L’historien, curieux de tout, l’est aussi du corps, évidemment. De la beauté, de la laideur, de la maigreur et de l’obésité… L’historien est un ogre qui aime la chair. Mais il a fallu du temps pour qu’il le constitue comme objet d’étude.
- Georges Vigarello, historien, philosophe, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
L’un des premiers à y penser fut sans doute Marcel Mauss. Au milieu des années trente, il se demandait pourquoi les infirmières qui le soignaient à l’hôpital avaient cette démarche particulière et il se souvint des réflexions que, soldat de la Grande Guerre, il se faisait sur la marche au pas, si différente des Anglais et des Allemands. D’emblée, l’histoire du corps intégrait non seulement celle des apparences et des mille façons de les corriger, mais aussi la question de la silhouette, de la posture : pourquoi et comment se tient-on de telle ou telle façon ?
La beauté divine
À la frontière de l’expérience sociale et de l’expérience individuelle, l’histoire du corps a longtemps été croisée avec celle des religions. Si on demandait à un crapaud, ironisait Voltaire, de définir la beauté divine, il songerait aussitôt à sa crapaude, avec son petit ventre et ses yeux à fleur de peau. Eh bien, les Grecs et les Romains se sont longtemps figurés leurs dieux comme des femmes et des hommes plus beaux qu’eux.
Le christianisme introduisit ensuite un grand changement. L’incarnation du Christ allait en effet jusqu’à la Passion : l’expérience du corps était partagée par Dieu et l’homme non seulement dans la beauté mais également dans la douleur et dans l’espérance de la résurrection.
Martyrisés et exposés
Au long des siècles, les changements dans l’histoire du corps se sont opérées par seuils, lentement, avec parfois des allers et des retours. Qu’on pense au souci de la propreté et à l’hygiène. Ce qui se passe depuis un siècle apparaît d’autant plus brutal. Au XXe siècle, les corps ont été martyrisés comme jamais par les guerres et les dictatures. Cependant, l’époque a permis une exposition soudaine des corps - au public comme au soleil. Naturisme, aérisme, nudisme…
Le corps signature de soi
Plus récemment, le tatouage, pratique jusque-là très minoritaire, s’est répandue dans tous les milieux, chez les femmes comme chez les hommes. D’abord, la psychanalyse a levé la censure sur l’inconscient, montrant qu’il parlait par le corps. Puis quasi toutes les censures sur le corps ont été levées. "Notre corps nous appartient", disait-on dans les années 1970. Aujourd’hui le corps est signature de soi. Il remplacerait presque la parole. Et ceci en un rien de temps, au regard de la longue durée.
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Bibliographie
- Georges Vigarello, Histoire de la beauté. Le corps et l'art d'embellir, de la Renaissance à nos jours, Points
- Jacques Le Goff, Nicolas Truong, Une histoire du corps au Moyen Âge, Liana Levi)
- Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine, George Vigarello, Histoire du corps (3 volumes), Seuil
- Communications, n° 60, Beauté-Laideur, Collectif, Seuil
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