Des enfants battus, humiliés, ou abandonnés par leurs parents sont parfois obligés, des décennies plus tard, de payer pour la fin de vie de leur père ou de leur mère indigne, en raison de "l'obligation alimentaire". Pour réparer cette injustice, une proposition de loi est examinée jeudi au Sénat.
Selon la proposition de loi de Xavier Iacovelli, sénateur macroniste des Hauts-de-Seine, chaque personne majeure pourrait, avant ses 30 ans, se défaire de cette obligation. Une proposition de loi examinée jeudi 23 octobre 2025, au Sénat, vise à permettre à toute personne ayant subi des violences durant son enfance de se défaire de l'obligation alimentaire à l'égard de ses parents. Une mesure indispensable pour les victimes.
Parmi toutes les tristes histoires de vie qui motivent cette proposition de loi, il y a celle de Delphine, qui vient de passer la quarantaine. "Je suis originaire du Nord, raconte-t-elle, on est une famille nombreuse, recomposée, mes parents sont alcooliques, ils se frappaient dessus, moi je me faisais frapper. Ma mère, une fois, elle m'a tapé la tête sur le radiateur, j'ai pris des coups de martinet pour tout et pour rien. Je me faisais insulter et le but de ma vie : c'était de partir." Aujourd'hui, Delphine a fait sa vie, malgré les carences affectives de l'enfance. Elle est infirmière et mère d'une petite fille.
Mais voilà que son passé vient tout juste de la rattraper : un juge aux affaires familiales l'a convoquée, afin de lui faire payer une partie des frais d'Ehpad de cette mère maltraitante, aujourd'hui indigente. "Même 10 euros, juste 10 euros, je ne voudrais même pas les payer pour cette femme, assure Delphine. Je vais me retrouver à sacrifier ma fille pour elle. Elle a pourri ma vie, elle ne mérite pas que je sacrifie ma fille, ses activités, nos vacances, tout ça... Elle ne mérite pas cela."
Aller plus loin que la loi existante
Alicia, qui est plus jeune, souhaite, elle prendre les devants : pas question de subvenir un jour aux besoins de son père, avec qui elle a coupé les ponts : "Quand j'avais 12 ans, j'ai appris que mon père avait violé ma demi-sœur. C'est une personne que j'ai sortie de ma vie, j'estime que ce qu'il a fait est impardonnable."
La loi Bien Vieillir de 2024 prévoit déjà des dispenses d'obligations alimentaires, mais seulement en cas de féminicide, d'infanticide ou pour les enfants qui ont été abandonnés pendant plus de trois ans. Ces conditions sont beaucoup trop restrictives, estime Alicia : "On sait qu'en ce qui concerne l'inceste, je vais donner cet exemple-là parce qu'il me semble très parlant, on a 20% des victimes qui portent plainte, qui parlent et seulement 1% des agresseurs sont condamnés. Ces gens-là se retrouvent totalement démunis. Ils n'arrivent pas à prouver au juge des affaires familiales qu'ils ont vécu des horreurs durant leur enfance. Ils doivent pouvoir se libérer de l'obligation alimentaire sans preuve."
La proposition prévoit que toute personne jusqu'à 30 ans peut se défaire, devant notaire, de l'obligation alimentaire à l'égard d'un de ses parents ou des deux. Le parent concerné peut contester la décision, c'est alors un juge qui doit trancher.
Un reportage édité par Carol Sandevoir.
