Si l’on connaît tous le carbone 14, l’étude d’isotopes dit “stable” s’est développée en archéologie depuis les années 2000. Soufre, azote ou oxygène, ces éléments permettent de remonter à l’alimentation ou aux migrations du passé. Rozenn Colleter détaille cette technique et ces applications.
- Rozenn Colleter, archéo-anthropologue à l’Inrap (Bretagne) et au Centre d'Anthropobiologie et de Génomique de Toulouse
Les isotopes en archéologie
L’utilisation des isotopes en archéologie remonte au milieu du XXe. Ces versions légèrement différentes des éléments chimiques, ayant un plus grand nombre de neutrons dans le noyau, se sont avérées être un outil très utile pour les archéologues. Le plus connu d’entre eux, le carbone 14, est utilisé pour la datation des vestiges archéologiques, pouvant remonter jusqu’à 50.000 ans. Willard Frank Libby, à l’origine de l’utilisation du carbone 14 en archéologie, sera récompensé d’un prix Nobel de chimie en 1960 pour l’élaboration de cette méthode.
La datation au carbone 14 est rendue possible grâce à l’une de ses propriétés, son instabilité. C’est l’extrêmement régulière désintégration du carbone 14 qui permet de remonter au moment où s'est formé le vestige archéologique. Grâce à la brèche ouverte par le carbone 14, des chercheurs se sont aussi penchés sur l’étude des isotopes stables, et depuis le début des années 2000, ils ont fait leur apparition dans l’arsenal des archéologues.
Ces isotopes stables permettent aux archéologues d'accéder à des informations de contexte et du mode de vie des individus dont on retrouve les squelettes. Les isotopes stables du soufre, du strontium ou de l’oxygène, varient en fonction des lieux géographiques. Les isotopes de l’oxygène varient suivant l’altitude tandis que ceux du soufre varient suivant la distance à la mer. Étant stables dans le temps, les valeurs de ces isotopes mesurées sur les squelettes permettent d’obtenir des informations sur les lieux dans lesquels a vécu l’individu. De la même manière, les isotopes stables du carbone et ceux de l’azote permettent de remonter aux protéines et donc à l’alimentation du passé.
Avec les isotopes, les archéologues ont une nouvelle corde à leur arc permettant de croiser les informations génétiques, archéologiques et historiques.

Le terrain du Couvent des Jacobins
Le chantier de fouille du Couvent des Jacobins à Rennes a été un terrain d’expérimentation pour l’utilisation des isotopes. Ce site, au cœur de la ville, a été fouillé de 2011 à 2013 pendant plus de 18 mois par une trentaine d’archéologues différents. Parmi eux, une équipe composée entre autres de Rozenn Colleter (INRAP) et Klervia Jaouen (CNRS) a utilisé la technique isotopique pour étudier deux sépultures multiples, l’une de 4 individus l’autre de 28, dites “de catastrophe”, ayant été creusées lors d’un événement tragique obligeant à réunir les cadavres, épidémie ou guerre sont les meilleurs candidats. En croisant les informations archéologiques, l'hypothèse du siège de Rennes de 1491 est la plus probable, mais en retrouve-t-on les indices dans les isotopes ?
La méthode des archéologues consiste à prélever les isotopes sur les os et sur le collagène des dents. Les dents s’étant formées à la fin de l’enfance, elles nous informent sur la jeunesse de l’individu tandis que les os, eux donnent un état à l’âge adulte. De cette manière, il est possible de connaître, grâce aux isotopes, l’endroit où ces individus ont grandi ainsi que leur lieu de vie adulte. Couplés aux études anthropologiques, les résultats isotopiques confirment les hypothèses des archéologues. Les individus dans les deux fosses sont des soldats, la petite fosse correspond aux défenseurs, ayant tous des profils isotopiques locaux. A l’inverse, les individus de la grande fosse n’ont pas un profil isotopique qui correspond à la région, leurs origines sont variées et difficiles à déterminer avec certitude. Cela correspond néanmoins avec la composition de l’armée française de l’époque, recrutant des soldats sur tout le territoire.
Moins coûteuse et plus facilement réalisable à grande échelle, l’analyse isotopique est un bon complément de sa technique sœur, l’ADN. Elle permet d'accéder à la vie de l’individu, des projets comme celui porté par Rozenn Colleter, le programme de recherche AIDE (Archaeology, Inequalities and DiEt. Archaeology assisted by stable isotopes) qui utilise les isotopes comme des marqueurs des inégalités sociales par le biais de l’alimentation. D’autres chercheurs, essayent aussi d’élargir le panel des isotopes utilisables par les archéologues, isotopes permettant de se dispenser du collagène, souvent endommagé et de remonter encore plus loin avec l’étude des isotopes.

Ressources documentaires
La dernière bataille d’Anne de Bretagne : étude isotopique des combattants de 1491 (2021, INRAP, Rozenn Colleter, Klervia Jaouen, Clément Bataille)
L’archéo-anthropologue qui lit dans les dépouilles l’histoire des vivants (2018, Le Monde, Pierre Barthélémy).
AIDE - Archaeology, Inequalities and DiEt. Archaeology assisted by stable isotopes (2022, INRAP, Rozenn Colleter)
À lire aussi
L’ultime bataille d’Anne de Bretagne révélée par les isotopes
Carbone 14, le magazine de l'archéologie
27 min
Les références musicales
Le générique du début : Glue par Bicep
Le générique de fin : Mésange rouge par Kick et Flûte
L'équipe
- Journaliste, producteur de "Sciences chrono"
- Collaboration
- Collaboration
- Réalisation

