Depuis leur quantité pléthorique au Moyen Âge à notre calendrier actuel qui en compte 11, le nombre de jours fériés a toujours été augmenté ou diminué par les gouvernements successifs. Pourtant, nous avons du mal à accepter leur évolution.
Historiquement, les listes des jours fériés se suivent et ne se ressemblent pas. Alors pourquoi leur sommes-nous si attachés ? Certes, c'est probablement lié à notre besoin de repos, mais au-delà, que représentent-ils vraiment ? Car les jours fériés ne sont pas seulement liés à des pratiques religieuses ou à des objectifs politiques, ils ont parfois été imposés par la volonté populaire.
À écouter
Le jour férié, outil de légitimation des pouvoirs
Si cela peut surprendre aujourd'hui, le Moyen Âge comptait des dizaines et des dizaines de jours fériés par an, liés à des fêtes religieuses. Un nombre ramené à 17 en 1797 comme l'explique Jacqueline Lalouette, autrice de Jours de fêtes (Tallandier, 2010). L'historienne précise qu'"en 1802, la liste est réduite à quatre : Noël, le jeudi de l'Ascension, le 15 août et la Toussaint. Ensuite, au gré des régimes successifs — et la France en connaît plusieurs à partir du 18e siècle, suite à des révolutions ou des coups d'État - des jours fériés vont être ajoutés."
Pour le nouveau pouvoir en place, supprimer un jour férié lié à un ancien régime, ou en créer un nouveau, est une façon de se légitimer, en valorisant certaines valeurs politiques. "Par exemple, quand sous la Troisième République, on décide de fixer au 14 juillet la fête nationale, c'est après de nombreuses hésitations, entre le 14 juillet [Prise de la Bastille], le 4 août [Abolition des privilèges] ou le 22 septembre [Proclamation de la République]. Finalement, on prend le 14 juillet car cela permet de mettre en avant le rôle du peuple dans la révolution" explique encore Jacqueline Lalouette.

Un outil de cohésion nationale
C'est à cette fonction spécifique que fait référence Ernest Renan en 1882 dans sa conférence " Qu'est-ce qu'une nation ? ". Jacqueline Lalouette précise : "Former une nation, c'est se souvenir ensemble, vouloir faire des choses ensemble, donc célébrer ensemble le même personnage, ou surtout le même événement. 14 juillet, 11 novembre. Bien sûr qu'il y a un enjeu de cohésion nationale."
Magali Lafourcade, magistrate et secrétaire générale de la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme, estime quant à elle que "ces jours-là rendent compte de notre histoire et sont aussi des marqueurs culturels et même de synchronicité sociale. C'est-à-dire qu'ils permettent aux personnes de pouvoir se retrouver en famille, entre amis, puisqu'on peut anticiper les dates. Il y a donc un effet de construction et d'adhésion à des valeurs."
Quand la population décide de son jour férié
Mais ce sentiment d’adhésion à des valeurs ne vient pas toujours du pouvoir, il émane parfois d’aspirations populaires. Le 1ᵉʳ mai est l’exemple le plus flagrant de l'inspiration populaire d'un jour férié puisqu’il tire ses origines des manifestations syndicales réclamant la journée de 8 heures en 1886, à Chicago.
À lire aussi
Mais il y a aussi trois jours qui ont été déclarés fériés parce que le peuple avait pris l’habitude de ne pas travailler ces jours-là, comme l'indique Jacqueline Lalouette : "Sous l'Empire, le 1ᵉʳ janvier était devenu de fait un jour chômé depuis de nombreuses années, mais il n'était pas légalement férié. On ne savait pas trop sur quel pied danser par rapport à ces protêts que les créanciers avaient le droit, ou pas, de déposer." Explication : au Moyen Âge, si vous deviez de l’argent à quelqu’un — votre créancier — mais que vous ne le remboursiez pas à la date convenue, celui-ci pouvait protester — avec un protêt — pour signifier aux huissiers que vous ne l’aviez pas payé. Mais pouvait-il le faire les jours où personne ne travaillait ? Ce sont les chambres de commerces qui demandent une régularisation "En 1810, le 1ᵉʳ janvier est déclaré férié légal, ce qui signifie pas de protêt possible. La même évolution se produit en 1886 pour le lundi de Pâques et le lundi de Pentecôte. Ces jours étaient chômés mais il s'agissait davantage d'usages que de dates fixées légalement" clarifie l'historienne.

Derrière le débat autour des jours fériés, celui sur la place du travail
L’attachement populaire à notre mémoire commune a également joué un rôle dans la mise en place de nos jours fériés. "Après la Première Guerre mondiale, lorsqu'il a été décidé de créer la Fête de la victoire et de la paix, une première loi en 1921 la fixe au 11 novembre, si le 11 novembre tombait un dimanche. S'il tombait un autre jour de la semaine, la fête serait différée au dimanche suivant. Ce décret a suscité la colère des anciens combattants, très nombreux dans ces années d'après-guerre. En 1922, le Parlement vote alors une nouvelle loi déclarant chômé le 11 novembre, qu'il s'agisse d'un dimanche ou pas" rappelle l'historienne.
Qu'ils soient liés à une pratique religieuse, à notre mémoire commune ou à des enjeux économiques, les jours fériés ont le mérite de susciter à la réflexion. Même si celle-ci pourrait être élargie, comme le regrette Magali Lafourcade :" Le débat politique aujourd'hui manque d'une vraie réflexion sur le travail. Si les chercheurs en sciences sociales et certains médias portent cette idée de la nécessité de mener une réflexion d'ampleur sur le travail, la pénibilité, sur ce que signifie travailler plus longtemps, la place du travail dans notre société n'est en revanche pas portée politiquement. Et c'est un problème quand on veut aborder la question de la suppression d'un jour férié".
Références


