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Des enfants à Goma, dans l'est de la République démocratique du Congo.

Évasions de prison en RDC : des victimes cohabitent avec leurs « bourreaux »

Nations Unies
Des enfants à Goma, dans l'est de la République démocratique du Congo.

Évasions de prison en RDC : des victimes cohabitent avec leurs « bourreaux »

Paix et sécurité

Alors que les rebelles du M23 poursuivent leur avancée dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), après s’être emparés des capitales du Nord- et du Sud-Kivu, un haut responsable de l’ONU dans le pays s’est dit préoccupé par des évasions massives de détenus dans les deux provinces. 

Parmi les évadés risquent de se trouver « certains seigneurs de guerre, certaines personnes très dangereuses pour la société congolaise, mais aussi qui se sont retrouvées en prison pour des atrocités qu’elles ont commises, notamment en raison de viols et de violences basées sur le genre », a déclaré mercredi soir le Directeur du Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’Homme (BCNUDH), Patrice Vahard, dans un entretien accordé à ONU Info.

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Alors que le M23, soutenu par l’armée rwandaise, a pris le contrôle fin janvier de Goma, la capitale du Nord-Kivu, puis moins de trois semaines plus tard, de Bukavu, la capitale de la province voisine du Sud-Kivu, les destructions de prisons causées par l’offensive ont conduit à l'évasion de nombreux prisonnier des établissements pénitentiaires centraux dans les deux métropoles, mais également dans la ville de Kabare, au Sud-Kivu. 

Selon M. Vahard, ces évasions contraignent les victimes à cohabiter avec leurs bourreaux, qui vivent désormais en « villégiature ».

Les anciens détenus font également peser une menace sur les juges qui les ont condamnés et les avocats qui ont plaidé la cause des femmes victimes de violences sexuelles.

Le Directeur du Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’Homme (BCNUDH) en RDC, Patrice Vahard (à droite), en visite dans la prison centrale de Bunia, en Ituri.
UNJHRO DRC
Le Directeur du Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’Homme (BCNUDH) en RDC, Patrice Vahard (à droite), en visite dans la prison centrale de Bunia, en Ituri.

Des magistrats et avocats vivent cachés

« Les conséquences seront immenses, d’abord pour l’État de droit, mais en particulier pour ces femmes qui ont cru en la justice parce qu’elles avaient été réhabilitées, mais qui malheureusement aujourd’hui risquent de faire face à certains de leurs bourreaux », a déploré M. Vahard.

Selon le Directeur du BCNUDH, certains magistrats et avocats sont désormais contraints de vivre cachés. 

« Lorsque les avocats sont pourchassés pour avoir défendu un client, lorsque les juges parce qu’ils ont dit le droit, sont obligés d’être réduits à la cachette ou bien que les membres de leurs familles soient intimidés, il faut que tout le monde conjugue les efforts pour préserver l’Etat de droit en RDC », a-t-il déclaré.

Le Directeur du Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’Homme (BCNUDH) en RDC, Patrice Vahard (au centre), en visite à Beni, dans le Nord-Kivu.
UNJHRO DRC
Le Directeur du Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’Homme (BCNUDH) en RDC, Patrice Vahard (au centre), en visite à Beni, dans le Nord-Kivu.

Lors d’une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU, mercredi, la cheffe de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO), Bintou Keita, a indiqué que le BCNUDH recevait quotidiennement des appels de la part de défenseurs des droits humains en demande de protection. 

« Ces derniers se trouvent souvent confrontés à des menaces et à des risques de représailles du M23 dans les zones sous son contrôle », a souligné Mme Keïta.

Bukavu, symbole des survivantes de viols

Pour M. Vahard, la guerre dans l’est du pays ne doit pas mettre « l’Etat de droit et la lutte contre l’impunité entre guillemets ». 

« Je crois qu'il est très important que chacun pèse l’ampleur de la responsabilité qu’il fait vivre à la société congolaise aujourd’hui », a-t-il insisté.

