© Jacques Pavlovsky / Sygma / Corbis, Getty
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Épisodes

À propos de la série

Par Mathias Le Gargasson. Au 20e siècle de nouvelles critiques et théories littéraires se développent, faisant évoluer le langage, la forme, la lecture et le rapport à l'œuvre. Cette Nuit "La littérature et ses théoriciens" explore les travaux et les courants de pensée d'éminents critiques français.

Lorsque nous lisons un livre, nous n'avons besoin de rien d'autre. La littérature, reconnue comme l'ensemble des œuvres écrites ou orales auxquelles nous conférons une valeur esthétique, permet de s'échapper du réel. Elle ne compose bien sûr pas sans cette réalité : elle s'en inspire, emprunte ses mots marqués par des siècles et des siècles de fluctuations sémantiques et historiques. Mais elle crée aussi de nouveaux mondes, de nouveaux univers qui permettent au lecteur d'oublier et surtout de s'oublier. Laisser pénétrer une voix narrative dans son esprit, c'est aussi peut-être l'une des seules façons de vaincre le solipsisme, de sortir de soi-même et de devenir autre. C'est ce mécanisme qu'exploite et expose Michel Butor dans La Modification, ouvrage essentiel du Nouveau Roman. En remplaçant le "je" de la narration par un "vous" étrange et troublant, l'expérience de la lecture se retrouve d'autant plus complexe et désarçonnante. Les récits et les souvenirs du personnage principal se remémorent sa trajectoire vitale jusqu'à ce voyage en train vers Rome, venant se mêler à travers l'utilisation de ce "vous" à la vie personnelle du lecteur.

Le critique et le théoricien de la littérature

L'histoire de notre littérature est remplie d'expériences en tout genre, de prises de risques considérées à l'époque comme radicales, qui bouleversent entièrement la trajectoire des pratiques d'écriture. L'on peut penser au Don Quichotte de Miguel de Cervantès, où sous couvert d'une parodie du roman chevaleresque est introduit un personnage à la profondeur psychologique encore jamais vue, et où la tension entre le réel et le fantasmé, la folie et l'extralucidité n'a jamais été aussi vive.

Mais pour constater ces évolutions, pointer ces phénomènes textuels non identifiés, assimiler par des concepts et des systèmes le fonctionnement de ces œuvres, il faut des spécialistes de la littérature. Des experts dont le rôle serait non seulement de comprendre et de faire comprendre les œuvres, mais aussi d'en tirer les conclusions théoriques générales. C'est là qu'entrent en scène les critiques et les théoriciens de la littérature. Si un même auteur endosse parfois les deux rôles, ces deux pratiques semblent cependant bien distinctes. Le critique écrit, juge, décortique une œuvre précise comme dans le Sur Racine de Roland Barthes ou La Transparence et l'obstacle de Jean Starobinski. Des ouvrages comme Les Figures de Gérard Genette ou encore l'Esthétique de la création verbale de Mikhaïl Bakhtine trouvent leur place, eux, au sein des livres théoriques. Car bien qu'évoquant une myriade d'œuvres littéraires, le propos central consiste à proposer des hypothèses théoriques générales sur la littérature et son fonctionnement. Une distinction parfois un peu floue et contestable que cette Nuit thématique ne s'évertuera pas à creuser.

Plusieurs théories de la littérature

Cette sélection d'archives offrent l'occasion de découvrir la richesse et la profondeur de la théorie de la littérature et les débats parfois mouvementés qui l'animent. Ancienne critique contre "nouvelle critique", structuralisme contre approche biographique, formalisme russe, critique marxiste de notre rapport esthétique à l'objet littéraire, c'est une diversité foisonnante de théories qui sont émises au sujet de cet objet littéraire. L'occasion de rappeler également le rapport complexe, parfois paradoxal, entre la littérature et le monde. Un monde qu'elle combat et qu'elle reflète dans le même mouvement, dans des démarches tantôt inconscientes tantôt volontairement réflexives.

Le rapport du texte au monde

Mais que répondre à ceux qui voient la théorie littéraire comme le parent pauvre de la philosophie, comme une pensée s'appliquant à un domaine étroit, à un refus de penser le monde ? Tout d'abord : la théorie littéraire pense toujours, inévitablement, le rapport du texte au monde. En 1987, dans l'émission "Répliques", le philosophe Paul Ricœur et le critique et théoricien Gérard Genette proposent un échange passionnant sur le rôle de cette littérature comme une interprétation constructive de notre existence.

Mais aussi, la théorie littéraire et la critique sont des actes de création en soi. Des processus créatifs qui augmentent le monde, élargissent l'espace de pensée des lecteurs et changent radicalement notre expérience de la lecture. Si la littérature modifie notre perception du monde, la théorie littéraire rajoute une médiation supplémentaire, des grilles de lectures nouvelles, étudie la façon dont les signes fonctionnent et nous affectent en tant que lecteurs, créateurs et êtres humains. Mais ce sont les théoriciens et critiques qui nous l'expliquent le mieux. Les propos érudits de Roland Barthes, Gérard Genette, Marthe Robert, Tzvetan Todorov, Julia Kristeva ou encore Jean Ricardou, nous permettent de percevoir la dimension, la richesse et l'absolue nécessité de la critique et de la théorie dans notre littérature contemporaine.

Un programme d'archives proposé par Mathias Le Gargasson  dans "Les Nuits de France Culture".

En illustration : Le critique littéraire et sémiologue français Roland Barthes (1915-1980) : Leçon inaugurale au Collège de France (chaire de sémiologie littéraire), le 7 janvier 1977. ©Jacques Pavlovsky/Sygma/Corbis - Getty.

  • Production : Mathias Le Gargasson
  • Réalisation : Phane Montet et Emily Vallat
  • Coordination technique : Hassane M'Béchour
  • La littérature et ses théoriciens (1ère diffusion : 07/09/2025 France Culture)
  • Édition web : Sandrine England et Amélie Potier, Documentation de Radio France
  • Archives Ina-Radio France

Provenant de l'émission

Les Nuits de France Culture, toutes les nuits à partir de minuit sur France Culture

Toute l'année, le choix des meilleures archives de Radio France qui composent une mémoire radiophonique, en collaboration avec l'antenne Ina.