Marche pour la fermeture des abbatoirs organisée par l'association L214, Place de la République, Paris, 2017 ©Getty - John Van Hasselt - Corbis
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Anthony a quitté son poste de pilote chez Air France, rongé par l'écoanxiété. Mathias, ancien boucher, est devenu végan.

Anthony est fils d'une mère hôtesse de l'air. Enfant, il rêve déjà d'être pilote d'avion. "Il y avait un aérodrome juste à côté du village où j'habitais, une sorte de rêve inaccessible. Mais quand même, il y avait une idée en moi assez précise, puisque je me souviens que j'avais un tableau noir dans ma chambre, et un jour, j'avais dessiné les cadrans d'un cockpit d'avions de ligne et je jouais avec ça."

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"Mon premier vol avec des passagers à bord, ça a été une sensation incroyable"

Seulement, une dizaine d'années plus tard, son rêve s'effondre. "Il y a eu un forum des métiers dans mon école où des pilotes sont venus, pilotes d'Air France. Ils ont dit 'Il faut faire maths sup' pour être pilote de ligne'. J'avais peut-être 16 ans, et mon rêve s'est un peu effondré. C'est beaucoup plus tard que j'ai repris espoir."

Anthony fait des études de commerce international, ce qui lui donne la possibilité de voyager. En parallèle, il s'inscrit dans un aéroclub. Après un baptême de l'air, il prend des cours de planeur, un appareil volant sans moteur. "Il y avait quelques amis qui passaient les certificats théoriques pour devenir pilote de ligne. Je me suis dit 'mais peut-être qu'en fait l'espoir n'est pas perdu et je peux peut-être rattraper le coche'. Je vais commencer à travailler dans mon coin, à étudier les livres pour être pilote de ligne théorique."

Après un intense travail et des examens en candidat libre, Anthony est certifié pilote professionnel. Son rêve devient réalité, il est embauché par une compagnie aérienne. "Je me souviens quand on a, pour la première fois, mis en route les moteurs, les hélices qui commencent à tourner, le bruit des moteurs, la vibration dans la carlingue, ça a été quelque chose d'incroyable. Ce vol me reste toujours en mémoire avec tout ce qui va avec, l'uniforme, le salaire."

"Sur un vol entre Paris et Santorin en Grèce, mon avion va consommer un peu plus de 10 000 litres de carburant"

Anthony postule pour être pilote à Air France. Après de nombreuses étapes sélectives, il est pris. "Je deviens pilote sur Airbus A320, qui est l'Airbus court et moyen courrier d'Air France. Je me mets à piloter cet avion, à aller partout en Europe, en France, au Maghreb, au Proche-Orient. Je réalise mon rêve, au quotidien. Je passe à 4-5 000 euros, salaire très confortable. Je suis hyper heureux dans mon job. C'est un job où on voit le soleil tous les jours, on passe tous les jours au-dessus des nuages."

Anthony monte en grade, il devient pilote sur long courrier, puis commandant de bord. "J'avais trois galons sur mes épaules, et là tout à coup, j'en ai quatre. Ce qui change, c'est que j'ai la responsabilité de l'avion, de l'équipage, des passagers. Il n'y a plus que le plaisir de piloter, il y a également la charge de toute cette responsabilité. Je vis un peu ma meilleure vie, si je puis dire, puisque j'avoisine les 8-10 000 euros par mois. Tout va bien, ma vie est confortable."

Sauf que, du jour au lendemain, Anthony ne travaille plus. On est en 2020, la plupart des vols s'arrêtent pendant le confinement. Anthony passe du temps sur les réseaux sociaux. Il tombe sur une vidéo, qui compare la mécanique des gaz à effet de serre à celle d'une baignoire. "Comme une baignoire où on a les robinets grands ouverts et où l'eau s'accumule, ces gaz à effet de serre qu'on émet tous les jours dans nos activités, notamment dans l'aviation, restent dans l'atmosphère et mettent très longtemps à disparaître. Je visualise soudain cette baignoire qui se remplit, se remplit et ne se vide quasiment jamais. J'ai un déclic dans ma tête, je me dis 'mais moi dans mon métier, je participe à ça !'."

"Comment je peux trouver normal d'élever pour tuer et consommer un animal, et un autre le considérer comme mon enfant ?"

Comme Anthony, Mathias a choisi son métier du fait d'une habitude familiale. "Dans ma famille, la viande, ça a toujours été le plat principal de tous les repas. Même si on n'avait pas beaucoup de moyens, mes parents, tous les dimanches, c'était rôti de bœuf et poulet, c'était même beaucoup trop de viande. Les fêtes de fin d'année, c'était un banquet pour 20 personnes sans problème, alors qu'on n'était que 5."

Mathias explique que le métier de ses grand-parents, agriculteurs, ajouté à cette culture de dégustation de plats de viande en famille, a favorisé inconsciemment son métier de boucher. En CAP, il est confronté aux carcasses d'animaux."Très vite, je me suis retrouvé avec les carcasses d'animaux sous les yeux. C'est quelque chose qu'on ne voit jamais en tant que client, ou rarement en tout cas. J'ai déconnecté l'animal de la carcasse, pour moi, c'était une matière première. C'était de la viande, voilà, tout simplement."

Comme Anthony, Mathias visionne des vidéos sur les réseaux sociaux qui le font changer d'avis. Ce sont des vidéos d'animaux conduits à l'abattoir, postées par l'association de défense des animaux L214. "Ça commence à me gêner, beaucoup. À cette époque-là, j'ai 23-24 ans. J'ai des animaux, j'ai ma maison, ma compagne, j'ai des animaux de compagnie. Petit à petit, c'est vrai que je me dis 'mon chien, mon chat, c'est un peu comme mes enfants, mais à côté, toute la journée, je découpe des animaux qui ont aussi un cœur qui bat, des émotions, qui sont pas moins vivants que mon chien, mon chat'."

Merci à Anthony Viaux et Mathias Bouffies.

  • Reportage : Rémi Dybowski-Douat
  • Réalisation : David Jacubowiez

Pour aller plus loin

Voyage interrompu. Confidences d'un pilote de ligne éco-anxieux, Anthony Viaux, L'Aube, 2025.

Mathias a ouvert un magasin bio et végan, BiolaVie.

Musique de fin : "Better Hate", Jessica Pratt - Album : Here in the Pitch, 2024.

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