Depuis ce mercredi 1er octobre, les actions financées par la part collective du Pass Culture peuvent reprendre. En février dernier, ce dispositif a été gelé pendant plusieurs mois, ce qui a suscité l’indignation et l’inquiétude des professionnels de la médiation, qui ont décidé de se mobiliser.
Mesure emblématique de la politique culturelle du Président Emmanuel Macron, le Pass culture, lancé dans tout le pays en 2021, se divise en deux dispositifs. Il y a sa part individuelle, qui permet aux jeunes d’acquérir des biens culturels et dont la pertinence avait été remise en question par la Cour des comptes, et il y a la part dite "collective", qui permet aux établissements de financer des activités artistiques et culturelles pour les élèves, via une plateforme.
Cette part collective avait été au départ accueillie froidement par les professionnels de la culture se souvient Céline Portes, co-présidente du syndicat Scène ensemble, 2e organisation d’employeur du spectacle vivant : « Le secteur professionnel a été vent debout contre ce dispositif qui remettait profondément en question nos métiers de la culture, la façon dont on construisait d’abord une offre, et dont on allait ensuite chercher les publics, et travailler avec eux. Petit à petit, il été réajusté, a fait l’objet de beaucoup d’amendements, et depuis deux ans le secteur s’est approprié ce dispositif du Pass culture, qui a même répondu à certaines difficultés, à certains blocages, dans les actions d’éducation artistique et culturelle ».
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« Ça a été une bataille complètement désordonnée, nous avons tous été pris de court »
Pour l’année civile 2025, le budget alloué à la Part collective du Pass Culture était de 72 millions d’euros. Sauf que fin janvier, le gouvernement réalise qu’en un mois, 50 millions d’euros sur les 72 millions d'euros prévus sont déjà engagés. Il décide donc de geler le dispositif pour plusieurs mois. Une décision et une action qualifiées de brutales par Céline Portes de Scène ensemble :« Ça a été une bataille complètement désordonnée, c’est-à-dire que nous avons tous été pris de court, que ce soit du côté de l’éducation nationale ou de la culture. Il y a eu des annulations massives de projets, de certaines séries de représentations qui se déroulaient dans des collèges et des lycées et puis beaucoup de reports de projets. C’est en cela que cette enveloppe de 15,2 millions d'euros qu’on annonce pour la rentrée est un effet d’annonce mais il va falloir voir ce qu’il va rester pour financer l’année 25-26 ».
En juillet dernier, le gouvernement annonce la réouverture de la part collective du Pass Culture, avec une enveloppe donc de 15,2 millions d'euros pour couvrir la période allant de septembre à décembre 2025. Sa répartition est la suivante : à la rentrée, chaque établissement reçoit un budget global, avec une somme plancher de 400 euros. Un montant qui laisse Margot Lallier, directrice du Pôle action culturelle, médiation et publics au Centre de Musique Baroque de Versailles, très dubitative : « Pour les professionnels de terrain ça fait sourire. Avec 400 euros, peut-être qu’on peut aller voir un spectacle avec une classe, mais on est très loin des parcours d’éducation artistique et culturel qui sont l’essence de nos métiers de la relation avec les personnes. On ne peut pas faire une action juste, à la fois pour les artistes et pour les personnes avec un montant pareil ».
« On manque d’information, de visibilité, de cap »
Cette enveloppe varie en fonction de la taille des établissements, on parlerait d'un montant de 2,5 à 3 euros par élève. Isabelle Bigot, responsable de l’action culturelle à l’Orchestre national de Bretagne, nous fait part d’établissements qui auraient reçus 1 000, 1 200 euros. Alors comment pourront-ils être utilisés d’ici le mois de décembre ? Tout est encore un peu vague, annonce-t-elle : « Pour l’instant c’est encore très flou, on manque d’information, de visibilité, de cap. On commence l’année un peu à tâtons, que ce soit côté enseignant ou côté structure culturelle, on se demande bien ce qu’on va pouvoir mettre en place d’ici décembre. Il y a des enseignants qui auparavant étaient très volontaires et prenaient trois concerts ou mettaient en place un atelier avec nous vont vraiment réduire leurs projets dans leur version la plus minimale ».
Les professionnels du secteur du spectacle vivant ont donc décidé de se mobiliser, en créant le Réseau national des métiers de la relation du spectacle vivant, le Fil. Dans une tribune, publié récemment dans Télérama, il dénonce la fragilisation de la part collective du Pass Culture, et plus largement de l’éducation artistique et culturelle dans le pays. Margot Lallier, du Centre de Musique Baroque de Versailles est co-fondatrice du Réseau : « On pourrait croire que c’est un sujet de spécialiste, mais en fait, nous sommes en train de parler des droits culturels, du droit à l’éducation artistique des élèves de ce pays et c’est bien à cet endroit-là que le réseau se positionne pour fédérer, pour donner de la visibilité, pour construire une parole commune et pourquoi pas, à l’aube d’échéance électorale, souffler à l’oreille des organisations professionnelles, pour qu’elles puissent relayer aux candidats quelques idées de ce que pourrait devenir une politique culturelle qui soit juste, équitable, et qui soit concertée parce que l'éducation culturelle et artistique c’est un droit et pas un supplément d’âme. »
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« Une forme de libéralisation du soutien public à l’action culturelle »
Aux côtés de Margot Lallier se tient Simon Bernard, chef du Pôle médiation et développement des publics à la Maison de la musique contemporaine. Il est également co-fondateur du Réseau national des métiers de la relation du spectacle vivant, et selon lui, la situation est symptomatique de l'évolution de l’action publique en matière d’éducation artistique au collège et au lycée : « Le Pass culture représente une évolution vers une forme de libéralisation du soutien public à l’action culturelle, qui est ici perçu comme un guichet et une prestation de service mais pas forcément de service public. C’est-à-dire que tout l’accompagnement qu’une politique culturelle devrait fournir est inexistant. Il n'est plus question ici d'incertitude, mais d'un manque complet de vision. On navigue à vue sur un océan déchainé et personne ne sait diriger le bateau.»
« Nous avons entendu ces inquiétudes »
Les représentants et représentantes du Pass culture n’ont pas souhaité répondre oralement à nos questions, et l’ont fait par écrit. Nous avons cependant été reçus par Caroline Pascal, directrice générale de l’enseignement scolaire au ministère de l’Education nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, ministère dont dépend la part collective du Pass Culture. Tous deux apportent les mêmes réponses, et Caroline Pascal souhaite rassurer quant à l'avenir du dispositif : « Bien sur que nous avons entendu ces inquiétudes mais je voudrais d’abord dire que la politique d’éducation artistique et culturelle est au contraire une politique portée au plus haut niveau et est très préservée dans un contexte de contrainte budgétaire. La part collective du Pass Culture est considérée comme une politique prioritaire et comme une politique importante aussi bien par le gouvernement que par les parlementaires. Donc je crois bien que c’est plutôt un engagement à la poursuivre. Aujourd’hui nous n’avons pas le montant précis du budget qui lui sera alloué en revanche nous nous adaptons à la façon dont se construit aujourd’hui le budget mais confiants dans l’importance de la préservation de cette politique d’égalité des chances ».
Caroline Pascal, précise que cette part collective doit rester un outil au service « d’une politique d’éducation artistique et culturelle plus généralement pensée». Elle annonce qu’un groupe de travail doit être mis en place avec l’ensemble des acteurs concernés par cette politique. Un point d’accord avec le réseau d’acteurs de la médiation et de l’action culturelle, qui appelle justement dans sa tribune à une politique cultuelle nationale « digne de ce nom ».
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