pri�re, en y ajoutant le
prix des sacrifices et des fatigues qu'ils imposent et le
b�n�fice de l'�dification qu'ils r�pandent. Enfin, ils
s'appuient sur ce fait d'exp�rience que Dieu ne se laisse pas
vaincre en g�n�rosit� et qu'il r�compense magnifiquement les
plus humbles d�marches, inspir�es par la foi de ses enfants en
sa bont� infinie.
D'ailleurs, les r�sultats des p�lerinages ne sont-ils pas
�minemment bienfaisants ? On nous accordera que la m�me
observation s'impose pour les petits p�lerinages comme pour les
grands : le public ne conna�t que les prodiges les plus
�clatants, comme les gu�risons merveilleuses ou les conversions
inesp�r�es. Ces faveurs sont en nombre restreint, puisque Dieu
ne prodigue pas le miracle qui est une d�rogation aux lois
naturelles. Mais, � c�t� des faits extraordinaires, qui donc a
pu compter les faveurs ordinaires qui r�confortent, consolent ou
encouragent ? Elles restent le secret des coeurs et des familles;
or, on peut les croire innombrables. Qu'on interroge les
p�lerins sur les motifs de leurs d�marches. Beaucoup r�pondront
qu'ils viennent en action de gr�ces pour un bienfait obtenu:
d'autres d�clareront qu'ils ont observ� autour d'eux des succ�s
pareils � ceux qu'ils demandent et que c'est un des motifs de
leur grande confiance.
Les chr�tiens n'ont donc qu'� continuer les pratiques de leurs
anc�tres, en vue d'obtenir les protections et les secours dont
ils ont toujours besoin. Ils sont irr�prochables, s'ils se
conforment aux sages directions de l'Eglise. Ils sont dans la
bonne voie, si, � leur pri�re, ils joignent le travail et
l'effort, mettant en pratique le proverbe: �� Aide-toi et le Ciel
t'aidera. � Ils se rendent dignes des b�n�dictions c�lestes,
s'ils acceptent d'avance la volont� divine et s'ils cherchent le
r�gne de Dieu avant les biens de ce monde.
Les modestes sanctuaires, dont nous avons esquiss� l'histoire,
n'ont pas le prestige des superbes basiliques. Ils ont n�anmoins
leur attrait: le charme des petits oratoires qui dilatent l'�me
et mettent le coeur � l'aise; la douceur du foyer o� l'on sent la
protection maternelle. On dit qu'une chapelle d�di�e � :Marie
est un tr�sor pour le pays qui la poss�de. Puisse le Bl�montois
conna�tre toujours le chemin des cinq chapelles dont l'a enrichi
la pi�t� des a�eux et y trouver, � toute heure de la vie, les
consolations, le courage et l'esp�rance qui aident � la
prosp�rit� des peuples !
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