L'ermite ou l'extrême renoncement au monde

Quel personnage autre que l'ermite pour symboliser l'image de la solitude volontaire par excellence ? Le mot ermite, dérivé du grec ancien eremos, signifie désert. Totalement reclus, il a choisi de se priver de la présence des hommes et des plaisirs de la vie pour favoriser sa quête spirituelle. Méditation, prière, ascèse, travail, rapport parfois mystique à Dieu, l'ermite met tout en œuvre pour cultiver un rapport unique au Divin auquel il consacre sa vie. En 1983, Régis Labourdette accorde pour "Les chemins de la connaissance" une série intitulée "Images de la solitude volontaire". Dans ce cinquième épisode, l'historien Jean-Charles Huchet nous fait découvrir l'existence de l'ermite, sa fonction et sa place dans la littérature médiévale entre mythe et réalité.

Solitude, méditation et pénitence

Pour l'historien et médiéviste Jean-Charles Huchet : "Retiré au cœur de la forêt l'ermite apparaît celui en qui la solitude médiévale se réalise le mieux. Ce mouvement de retour au désert résulte d'une réaction spirituelle, d'une protestation contre la centralisation de l'Église et sa soumission à la papauté. La solitude va être le lieu où l'homme va renouer un contact estimé perdu avec Dieu. Le mouvement érémitique est aussi le produit d'un certain nombre de changements dans la structure de la société médiévale". Les ermites, des marginaux, laïcs ou religieux, sont des pénitents, toujours guidés par une volonté d'expiation. Et un véritable mystère perdure autour de leurs fautes.

Un personnage romanesque de la littérature médiévale

Jean-Charles Huchet analyse la place de l'ermite dans l'imaginaire de la littérature médiévale. Dès le 12e siècle, l'ermite devient un personnage littéraire présent dans presque tous les genres narratifs. Il joue un rôle déterminant dans les romans en vers de Tristan et dans les romans en prose qui commencent à se développer au 13e siècle, notamment dans Le Cycle du Graal. Mais paradoxalement, dans les romans de cette époque : "L'ermite apparaît comme une figure éminente de la sociabilité médiévale. Son ermitage est un lieu tiers, entre la forêt et le château féodal ou la cour arthurienne. Un lieu où les exclus de la société vont réapprendre la sociabilité, vont redevenir chrétiens et donc humains."

L'ermite est un personnage porteur de vérité : "L'ermitage est un lieu où la vérité parle". Jean-Charles Huchet prend l'exemple de Perceval ou le Conte du Graal de Chrétien de Troyes où Perceval redécouvre grâce à l'ermite (son oncle) les mystères de la religion et la voie de la spiritualité, et apprend de sa bouche la faute qu'il a commise, une faute liée à la mort de sa mère décédée à cause de son départ. Mais entre paradoxes et secrets, l'ermite est aussi l'homme du mensonge, celui qui a appris à mentir.

Une projection de l'écrivain ?

En tant que moine l'ermite doit accomplir un travail manuel, il défriche la forêt par exemple. Mais c'est aussi un homme du savoir, cultivé et lettré, il copie des manuscrits et connaît les arts du Trivium (grammaire, rhétorique et dialectique). Jean-Charles Huchet nous invite à nous demander si l'ermite n'est pas aussi pour l'auteur une réflexion sur l'acte littéraire lui-même, une projection de l'écrivain. Dans le Tristan et Iseut de Béroul, l'ermite Ogrin est lecteur mais aussi l'auteur d'un bref rédigé à la place de Tristan. Enfin, pour l'historien, l'existence de l'ermite entre mythe et réalité, son exil dans la langue, la solitude de l'écrivain, vont jusqu'à nous interroger sur notre solitude et nos propres fautes.

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28 min

• Production : Régis Labourdette
• Avec Jean-Charles Huchet (historien, universitaire et médiéviste)
• Les chemins de la connaissance - Images de la solitude volontaire, 5ème partie : La rencontre avec l'ermite (1ère diffusion : 25/02/1983 France Culture)
• Edition web : Amélie Potier, Documentation de Radio France
• Archive Ina-Radio France