Nancy, 36 ans, habite près de Lens, dans le Pas-de-Calais. En décembre 2024, on lui découvre un cancer du sein. Après une longue période où elle se concentre sur sa maladie, elle sort de sa léthargie au début de l’été, au moment de l’adoption de la loi Duplomb.
Nancy, 36 ans, fait partie d'un club de marche. Un dimanche de décembre, alors qu'elle rentre d'une séance, elle remarque qu'un de ses tétons est comme rentré. Il s'agit d'une rétraction du mamelon, un symptôme du cancer du sein. "Personne dans ma famille n'a de cancer du sein. Je vais chez le médecin le lundi, j'ai une palpation. Il me dit 'je sens quelque chose, mais je ne saurais pas dire si c'est ça. Vous êtes jeune, il n'y en a pas dans votre famille. On va faire une échographie de contrôle, mais pour se rassurer'."
À écouter aussi
"La radiographe parle de lésions. Elle me dit 'pour moi, c'est un cancer'"
Le mardi, Nancy se rend chez une radiologue. "Je vois l'œil de la radiologue qui tilte un peu. Elle me dit, bon, on va faire une mammographie de contrôle parce que je vois une masse et j'ai besoin de vérifier. Je fais la mammographie et là, elle m'a proposé de m'asseoir en disant qu'elle n'aimait pas ce qu'elle voyait."
La radiographe annonce à Nancy qu'elle a sûrement un cancer du sein. "Ça m'est tombé dessus d'un coup. On est allé boire un thé avec ma maman après, je me souviens, et on n'a pas parlé pendant vingt minutes."
Nancy entame une chimiothérapie, qui fonctionne bien. Au centre de lutte contre le cancer où elle est soignée, elle attend souvent dans une salle d'attente avec d'autres femmes atteintes de cancer. Environ "70% de 50 ans et plus, et 30-40% de moins de 40 ans. Il y avait une jeune fille qui était là avec le casque. C'est impressionnant le casque, ça évite de perdre les cheveux, donc un casque qui refroidit la boîte crânienne, mais on ressemble à une momie quand on l'a, tout le crâne est enrubanné, c'est particulier. Je voyais cette jeune fille, je me suis dit 'mince, elle a à peine 20 ans'."
À écouter aussi
"Qu'est-ce que j'ai fait pour avoir un cancer ?"
Alors qu'elle subit une mastectomie partielle puis des séances de radiothérapie, Nancy s'interroge sur les causes de son cancer. "C'est forcément ma faute. C'est parce que je ne mange pas bien. Avant, je prenais le temps d'aller au marché, mais là avec le travail, c'était de plus en plus compliqué. J'étais autour de 55-60 heures semaine. Depuis 2021 je suis professeure de lettres modernes en collège."
Comme elle n'a pas le temps de se faire à manger, Nancy achète des plats prêts à consommer. "C'est peut-être ça, ma manière de consommer. J'ai lu beaucoup d'articles là-dessus, notamment avec Reporterre (un média indépendant spécialisé dans l'écologie). À force de lire aussi des revues scientifiques, je me dis 'il y a des causes bien réelles, des pesticides, des produits qu'on met dans notre alimentation, c'est pas ma faute'."
Pour Nancy, son cancer est donc probablement dû aux pesticides, présent dans son alimentation, mais également autour de chez elle. "J'ai grandi dans un petit village entouré de champs. Pendant les périodes estivales, le tracteur passait en aspergeant plein de trucs. On fermait tous les volets à ce moment-là, mais... peut-être que ce cancer que je déclare maintenant est dû à ma vie passée dans les champs, à glaner les pommes de terre quand j'étais petite."
À écouter aussi
"On nous alerte, mais très peu de gens s'inquiètent"
Nancy découvre alors que les pesticides sont présents tout autour d'elle. "J'ai lu qu'il y avait des pesticides dans les nuages, donc dans la pluie, les PFAS qu'on retrouve dans les casseroles partout, l'hexane dans les huiles, le cadmium dans le pain et les pâtes, plus je cherche et plus je trouve."
À la suite de ces découvertes, Nancy change drastiquement sa manière de vivre et de consommer. "Maintenant, je fais attention à tout. Je buvais l'eau du robinet, j'ai acheté un filtre à gravité, j'ai changé toutes les poêles avec anti-adhésif, tout ce qui est noir et griffé, hop, allez, on passe à l'inox. J'avais des spatules en plastique, j'ai tout changé pour du bois, de l'inox."
Au début de l'été, alors que sa chimiothérapie est terminée, Nancy prend connaissance d'un texte dont on débat à l'Assemblée, celui qui va devenir la loi Duplomb et qui autorise, entre autres, les ministres à accorder une dérogation à l'interdiction de l'usage de certains pesticides. "De loin, je me disais qu'une loi comme ça ne pouvait pas passer, c'est pas possible. On parle quand même de pesticides cancérigènes. Je m'étais dit 'ça passera pas'. Un jour, je me lève et je vais sur les réseaux. Mon algorithme fait que forcément, je tombe sur des personnes qui défendent l'écologie et qui en parlent. Je me suis dit 'non, c'est passé'."
