L'actualité étant plutôt morose ces derniers mois n'est-ce pas le bon moment pour se (re)plonger dans la pensée de Spinoza, le philosophe du bonheur dont on compare le livre "L'Éthique" au tout premier manuel de développement personnel ?
On est en 1656 à Amsterdam, Baruch Spinoza a 24 ans, a repris l’activité marchande de son père et il se fait exclure de la communauté juive pour ses idées très radicales pour l’époque : il rejette l’idée d’un Dieu créateur qui juge les hommes.
Dieu est la nature, la nature est Dieu
Il crée un concept novateur : et si Dieu n’était pas au-dessus de la nature mais DANS la nature ? C'est ce que nous explique la philosophe Chantal Jaquet : "Dieu ou la nature, qu'est ce que ça veut dire ? Ça veut dire que la nature n'est pas seulement la réalité matérielle, l'ensemble des corps, que ce soit les corps inanimés ou les corps vivants, la nature, c'est l'être absolument infini, ça désigne toute la réalité. Que cette réalité soit matérielle, qu'elle soit mentale, etc."

Spinoza distingue deux aspects de la nature : la nature qui produit, qui est invisible, qui ne s’arrête jamais, comme une puissance infinie de production ce qu’il appelle : la nature naturante. "En assimilant Dieu à la nature, précise la philosophe, Spinoza fait une opération assez intéressante, c'est-à-dire qu'il réinvestit en philosophie un concept d'obédience religieuse, il lui donne son sens vrai. Dieu n'est rien d'autre que l'être absolument infini. Ce n'est pas une personne, ce n'est pas une trinité, c'est un Dieu substance qui produit une infinité de choses, d'une infinité de manières."
Et l’autre aspect, c’est justement ce qui est produit, qui a un début et une fin, vous, un caillou, une idée, nos émotions, cet article, les galaxies…c’est la nature naturée.
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Pour résumer la nature naturante c'est la cause productrice et la nature naturée l'effet produit. Et pour Chantal Jaquet, ce concept est décisif "parce qu'il nous permet de comprendre toute la réalité. On ne peut concevoir ce qu'est un être humain, ce qu'est un être matériel sans penser la nature. (...) C'est vraiment un concept fondamental et qui permet aussi de comprendre que l'homme, s'il veut se connaître lui-même, doit d'abord se concevoir comme partie de cette nature, penser ses relations avec cette nature."
De la nature au bonheur
Et Spinoza ne s'arrête pas là puisqu’il associe la nature au bonheur, comme le détail la philosophe : "le fait que nous soyons des parties de la nature nous amène à concevoir la félicité suprême comme l'union avec la nature. C'est ce qui est déjà présent dans l'un de ses premiers écrits le Traité de la Réforme de l'entendement, la souveraine félicité de l'homme, son souverain bien, consiste dans l'union avec la nature tout entière."
Le bonheur lui aussi se divise en deux principaux aspects : la joie et la béatitude
La joie est passagère, elle augmente notre puissance d’agir pour Spinoza la définition de la joie c’est quand l’homme "passe d’une moindre à une plus grande perfection. Autrement dit, lorsqu'il augmente sa réalité, sa perfection. La joie est un état d'expansion. Mais ces joies ne qualifient pas le bonheur, parce que ses joies sont des transitions, sont des états passagers" prévient Chantal Jaquet.

Au contraire de la béatitude qui elle est permanente. Comme une sorte de contentement parfait ou de joie parfaite ."Donc l'objectif de Spinoza, ajoute la spécialiste, c'est de nous conduire avec son "Éthique", comme par la main, dit-il, à partir de la connaissance de la nature jusqu'à la connaissance de l'esprit humain et de sa suprême béatitude."
En d’autres termes : seule la connaissance de la nature - et donc de nous-même - nous conduit au vrai bonheur/à la béatitude. Baruch Spinoza appelle ça l’amour intellectuel de la nature ou l'amour intellectuel de Dieu.
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Par ailleurs chez Spinoza le corps et l'esprit ne font qu’un donc développer son corps, c’est développer son esprit : "Il dit que c'est une partie de sa félicité que de faire un usage des plaisirs, de cultiver son corps, toutes ses aptitudes, et notamment par exemple, le jeu, le théâtre, la parure, les parfums. Augmenter donc ses aptitudes à avoir du plaisir dans tous les domaines, c'est en même temps augmenter sa capacité de penser."
La conscience, le chemin vers le bonheur
Et c’est là qu'entre en jeu un autre concept cher à Spinoza et ses disciples : celui de conscience. Pour eux nous sommes tous des ignorants, ignorants de nous-même, ignorants des choses. "Quand Spinoza évoque la conscience pour la première fois dans "L'Ethique", précise Chantale Jaquet, c'est pour montrer qu'elle est biaisée parce que nous avons conscience de nos désirs, de nos appétits, mais nous ignorons toutes les causes qui agissent sur nous, toutes les causes qui nous déterminent."
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Par exemple, le libre arbitre : nous pensons être libre de nos décisions mais pour Spinoza nous sommes déterminés par des causes dont nous n’avons pas conscience. Autrement dit on peut connaître son désir, comme le désir d’avoir un enfant mais encore faut-il avoir conscience de ce qui détermine ce désir : mon âge, la société, la culture, la pression sociale, etc. "Et donc ce n'est qu'en ayant conscience des causes qui nous déterminent que, peu à peu, nous devenons conscients de nous mêmes, conscients des choses, de notre relation aux choses et conscients de la nature".
Et c’est seulement une fois ce cheminement de pensée réalisé que nous pouvons atteindre la béatitude/le bonheur/la liberté.
"Il est, dans la vie, utile au premier chef de parfaire l'intellect, autrement dit la raison, autant que nous pouvons. Et c'est en cela seul que consiste la suprême félicité, autrement dit la béatitude de l'homme." écrit Baruch Spinoza dans "L'Éthique".
Références



