Tout juste 13 heures et 56 minutes. En démissionnant lundi 6 octobre, l’ex-premier ministre Sébastien Lecornu a battu un record : celui du gouvernement le plus éphémère depuis 1924. Renversé le lendemain de sa nomination, celui de Frédéric François-Marsal détenait avant lui la palme de la brièveté. Ce dernier avait entraîné dans sa chute le président de la République de l’époque, Alexandre Millerand. Récit d’un bras de fer aussi musclé que fugace.
Retour en mai 1924. L’alliance dite du cartel des gauches, menée par Édouard Herriot, remporte – de peu – les élections législatives, entraînant l’alternance au sein de l’Assemblée nationale. Le chef du gouvernement de l’époque, Raymond Poincaré, démissionne.
À la tête du pays et du « bloc national » rassemblant les forces de droite, le controversé président de la République Alexandre Millerand refuse néanmoins de se soumettre au verdict des urnes pour nommer son président du Conseil (le titre du chef de l’exécutif à l’époque). « Le chef de l’État ne saurait appeler au pouvoir qu’un cabinet résolu à continuer la politique suivie jusque-là », fait savoir son entourage dans Le Matin.
Un président de la République controversé
La gauche appelle à sa démission. Parmi les griefs reprochés à cet ancien radical-socialiste figure l’abandon de son camp à la fin de la Première Guerre mondiale, et, surtout, son attitude lors de la campagne des législatives. En prenant explicitement position pour la droite, Alexandre Millerand est sorti de son devoir de réserve, pilier de la fonction honorifique de chef de l’État sous la IIIe République. Fonction dont le président de la République d’alors aimerait renforcer le pouvoir, au détriment du Parlement…
Pour trouver son président du Conseil, Alexandre Millerand « fait défiler à l’Élysée les plus modérés des parlementaires de gauche qui, comme Herriot (chef de file du cartel des gauches, NDLR), refusent de diriger le gouvernement », explique l’historien Christian Delporte, sur le site Retronews.
Il charge Frédéric François-Marsal, ministre démissionnaire des finances, de constituer un gouvernement minoritaire, nommé le 9 juin 1924. L’objectif de ce cabinet, sans programme concret ni appui parlementaire, est d’envoyer un message politique fort à la Chambre. « S’il était entendu désormais que l’arbitraire d’une majorité peut obliger le président de la République à se retirer pour des motifs politiques, ce dernier ne serait plus qu’un jouet aux mains des partis », affirme ainsi le nouveau président du Conseil.
La motion de censure votée
Le 10 juin, Frédéric François-Marsal présente son gouvernement devant le Parlement. Par 327 voix contre 217, les députés votent dans une atmosphère électrique la motion de censure défendue par Édouard Herriot. Le Sénat, pour sa part, choisit de ne pas intervenir.
Désavoué et sans soutien parlementaire, François-Marsal est contraint de démissionner, après à peine une journée à la tête du gouvernement. Lui aussi acculé, le président de la République Alexandre Millerand remet également sa démission le lendemain.
Conformément à la Constitution de 1875, le Parlement élit alors Gaston Doumergue pour lui succéder à l’Élysée. Ce dernier nomme Édouard Herriot président du Conseil, permettant à la gauche d’accéder au pouvoir. Un bref épisode qui symbolise la fragilité du pouvoir exécutif sous la IIIe République, marquée par une instabilité chronique : pas moins de 110 gouvernements se sont succédé en presque soixante-dix ans.