Alors, Nancy décide d'agir...
À écouter aussi
Merci à Nancy, Fleur Bréteau et le collectif Cancer Colère, ainsi qu’à Christine Anzano de la documentation de Radio France ainsi que mille pensées amicales et jokers en tous genres pour Livia.
- Reportage : Martine Abat
- Réalisation : Emmanuel Geoffroy
Pour aller plus loin
L'usine Metaleurop, implantée dans le Pas-de-Calais jusqu'en 2003, a rejeté pendant des décennies des métaux lourds dans l'air. Un dépistage mené sur des enfants de la région en 2022 par l'Agence Régionale de Santé a détecté huit cas de saturnisme et 75 imprégnations élevées au plomb. La cour administrative d'appel de Douai avait condamné l'État à indemniser des riverains de l'usine en 2024 pour un manque de contrôle dans l'encadrement du site. Le 24 juillet 2025, le Conseil d'État a annulé l'arrêt de la cour d'appel. (Le Monde, Libération).
En 2025, une étude révèle la présence de pesticides dans l'eau des nuages collectés au sommet du puy de Dôme. Il y aurait entre 6 et 139 tonnes de pesticide dans le ciel français selon les jours, dont des pesticides interdits en France. (CNRS, France Info)
Les PFAS, des substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées, sont des composés chimiques utilisés dans l'industrie et produit de la consommation courante, pour leurs propriétés : antiadhésive, imperméabilisante, résistance à la chaleur. Ils sont persistants dans l'environnement en raison de leur composition chimique. Aujourd'hui, la présence de ces 'polluants éternels' est détectée dans tous les milieux. et dans les organismes vivants. En 2023, le Centre international de la recherche sur le cancer de l'Organisation mondiale de la santé a classé certains PFAS comme cancérogènes pour l'homme. (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, Agence Régionale de Santé) Les poêles en téflon, utilisées pour leurs propriétés antiadhésives, sont pointées du doigt comme libérant potentiellement des PFAS. (UFC Que choisir)
Un rapport de Greenpeace de 2025 révèle la présence d'hexane, un hydrocarbure neurotoxique et suspecté d'être toxique pour la reproduction, dans des produits de l'alimentation et de la consommation courante. (Le Monde, National Geographic)
Le cadmium, un métal cancérogène, se trouve naturellement dans les sols. Par le biais de l'agriculture, il est présent dans certains produits alimentaires, notamment le pain, les pâtes et les pommes de terre. (UFC Que choisir, Le Monde, Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail)
En 2020 est créé le Fonds d'indemnisation des victimes de pesticides, géré par la Sécurité sociale agricole. (Sud Ouest)
Chiffres cités dans cet épisode :
- Le nombre total de nouveaux cas de cancer en 2023 a doublé par rapport à 1990 (Santé publique France).
- Après les accidents, le cancer est la cause de mortalité la plus fréquente chez l'enfant (Assistance Publique-Hôpitaux de Paris).
- Dans une étude de 2025 publiée par le réseau des registres des cancers Francim, les Hospices Civils de Lyon, l'Institut national du cancer, et Santé publique France et financée par la Ligue contre le cancer sur l'incidence des cancers chez les 15-39 ans, six cancers ont une augmentation de leur incidence.
- Le Centre international de la recherche contre le cancer de l'Organisation mondiale de la Santé classe la France première en termes d'incidences du cancer du sein (données du 8 février 2024).
- En 2023, le nombre total de nouveaux cas de cancer était de 433 000 (Santé publique France).
- En 2023, l'assurance maladie a consacré 13 % de ses dépenses à la prise en charge des cancers, soit 27 milliards d'euros (Assurance maladie)
- En 2022, la France est classée par l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture 10e pays consommateur de pesticides au monde, et 6e pays consommateur par surface de terre agricole.
Monsanto est une entreprise spécialisée dans les biotechnologies du secteur agricole et dans le secteur chimique. Elle est absorbée en 2018 par Bayer, entreprise pharmaceutique et agrochimique. En 2015, un herbicide, le glyphosate, commercialisé par Monsanto sous le nom de Roundup a été classé comme cancérogène probable pour l'homme par le Centre international de recherche contre le cancer de l'Organisation mondiale de la Santé. En 2017, l'Autorité européenne de sécurité des aliments juge le glyphosate non cancérogène, comme l’Agence européenne des produits chimiques et l’Agence de protection de l’environnement américaine.
Bayer explique sur son site "explorer", entre autres domaines thérapeutiques, le cancer, "pour soigner les maladies et améliorer la vie des patients". Bayer rapporte sur ce même site qu'avec Kumquat Biosciences, une entreprise qui développe un traitement contre le cancer, il participe au lancement d'études pour tester l'efficacité de ce traitement, et à termes le commercialiser. (Genetic Engineering and Biotechnology News, Pharmacie.ma, RJB, Le Figaro, L'Echo, Les Echos)
Musique de fin : "Cancer", Twenty One Pilots, 2016.
L'équipe
- Productrice de l'émission "Les Pieds sur terre", sur France Culture et documentariste
- Attaché(e) de production
- Luce MourandStagiaire
- Production déléguée
- Réalisation