Les équipes des droits de l’homme de la MONUSCO s’inquiètent notamment de ce que les femmes victimes de viols puissent désormais être privées de soins, notamment à Bukavu, lieu symbolique en raison de la présence dans la ville de l’hôpital de Panzi du Dr Denis Mukwege.

Initialement conçu pour permettre aux femmes d’accoucher dans de bonnes conditions, cet établissement que gère le prix Nobel de la paix est rapidement devenu une clinique pour les survivantes de viols et autres violences sexuelles, à mesure que la région du Kivu a sombré dans l’horreur durant la deuxième guerre du Congo (1998-2003).

« La prise de Bukavu signifie aussi l’arrêt des appuis dont les femmes ont toujours bénéficié », a déploré M. Vahard.

« C’est une remise en question de plusieurs années d’investissement », a-t-il ajouté.

Un climat d’impunité

Le Dr Denis Mukwege s'adresse au Conseil de sécurité des Nations Unies sur les violences sexuelles dans les conflits, 23 avril 2019.
Photo ONU/Evan Schneider
Le Dr Denis Mukwege s'adresse au Conseil de sécurité des Nations Unies sur les violences sexuelles dans les conflits, 23 avril 2019.

Plus largement, le BCNUDH constate à Bukavu les mêmes tendances qu’à Goma, à savoir des allégations de violences de genre. 

Il y a également eu « plusieurs cas de tueries, d’exécutions extrajudiciaires, d’exécutions sommaires dont les enfants étaient victimes », a ajouté  M. Vahard.

« Quand on voit les enfants de Bukavu, les enfants de Goma prendre le chemin qu'ils n’ont jamais connu, ça rappelle ce que leurs parents ont vécu », a-t-il confié, relevant qu’on ne peut « pas faire de paix en RDC dans un climat d’impunité, dans un climat où c’est le bourreau qui dicte maintenant la loi à la victime ». 

Les enfants victimes d’abus graves

De son côté, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies a averti, jeudi, que les enfants sont confrontés à une « catastrophe sans précédent » dans l’est de la RDC.

« Un nombre croissant d’enfants, dont la grande majorité sont des filles, sont victimes de violences sexuelles », ont déclaré les experts indépendants de l’ONU composant le Comité.

Ils ont exprimé leur profonde inquiétude face à l’escalade de la violence dans de nombreux villages du Nord- et du Sud-Kivu, où les groupes armés s’en prennent de plus en plus aux enfants déplacés et à ceux qui vivent dans la rue. 

Des rapports récents font aussi état d’une recrudescence des recrutements, exécutions sommaires, enlèvements et meurtres d'enfants, à mesure que le conflit s’étend.

Des enfants tués à Goma

Tout en notant qu’il est extrêmement difficile de vérifier les informations en raison de l’aggravation actuelle de la situation sécuritaire, le Comité a dit avoir été informé par une source fiable que 45 des 120 enfants vivant dans la rue, pris en charge dans un centre de transit de jour à Goma, auraient été récemment tués.

Près de 30 filles du centre auraient été retrouvées après avoir réussi à se cacher dans la ville frontalière rwandaise de Gisenyi et vivraient désormais dans la rue.

Au total, plus de 6,7 millions de personnes, dont 40 % d’enfants, ont été déplacées dans les provinces de l’est touchées par le conflit. 

De nombreux enfants ne sont toujours pas scolarisés, ce qui les expose davantage aux recrutements par les groupes armés et à d’autres violations.

Selon l’ONU, près 26 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire d’urgence en RDC, dont plus de 15 millions d’enfants.

Le Comité a appelé à un cessez-le-feu immédiat et à la fin des violations graves. 

Il a également souligné la nécessité d’enquêter sur les violations graves commises à l’encontre des enfants et de demander des comptes à leurs auteurs.