Il y a un demi-siècle, la France consacrait le même effort collectif à éduquer ses enfants qu’à payer les pensions de ses aînés, respectivement 6,5 % et 7 % du PIB selon l’Insee. Aujourd’hui, elle consacre deux fois plus d’efforts aux pensions (14 % du PIB) qu’à l’éducation (7 %). Que s’est-il passé ? Comment ce choix collectif se traduit-il concrètement ?
Le vieillissement démographique explique une part de l’évolution. En 1975, avec un âge effectif moyen de départ à la retraite de 64 ans, et une espérance de vie moyenne à 73 ans, la France comptait un peu plus de 6 millions de retraités, soit 12 % de la population. Cinquante ans plus tard, les 18 millions de retraités représentent 26 % de la population.
Le recul de la qualité de l’éducation
Ceci étant, la population scolarisée a aussi fortement augmenté dans le même temps. Tout comme le nombre de retraités, le nombre d’étudiants a triplé (de 1 à 3 millions) et le nombre d’enfants scolarisés dans le primaire et secondaire a quasiment doublé (de 7,3 à 12,6 millions d’enfants). La dépense a donc suivi l’évolution démographique d’un côté, mais pas de l’autre, de sorte qu’il est incontestable que les priorités de la France de 2025 ne sont pas celles de 1975.
Concrètement, comme cela s’est-il traduit ? Là aussi, partons des données objectives, publiques, vérifiables par chacun. Alors que les élèves français faisaient encore partie des mieux éduqués dans le monde au milieu des années 1970, ils figurent désormais, selon les dernières enquêtes Pisa, entre la 22e et la 26e place de l’OCDE, soit dans la deuxième partie du classement. Dit de façon non technique et du point de vue parental : il y a désormais 20 à 25 autres pays dans le monde où il vaudrait mieux éduquer ses enfants, plutôt qu’en France.
Bien sûr, tout n’est pas qu’une question de moyens et notre pédagogie comme notre organisation administrative gagneraient à s’inspirer humblement des meilleures pratiques internationales. Il n’empêche : c’est aussi de moyens qu’il s’agit. Par exemple, nous rémunérons nos enseignants 30 % de moins qu’en moyenne en Europe, et il y a huit autres pays européens où les enfants, en primaire, sont moins nombreux dans la classe.
Logiquement, la dégringolade scolaire s’est traduite par une dégringolade sur les compétences des travailleurs : selon l’enquête Piaac, équivalent de Pisa pour les actifs, il existe entre 20 et 25 pays dans lesquels les gens qui travaillent sont plus compétents que les Français, en moyenne.
La France en tête des dépenses de retraite
À l’inverse, s’agissant des dépenses de retraites et le niveau de vie des retraités, la France se situe tout en haut des classements internationaux. Seulement l’Italie et la Grèce consacrent un effort national supérieur aux pensions de retraite, et le niveau de vie des retraités français, comparé à celui des travailleurs, est le plus élevé du monde. Nous sommes le seul pays du monde où, en moyenne, le niveau de vie des retraités et celui des gens qui travaillent sont identiques (entre 98 et 102 % sur les dix dernières années, contre par exemple 85 % en Allemagne, ou 75 % aux Pays-Bas, au Danemark ou en Suède).
L’objection traditionnelle consiste à dire que les retraites se justifient par les cotisations acquittées pendant une vie de travail. Cette objection est valable sur le principe, mais pas sur le niveau. Les personnes à la retraite aujourd’hui ont eu, en moyenne, à peu près deux fois moins d’enfants que leurs parents, si bien que les travailleurs d’aujourd’hui sont à peu près deux fois moins nombreux que leurs aînés pour payer leurs pensions (nous sommes passés de 3 travailleurs pour un retraité à 1,7 en quarante ans, selon l’Insee). Les cotisations retraite ont donc quasiment doublé en quarante ans (de 15 à 20 % du salaire à 28-30 %), de sorte que l’application stricte du principe « J’ai droit à ce à quoi j’ai cotisé » conduirait à baisser les pensions de 30 à 50 %.
De la méritocratie à la gérontocratie
Que conclure de cette situation et comment la corriger ? En cinquante ans, la France a inversé ses priorités : jadis, nous étions fiers d’avoir l’une des meilleures écoles du monde ; aujourd’hui, nous sommes fiers d’avoir les meilleures retraites
du monde. Le modèle français, c’était l’école, le travail, l’effort méritocratique. C’est désormais les retraites, le patrimoine et le privilège gérontocratique. Nous préparions l’avenir, nous choyons le passé.
Il n’y a aucune fatalité à cette inversion des priorités, collectivement suicidaire. Nous pouvons redonner la priorité à l’éducation, au travail, à la technologie industrielle, à la transition énergétique et à la défense. Pour cela, nous devons non pas dépenser plus, mais réorienter nos dépenses publiques vers tout ce qui prépare l’avenir, c’est-à-dire notre indépendance, notre liberté, et le niveau de vie futur de nos enfants, qui se joue maintenant.