En 1951, Michel Tournier étudie "Les grands mythes" dans l'émission "Connaissance de l'homme" sur la Chaîne Nationale. Son invité Robert Kemp explore ici le mythe de Narcisse, ses significations symboliques et métaphysiques dans la littérature à travers deux exemples : André Gide et Paul Valéry.
Narcisse représente probablement le mieux le mythe de la solitude. Comme l'écrit Paul Valéry dans son poème Narcisse parle, celui qui se mire dans l'étang, qui se fascine pour son amour de soi-même, ne peut qu'être l'incarnation d'une solitude profonde. Pour Narcisse dont l'immense beauté attire pourtant toutes les convoitises, ni la nymphe Écho, ni les vierges de la forêt, ni les jeunes éphèbes, ne deviennent l'objet de son amour : il est seul face à sa propre image, dans un amour réflexif impossible et maudit. Dans l'émission "Connaissance de l'homme" diffusée en 1951 sur la Chaîne Nationale, Michel Tournier et son invité le journaliste et écrivain Robert Kemp, analysent le grand mythe de Narcisse, et comparent deux exemples de la littérature : le narcissisme sensitif d'André Gide et le narcissisme intellectuel de Paul Valéry.
Le mythe de Narcisse : les premières exploitations poétiques
Selon Robert Kemp : "La poésie d'autrefois était intrépidement féministe et opiniâtrement normale. Le solitaire Narcisse ne séduisait pas les poètes faunesques du 16e siècle. Au 17e siècle, il est nommé par Tristan L'Hermite qui rêve d'une grotte et d'un vivier d'eau claire". Il trouve que Narcisse n'a pas rencontré autant de succès dans la littérature que les mythes d'Adonis mis en lumière par Jean de La Fontaine, Endymion et Hypérion par Keats et Hölderlin, ou Dionysos et Apollon opposés l'un à l'autre par Nietzsche.
Mais à travers le romantisme, la poésie confidence, le journal intime, toute la littérature s'imprègne du narcissisme. "Narcisse est le portrait du poète romantique exploitant pour écrire et briller son âme, utilisant ses larmes, ses amours, ses frissons devant le mystère". Robert Kemp pousse sa réflexion philosophique encore plus loin : "Et le lecteur lui-même, avide de se reconnaître dans les aveux du poète, n'est-il pas Narcisse ? Les anxiétés de Baudelaire, les visions de Nerval, les aveux de Verlaine, les colères de Rimbaud, sont des images de nous-mêmes que nous épions passionnément dans l'eau musicale de leurs poèmes."
Narcisse, source d'inspiration et méditations symbolistes
Dans son Traité du Narcisse, André Gide relie l'histoire de Narcisse au mythe du Paradis terrestre, interférant ainsi deux mythes, l'un gréco-latin (le Narcisse), l'autre biblique (le Paradis terrestre). Narcisse ne serait-il pas finalement une réincarnation d'Adam ? André Gide termine son essai par une théorie du symbole. "Gide pense que le symbole c'est le phénomène, tout ce qui paraît. Le poète derrière le symbole cherche d'abord et essaie de communiquer ensuite la réalité profonde, le nous-mêmes de Kant, l'idée de Platon. Pour atteindre cette haute cible de l'art, Gide conseille la concentration, la contemplation, le silence. C'est le devoir de tous les poètes."
À lire aussi
- Production : Michel Tournier
- Avec Robert Kemp (journaliste, critique littéraire et écrivain)
- Avec lecture d'un extrait de L'erreur de Narcisse de Louis Lavelle par Ben Danou
- Connaissance de l'homme - Les grands mythes : Narcisse ou la solitude (1ère diffusion : 10/10/1951 Chaîne Nationale)
- Edition web : Amélie Potier, Documentation de Radio France
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